Heureusement, Bruxelles n'a pas donné suite.
Pour les grands groupes de la télévision hertzienne, notamment TF1 et M6, dont les perspectives sont assez sombres compte tenu de l'impasse dans laquelle ils se trouvent actuellement en raison de l'érosion de leur audience et de la montée en puissance de la TNT, les recettes publicitaires de France Télévisions représentent une sorte de bouée de sauvetage. Mais ils ne s'en contentent pas. Puisque la publicité sera interdite à partir de vingt heures sur France Télévisions, ils ont suggéré que les chaînes publiques diffusent, entre vingt heures trente et vingt et une heures, des programmes courts de remplacement aussi exaltants et attractifs que des spots pédagogiques sur les directives européennes ou le brossage des dents dans les écoles maternelles, et pourquoi pas des opéras serbo-croates non sous-titrés ? (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) Autant aller au bout des choses et préciser que France Télévisions doit diffuser des spots de promotion pour TF1 et M6 tous les soirs entre vingt heures trente et vingt et une heures ! (« Absolument ! » sur les bancs du groupe SRC.) Voilà la vérité qui préside à l'architecture de ce projet.
Au demeurant, celui-ci repose sur un malentendu. En effet, la publicité n'est pas un marqueur de la qualité. Il existe de bonnes chaînes de télévision, publiques ou privées, avec et sans publicité et de mauvaises chaînes de télévision sans publicité, y compris en Grande-Bretagne que l'on cite souvent en exemple.
En outre, imposer le même traitement à toutes les chaînes publiques à la même heure est absurde et témoigne d'une incompréhension de la logique de bouquet du service public. L'offre de télévision à grande ambition culturelle sans publicité existe déjà : elle est proposée par ARTE, dont 100 % des financements sont publics. Encore une fois, vouloir étendre le régime d'ARTE à toutes les chaînes de service public tous les jours est d'une absurdité absolue.
Ce type de mesures entraîne l'ensemble du paysage audiovisuel vers sa « berlusconisation ». D'un côté, la télévision publique aura moins d'argent et ne sera donc plus présente sur le front des programmes « premium ». De l'autre, la télévision privée, noyée sur un déluge de publicité, sera inévitablement tirée vers une plus grande médiocrité.
Enfin, je rappelle que la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publique n'était en aucun cas un engagement du Président de la République, puisqu'en février 2007, c'est-à-dire en pleine campagne électorale, le candidat Sarkozy déclarait à L'Express : « Je préfère qu'il y ait un peu plus de publicité sur les chaînes publiques plutôt que ces chaînes n'aient pas assez de moyens pour financer des programmes de qualité. » L'argument selon lequel le Gouvernement tiendrait les engagements du candidat Sarkozy est donc un mauvais argument.
Permettez-moi de conclure mon intervention en citant un écrivain talentueux, membre de l'Académie française, et qui est plutôt de vos amis que des nôtres. Dans le dernier numéro de Paris Match, Jean-Marie Rouart écrit : « Cette réforme mythifie soudain un service public pur et dur et voue à une médiocrité ontologique les chaînes privées, condamnées, selon le spécieux raisonnement présidentiel, à être exclues de la qualité, de la culture et du talent, puisqu'esclaves de l'audimat. On n'est pas plus manichéen. Mais attention, on peut aussi faire de la très mauvaise télévision sans aucune publicité, surtout quand son PDG sera nommé de manière régalienne par le Président. Celui-ci a beau être omniscient, il ne bénéficie pas de l'infaillibilité pontificale. Il nous sort là » – et je vous invite à méditer ces propos – « un projet anachronique qui sent la naphtaline et la vieille chaussette poutinienne. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)