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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 17 juillet 2007 à 21h30
Lutte contre la récidive — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

« J'inclinerais pour ma part », disait-il, « à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions pas soigner cette pathologie. » Si nous sommes dans le domaine de la génétique et donc de l'inné, il n'y aurait donc pas grand-chose à faire, si ce n'est, comme l'ont préconisé certains de nos collègues les plus répressifs, tel M. Goujon et son détecteur numéro un, M. Bénisti, enfermer dès leur plus jeune âge les pédophiles en puissance dans un établissement dont ils ne ressortiront jamais, puisqu'ils sont inguérissables ? (Murmures sur divers bancs.)

Aujourd'hui, vous avez une autre solution que la détection précoce à nous proposer : quand vous ne savez plus quoi faire, le médical devient la réponse à tout – ce qui justifie la proposition consistant à généraliser l'injonction de soins. Cessez donc de simplifier à l'extrême : quand il s'agit de trouver une solution à une question aussi délicate, il faut au contraire en examiner tous les détails.

La mise en oeuvre de l'injonction de soins nécessite l'intervention de médecins-experts et de médecins coordinateurs. Avez-vous, madame la ministre, ouvert un débat public sur la psychiatrie pénitentiaire et consulté ces médecins ? Je crains bien que non, malheureusement. Je sais que le ministère de la santé a tout au plus reçu des représentants de la Fédération française de psychiatrie et que les médecins psychiatres se sont élevés contre ce projet de loi.

Vous proposez d'étendre l'injonction de soins alors même que nous ne disposons d'aucunes données, en particulier d'aucun bilan portant sur les premiers essais d'injonction de soins à visée thérapeutique et de prévention du passage à l'acte criminel ou délictuel, des essais pratiqués à la suite de la loi Guigou de 1998. En l'absence de bilan portant sur les expériences déjà menées dans ce domaine, les dispositions dont vous proposez la mise en oeuvre risquent fort d'être inefficaces.

Ce projet de loi propose une psychiatrisation de la justice. J'aimerais, tout d'abord, rappeler que le taux de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé en prison qu'au sein du reste de la population. Il faut sans doute commencer par se demander ce qui fait que certaines personnes se retrouveront en institution psychiatrique tandis que d'autres iront en prison ou passeront d'un type d'enfermement à l'autre. C'est là une question extrêmement difficile qui mérite que l'on y consacre beaucoup d'attention et de soin – autre chose, en tout cas, que quelques effets de tribune ou une simple lettre rectificative rédigée à la va-vite.

Le champ d'application de l'injonction de soins, tel qu'il figure dans l'exposé des motifs de la lettre rectificative, nous paraît trop large : « homicide, tous crimes ou délits sexuels, enlèvement et séquestration, pédopornographie, corruption de mineurs… »

On mêle ainsi des situations très différentes : le délit sexuel n'est pas de même nature lorsqu'il est commis en bande, à l'issue d'une soirée ou d'un raid prédateur, par des mineurs par exemple, ou dans le cadre conjugal. Ce sont des champs judiciaires extrêmement différents. L'auteur d'un enlèvement et d'une séquestration peut-il faire l'objet d'un quelconque suivi thérapeutique ? Quelqu'un parmi vous est-il en mesure de me répondre ? Moi, je l'ignore. Quant à la corruption de mineurs, incrimination relativement rare, appelle-t-elle une injonction de soins ? C'est la première fois qu'une telle réponse est proposée pour pareil délit.

Je suis atterré devant une telle méconnaissance de la psychiatrie. Nous sommes dans le règne de la confusion. La définition du champ de l'injonction de soins proposé dans ce texte vise d'abord ce qui effraie l'opinion publique, mais qui ne relève pas nécessairement d'une action thérapeutique. Vous répondez à l'inquiétude – légitime – de l'opinion publique, peu informée, malheureusement. Mais vous ne faites en aucun cas un travail de législateur complet et argumenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

La Fédération française de psychiatrie, fortement opposée à ce projet de loi, est très claire : « Les psychiatres soulignent que, moins de un homicide sur 20 et moins d'une agression sexuelle sur 50 sont commis par un malade mental. » On voit bien ce qui se noue ici : vous allez traiter les 49 ou les 19 autres personnes comme des malades mentaux alors qu'ils ne le sont pas. La genèse de leurs actes, de leurs crimes est très différente. Elle est certainement psychologique, sociale, circonstancielle ou liée à la prise de toxiques divers. Mais ce n'est pas une maladie mentale au sens classique du terme.

