Nous entamons avec l'article 1er l'examen de la transposition législative de la position commune sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement des organisations syndicales. Nous l'entamons sur une question d'importance puisque l'article 1er a vocation à définir les nouveaux critères de représentativité, critères rénovés qui ne peuvent, à nos yeux, que renforcer la légitimité des acteurs de la négociation.
Jusqu'à présent, la représentativité d'un syndicat se fondait en effet sur cinq critères essentiels : les effectifs ; l'indépendance à l'égard de l'employeur ; les cotisations ; l'expérience et l'ancienneté du syndicat ; enfin, l'attitude patriotique pendant l'Occupation, critère devenu manifestement désuet.
La jurisprudence privilégiait toutefois deux autres critères : l'activité du syndicat et sa capacité à mobiliser. Surtout, et en pratique, certains syndicats n'avaient pas à prouver leur représentativité, présumée en application d'un arrêté du 31 mars 1966 complétant une décision du 8 avril 1948. Les autres syndicats devaient, eux, faire la preuve devant les tribunaux de leur représentativité. Celle-ci n'était pas toujours évidente à établir. Si le défaut d'indépendance d'un syndicat devait être établi par la partie qui l'alléguait, la charge de la preuve de l'existence des autres critères incombait en effet au syndicat dont la représentativité était contestée.
Il ne fait nul doute qu'en mettant fin à la présomption irréfragable et en redéfinissant les critères de représentativité, le projet de loi va permettre aux organisations syndicales de mieux exercer leurs rôles et de mieux répondre aux attentes des salariés. Cette évolution était d'ailleurs très attendue. Elle avait été préfigurée en 2006 par l'avis formulé par le Conseil économique et social sur la représentativité syndicale.
Demain, les organisations qui frappent à la porte depuis de nombreuses années pourront donc se voir reconnaître le droit de négocier des accords et d'intervenir dans l'entreprise.
Chacun le sait, le MEDEF s'opposait de longue date à la refonte de la représentativité, pour des motifs évidents. Il a usé et abusé, de même que ses fédérations patronales, des accords minoritaires, qui ont pesé négativement sur la vie de millions de salariés.
Si la modification des critères de représentativité est donc plutôt bienvenue, des questions subsistent néanmoins. À l'heure actuelle, les critères de représentativité s'apprécient de façon globale. C'est ainsi que les effectifs constituent un critère essentiel. Il s'agit du nombre d'adhérents, mais considéré en regard du taux de syndicalisation dans l'entreprise ou le secteur professionnel concerné. Par ailleurs, la jurisprudence admet que la faiblesse de l'effectif peut être compensée par l'importance de l'activité et le dynamisme du syndicat.
L'indépendance vis-à-vis de l'employeur est par contre déterminante. Faute d'indépendance, notamment financière, pas de représentativité ! Les cotisations sont justement le moyen de preuve de l'indépendance. Mais il s'agit de l'indépendance du syndicat, et non de la seule section, qui, d'ailleurs, n'a pas de personnalité juridique. Le syndicat devra donc prouver que sa trésorerie lui permet d'assurer l'activité de sa section.
L'expérience du syndicat lui-même ou de ses membres, en particulier au sein d'une autre organisation syndicale, est prise en compte. Mais le défaut d'expérience ne peut suffire à priver un syndicat de la représentativité – l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 1990 en témoigne. Mêmes remarques en ce qui concerne l'ancienneté, qui, rappelons-le, est celle du syndicat, et non celle de la section. L'influence et l'activité d'un syndicat sont de plus en plus souvent retenues pour reconnaître la représentativité.
En ce qui concerne l'activité, un syndicat justifie d'une activité réelle lorsqu'il a adressé des courriers à la direction et à l'inspecteur du travail, diffusé des tracts, publié des communiqués de presse... Est également pris en compte le fait d'avoir défendu des salariés devant les conseils de prud'hommes.
L'influence est, elle, plus difficile à prouver. Cela peut être une grève, une pétition ou, pourquoi pas, un très fort taux d'abstention aux élections des CE.
À partir de ces constatations, on peut se demander s'il est pertinent que ces nouveaux critères soient cumulatifs et se démarquent donc des règles jurisprudentielles. Nous y voyons pour notre part une restriction qui pourrait être à l'origine d'un important contentieux, d'autant que la position commune n'est pas totalement respectée, puisqu'elle faisait état d'un examen des critères « dans un cadre global », formule qui tendait à atténuer l'exigence de cumul.
De même, nous regrettons, comme notre collègue Mme Billard, que le texte du projet de loi ne reprenne pas à son compte les précisions apportées par la position commune sur les principes d'interprétation des critères retenus, s'agissant notamment de celui, assez nouveau, du respect des valeurs républicaines, dont la position commune précise à juste titre qu'il implique le respect de la liberté d'opinion, politique, philosophique ou religieuse, ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance. C'est un sujet que j'ai abordé avec vous, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission. Vous y avez partiellement répondu, mais j'aimerais que vous nous apportiez ici, ainsi que sur les points précédents, les précisions nécessaires.