Monsieur le président, mesdames, messieurs, ce débat est particulièrement bienvenu car, en politique, comme dans l'histoire, quelle que soit la disproportion des forces en présence, la méthode Coué et la propagande n'ont jamais réussi à triompher de la réalité et de la vérité. M. le ministre Kouchner nous a expliqué que ce projet de traité « simplifié » était une sorte de compromis entre les nations qui ont rejeté la Constitution européenne et celles qui l'ont adoptée, mais il est trop avisé pour y croire !
Drôle de compromis en réalité. En effet, Jean-Louis Bourlanges, au lendemain du sommet de Bruxelles, s'émerveillait : « Toute la Constitution est là ! Il n'y manque rien ! » Jean Quatremer, l'un des plus fins journalistes qui suit les affaires de Bruxelles, ajoutait : « Au final, l'accord de Bruxelles est inespéré, puisque l'essentiel des avancées de la Constitution est sauvegardé. »
Le peuple français, qui a voté « non » par référendum le 29 mai 2005, ne sera pas dupe, à terme, de ce nouveau tour de passe-passe dont il sera, bien évidemment, la principale victime. On a supprimé le paquet cadeau et les rubans, mais on a gardé le même contenu. La manoeuvre est habile, mais, pardonnez-moi, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, la ficelle est un peu grosse !
Faire passer cette Constitution bis pour un simple règlement de copropriété, d'où l'expression « traité simplifié » destinée à abuser nos concitoyens, n'a pour but que d'éviter un nouveau référendum.
Tout à l'heure, dans son propos, le ministre Kouchner a d'ailleurs été franc en osant dire que l'absence de référendum évitera la coupure entre l'Europe et le peuple. Il a raison : en supprimant la démocratie, on peut essayer de faire croire que tout le monde est d'accord sans aucun risque d'être désavoué. Du moins, dans l'immédiat…
Si ce projet de traité traduisait une réelle réconciliation du « oui » et du « non », le Président de la République n'aurait pas à craindre de consulter le peuple par référendum. Mieux, il saisirait une occasion historique d'offrir à l'actuelle construction européenne une légitimité populaire qui persiste à lui faire défaut.
Ainsi, pour éviter l'obstacle, à défaut de le surmonter, on a créé le leurre du traité dit « simplifié ». Mais vous le savez bien, il ne s'agit là que d'une Constitution bis. Ce projet reprend le coeur institutionnel du texte de 2005, qui consacrait l'Europe supranationale, en particulier sur les points suivants.
L'extension du domaine du vote à la majorité qualifiée supprime le droit de veto dans des secteurs clés, comme l'immigration, les négociations commerciales, la sécurité intérieure, etc. Pour la France, c'est une catastrophe puisqu'elle est minoritaire sur ces questions dans l'Europe à vingt-sept – qui n'a rien à voir avec l'Europe des Six ou des Quinze.
La personnalité juridique unique de l'Union, ensuite, et l'intégration de la Charte des droits fondamentaux par une référence au traité renforcent l'affirmation du super-État européen. Il en va ainsi de l'ancien article 6 du texte Giscard posant la supériorité de la norme européenne sur la loi nationale : si celui-ci ne figure plus dans le projet proprement dit, il y est cependant renvoyé explicitement dans une déclaration additionnelle qui, elle-même, rappelle la jurisprudence de la Cour de justice, ce qui revient rigoureusement au même.
La règle de la double majorité est acceptée, ce qui déséquilibre dangereusement le couple franco-allemand, plaçant l'Allemagne en position de force au coeur de toutes les majorités.
L'adoption de cette Constitution bis serait d'autant plus paradoxale que le Président de la République et la majorité ont été largement élus par les Français pour redonner du sens à l'action politique, faire preuve de volontarisme et défendre nos intérêts.
Je citerai quelques exemples parmi d'autres.
À raison, le Président de la République menace les accords de l'OMC d'un veto mais, dans le projet de traité, parmi quarante autres domaines, les négociations commerciales internationales tombent intégralement dans le système de la majorité qualifiée, faisant perdre à la France son droit de veto.
De même, nous avons été élus pour relancer l'emploi, freiner les délocalisations, bâtir une stratégie industrielle, mais au sommet de Bruxelles, le statut de la Banque centrale européenne n'a pas été revu, condamnant donc notre position contre l'euro surévalué – encore martelée, à juste raison, avant-hier soir à Strasbourg par le Chef de l'État ! – à n'être qu'une simple pétition de principe.
Nous avons été élus pour maîtriser l'immigration, mais comment y réussirons-nous si, désormais, nos partenaires et la Commission de Bruxelles nous imposent d'ouvrir les vannes ?
Quel que soit le système de vote, celui de Nice ou celui de la pondération démographique, l'essentiel est que, désormais, la compétence de l'Union européenne concernera quelque soixante-dix domaines, dont certains régaliens en matière de sécurité.
Une décision adoptée à la majorité des États s'appliquera à tous, mes chers collègues !
Dans le contexte français où notre Parlement ne maîtrise en rien les négociations des ministres en amont des Conseils européens, cela veut tout simplement dire que nous nous dépossédons un peu plus de la souveraineté nationale dont les Français nous ont confié la garde en leur nom.
Pour ma part, je n'ai pas été élu pour avouer honteusement à mes électeurs en rentrant dans ma circonscription : « Je n'y peux rien, nous avons été mis en minorité à Bruxelles. » Non merci, je n'ai pas le goût du suicide parlementaire collectif !
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite, au-delà des discours, à étudier de près les informations qui filtreront de la prochaine Conférence intergouvernementale.
Comme je l'ai écrit au Président de la République dans une lettre dont je vous ai adressé copie, il n'y aura pas de redressement de la France sans une réorientation en profondeur de l'Europe. Car, pour redresser la France, comme le dit d'ailleurs le Président de la République, l'exécutif comme le législatif ont besoin de retrouver une marge de manoeuvre, sans laquelle la plupart des promesses qui ont été faites resteront lettre morte.
Voilà pourquoi la France, si elle veut vraiment servir la belle idée européenne, doit avoir le courage d'écouter les peuples et de bâtir une autre Europe : celle des coopérations à la carte autour de projets concrets.
Enfin et surtout, vous le savez bien au fond de vous-même, l'Europe ne sera durable et aimée que si elle s'appuie sur les peuples, si elle les respecte.
Ainsi, seuls les Français, par référendum, seront en toute légitimité à même de trancher cette question cruciale pour notre avenir. Ce n'est pas en passant en force au Parlement que l'on fera aimer l'Europe aux Français. Respecter le peuple français dans son ensemble et sa diversité, en tant que premier acteur de son propre destin, c'est respecter la démocratie et la République que nous sommes censés incarner ici.