Madame la présidente, monsieur le ministre, selon certains, la rupture conventionnelle introduite par cet article 5 serait l'équivalent du divorce par consentement mutuel dans les affaires familiales : bonne entente, séparation raisonnable pour éviter les conflits. Pourtant, rappelons que notre droit prévoit déjà la possibilité de rupture négociée, également dénommée rupture amiable, ou départ volontaire. Que cache donc ce nouveau mode de rupture du contrat de travail, présenté dans la presse comme rupture « de gré à gré » ?
Pour l'employeur, cette rupture conventionnelle constitue avant tout un cadre légal avantageux pour des démissions déguisées. Si on la compare au licenciement, le changement est de taille ! Si on la compare à la rupture négociée, un élément change également la donne en faveur de l'employeur : aujourd'hui, tout employeur peut pousser un salarié à la démission ou le faire consentir à une rupture à l'amiable. Cependant, comme le salarié ne bénéficie pas, dans ces deux cas, de l'indemnité de chômage, il essaie souvent de résister aux pressions de l'employeur, afin de ne pas se retrouver « sans rien » à la fin du contrat. Avec le nouveau mode de rupture de contrat, les résistances du salarié à quitter son emploi seront contrebalancées par le fait qu'il aura droit aux indemnités. Cet élément poussera probablement certains d'entre eux à accepter la rupture conventionnelle pour mettre fin à une situation difficile. Les procédures du droit du licenciement seront ainsi facilement mises de côté, notamment l'exigence d'une cause réelle et sérieuse pour licencier un salarié.
En revanche, si la rupture conventionnelle émane du salarié, quel intérêt un employeur aura-t-il à l'accepter, puisqu'il pourra toujours forcer le salarié à la démission ? Le rapport de force n'est pas comparable.
Certes, me direz-vous, le droit à l'indemnité de licenciement et aux indemnités de chômage permises par la rupture conventionnelle sera garanti au salarié par ce nouveau mode de rupture de contrat, ce qui n'était pas le cas avec la rupture négociée. Toutefois, quels salariés en bénéficieront vraiment ? Aujourd'hui, ceux qui souhaitent quitter leur emploi le font généralement soit parce qu'ils y sont poussés par l'employeur, soir parce qu'ils ont trouvé un nouvel emploi. Dans le premier cas, l'indemnisation était déjà due ; dans le second, elle est inutile. Ainsi, les seuls véritables bénéficiaires de l'accord seront les salariés qui quitteront volontairement leur emploi, sans avoir subi de pressions, mais sans non plus avoir de nouvelle perspective d'embauche. Seront-ils cependant vraiment nombreux, alors que le chômage est élevé et que l'ANPE procède à des radiations ?
Démonstration a donc été faite que le salarié ne sera pas sur un pied d'égalité avec son employeur. Les situations où il pourrait tirer profit de ce type de rupture de contrat seront a priori très rares. En revanche, le bénéfice est certain pour l'employeur : se dispenser des procédures de licenciement pour contourner un droit jugé « rigide ». Licencier un salarié dans les deux premières années ne coûte quasiment rien, 800 000 à 900 000 salariés sont licenciés chaque année et, dans neuf cas sur dix, à l'exception des licenciements économiques, les procédures sont extrêmement simples : entretien, puis envoi d'une lettre précisant les motifs. Avouez que l'on est loin de la rigidité tant décriée.
Enfin, s'agissant du contrôle de la réalité du « consentement mutuel », le syndicat des avocats de France et la Fondation Copernic soulignent que la procédure ne sera soumise qu'au contrôle du directeur départemental du travail. Or, compte tenu des moyens de plus en plus réduits de cette autorité administrative, on peut se demander si le contrôle sera aisé.
En outre, le Syndicat des avocats de France souligne que l'existence d'une décision administrative validant l'accord posera une difficulté procédurale majeure. En effet, quelle juridiction sera à même d'être saisie par un salarié qui mettrait en avant les pressions qu'il a subies pour signer la rupture du contrat : le juge prud'homal ou la juridiction administrative ?