Devant des actes, notamment pénaux, qui sortent de l'ordinaire, nous avons tendance à parler de folie. Mais dire que c'est fou ne veut pas dire que la personne qui a commis cet acte est en situation d'aliénation mentale. Cela signifie simplement que cela sort de l'ordinaire, de la norme admise. Je n'ouvrirai cependant pas ici un débat sur la norme, laquelle a beaucoup varié au cours de siècles et des civilisations. Ce que nous jugeons aujourd'hui totalement anormal était considéré, il y a encore quelques années, comme tout à fait banal, chez nous ou dans d'autres cultures.

L'erreur est que vous vous centrez exclusivement sur l'acte. Vous prétendez respecter l'individualisation de la peine. Mais ce n'est pas vrai : vous ne parlez que de l'acte ou d'articles du code pénal ; vous ne vous préoccupez que de ce que le condamné a fait et non de ce qu'il est. Intéressez-vous aussi à ce prévenu, à celui que vous allez condamner à être soigné. Il y a, à mon sens, une erreur absolue et régressive dans le choix de votre angle d'approche.

Encore une fois, tout acte que vous qualifiez d'anormal ne relève pas de la psychiatrie. La FFP rappelle ainsi qu'« une prise en charge thérapeutique ne saurait se concevoir pour l'ensemble des troubles du comportement, elle doit rester centrée sur les soins des troubles mentaux, et ne peut être considérée comme le principal moyen de prévenir la récidive des crimes et délits. » Certaines choses échappent au traitement. Les troubles mentaux ne font pas l'ensemble des actes pénaux. Vous ne pouvez pas vous décharger sur la psychiatrie : les comportements déviants ont également une origine sociale et circonstancielle. Demain, des personnes soignées pendant des années et considérées comme guéries pourront récidiver.

Dans les enquêtes psychologiques et psychiatriques, les juges qui ont affaire à un criminel interrogent les experts sur l'évaluation de la dangerosité. Voici ce que le docteur Cyril Manzanera, dans une étude sur l'expertise psychiatrique pénale en date du 11 juillet, note très justement en matière d'évaluation de la dangerosité : « [...] la justice d'une société contemporaine, portée par ses peurs et son insécurité, sollicite l'expert bien au-delà de sa compétence de psychiatre en lui demandant d'élargir son approche à une analyse [pas seulement psychiatrique mais également ] psycho-criminologique, en oubliant alors que la criminologie est par essence multidisciplinaire associant notamment un regard social, environnemental et culturel, sans parler d'une ouverture indispensable au droit pénal et à la pénologie. » Voilà ce qu'on attendait de ce texte : un travail sur l'expertise psychiatrique.

Aujourd'hui, on demande à l'expert psychiatre de se prononcer sur la dangerosité. Demain, on l'interrogera sur le risque de récidive. Il est ainsi obligé de rentrer dans une démarche prédictive qui ne relève pas de sa fonction. Aura-t-il raison ou tort à 90 %, 95 % ou 60 % ? Il doit simplement poser un diagnostic. Il n'est pas censé dire ce que sera la personne dans trois ou cinq ans. Nul ne peut savoir si elle se remettra à voler ou à reprendre de la drogue.

Les attentes de la société vis-à-vis de la psychiatrie sont fortes, trop fortes. Elles nous interpellent, comme le disait Mme Lebranchu. Que peut-on faire pour celui qui ne relève pas de la psychiatrie ? Que peut-on faire pour celui qui refuse de se soigner ? Si l'on en croit M. Goujon, il sera enfermé.

En fait, le consentement sera en quelque sorte « arraché » au condamné, ce qui sera contre-productif. Ce texte, confond dangereusement sanctions et soins. En effet, le condamné ne bénéficiera de son sursis ou de sa liberté conditionnelle que s'il se soumet à l'injonction thérapeutique. Soyons clairs, les soins seront subis, dans de nombreux cas. À défaut d'être accepté par les malades avec enthousiasme, si vous imposez ce suivi thérapeutique à tous, nos psychiatres se retrouveront face à des condamnés sans volonté réelle de se soigner, ou qui dissimuleront pour pouvoir sortir plus vite. Or cela ne peut conduire qu'à l'échec du traitement.

Il est primordial de revenir aux fondamentaux et de distinguer le processus judiciaire du processus thérapeutique.

Nombre de mes collègues ont souligné le manque de moyens de la justice et de la psychiatrie. Comme le souligne le rapport de la commission des lois du rapporteur de votre majorité, M. Guy Geoffroy, « les principales difficultés d'application du suivi socio-judiciaire concernent la désignation des médecins coordonnateurs et la pénurie de médecins psychiatres dans certains départements ou de médecins psychiatres formés au traitement des délinquants sexuels ».

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