Depuis le début de ce débat, vous n'avez eu de cesse de nous répéter, sûrement pour mieux vous en convaincre, qu'il fallait travailler à établir un vrai climat de confiance dans chaque entreprise et à renforcer le dialogue social entre les acteurs syndicaux et les directions. Le problème, c'est que vous n'avez ni respect ni confiance dans les organisations syndicales. Vous réduisez leurs aspirations professionnelles, étroitement liées à la qualité du service public, à de simples revendications catégorielles : leurs intentions seraient a priori belliqueuses et leurs actes irresponsables.
Vous contribuez, comme le dit Jean Salem, professeur de philosophie, à ce que « la grève, qui n'est jamais que la lutte des travailleurs, [...] tende, comme les autres mouvements sociaux, à faire l'objet d'une sorte de criminalisation dans le prêt-à-penser du moment ». Vous faites le jeu de « la grotesque et sempiternelle assimilation médiatique de la grève à une prise d'otages [...] pour bel et bien faire passer l'arrêt de travail pour l'horreur économique absolue et, pourquoi pas, pour une forme de terrorisme. »
L'article 3 de votre projet de loi illustre à merveille cette posture idéologique de défiance vis-à-vis des organisations syndicales. Au prétexte de susciter un changement d'état d'esprit, vous renforcez les obstacles sur le chemin du dépôt d'un préavis de grève, en proposant d'interdire le dépôt d'un nouveau préavis de grève par la ou les mêmes organisations syndicales et pour les mêmes motifs avant l'échéance du préavis en cours et la mise en oeuvre de la procédure particulière de négociation instituée pour les entreprises de transport par l'article 2.
Outre les questions juridiques et pratiques qu'il soulève, l'article 3 laisse à penser que les organisations syndicales font un tel usage des « préavis glissants » que les salariés abuseraient de façon systématique de leur droit de grève, et ce en toute impunité. C'est faux, et vous le savez. On trouve, dans la jurisprudence, des exemples de décision sanctionnant ces pratiques qualifiées de « trouble manifestement illicite ». Vous pouvez regretter que les tribunaux ne les sanctionnent pas de manière plus ferme et systématique, mais cela ne saurait suffire à justifier une nouvelle intervention du législateur. En réalité, si vous vous décidez à intervenir, c'est parce que vous avez besoin de déterminer exactement le moment du déclenchement de la grève et parce que vous avez besoin de temps avant son déclenchement afin d'en limiter les conséquences en organisant la continuité du service public.
Vos intentions sont mauvaises. Ce texte porte atteinte au droit de grève dans la mesure où le dépôt d'un préavis de grève déjà encadré pourra être désormais interdit. Temporairement, me direz-vous. À ceci près que cette restriction doit être conjuguée avec celle introduite par l'article 2, qui conditionne le dépôt d'un préavis de grève à la conduite jusqu'à son terme du délai réservé à la négociation. Vingt-et-un jours devront séparer la notification du premier préavis et l'éventuel dépôt d'un second préavis. Un tel délai est manifestement trop long et ne garantit absolument pas que soient conduites des négociations sur les causes du conflit.
Enfin, la combinaison de ces deux dispositions favorisera la division syndicale et les pratiques de contournement de la législation. Les organisations syndicales n'auront aucun intérêt à s'entendre pour déposer ensemble un préavis sur le même sujet. Par contre, elles seront incitées à entreprendre des grèves illimitées. Ces pratiques, qui renforceront la conflictualité, l'installant de façon permanente, sont contraires à vos objectifs.
Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer l'article 3.