Deuxième exemple : le texte ne grave pas dans le marbre de ses articles que les représentants des sociétaires doivent être majoritaires au conseil de surveillance, ce qui, franchement, est un comble pour un réseau mutualiste et coopératif ! À moins que l'intention du Gouvernement ne soit de tourner le dos à ces valeurs, il doit en faire une condition du fonctionnement du nouveau groupe. Aujourd'hui comme hier, le pouvoir doit rester aux caisses, qu'il s'agisse des caisses d'épargne ou des banques populaires : or ce texte risque de l'en faire sortir, ce qui conduira rapidement les sociétaires à n'être plus les décideurs mais de simples payeurs, surtout en fonds de garantie. Ce serait là une mutation considérable, pis, madame la ministre, une faute politique majeure !
Troisième et dernier exemple d'une gouvernance insatisfaisante : les pouvoirs lourds, exorbitants même, donnés au nouvel organe central en matière de révocation des dirigeants des caisses et banques régionales. Si l'on déplaît, si l'on n'est pas dans la ligne, si l'on n'obéit pas ou si l'on ne se soumet pas, le bouton du siège éjectable sera actionné !
On voudrait nous faire croire que, avec un tel mode de fonctionnement, le nouveau groupe est encore coopératif et que les sociétaires auront encore de l'influence – je n'ose plus parler de pouvoir ! Non seulement les sociétaires ne seront pas majoritaires au conseil, mais, de plus, ce patron tout puissant que vous créez sera, en fait, sinon en droit, irrévocable, indéboulonnable.
Ces dispositions ne sont pas acceptables : il convient de les réviser. Il vaut donc la peine de retourner en commission afin de retravailler le texte en la matière.
Il faut également y retourner pour conforter l'identité coopérative du nouveau groupe – telle est la deuxième raison pour laquelle ce texte est insatisfaisant.
Tout d'abord, le projet de loi ne crée pas n'importe quel organe central et l'objet du rapprochement ne concerne pas n'importe quelle banque ni n'importe quel groupe. Il s'agit d'établissements coopératifs, qui appartiennent à un modèle économique, social et politique bien précis, celui de la coopération, qui a une histoire, des règles et des principes qui méritent d'être rappelés : l'actionnariat des clients, c'est-à-dire le sociétariat, la solidarité et la mutualisation entre les caisses, la limitation de la rémunération du capital et une gouvernance interne fondée sur un équilibre de pouvoirs et de contre-pouvoirs entre les caisses et le niveau central.
Chacun de ces réseaux a en outre une histoire : elle est glorieuse et intimement liée à nos territoires, ainsi qu'aux plus modestes de nos concitoyens, qu'ils soient particuliers ou petits entrepreneurs.
Le rapporteur du texte lui-même l'affirme dans son rapport : « Les deux groupes, écrit-il, perçoivent donc la recherche du profit non comme une fin, mais comme un moyen leur permettant de mettre en oeuvre des actions conformes à leurs valeurs. » Sur ce point, vous avez raison, monsieur Carrez, et je n'aurais pas dit mieux ! Pourtant, en écrivant cela, vous reconnaissez la nature, les missions spécifiques, les missions sociales même – n'hésitons pas à employer ce bel et noble adjectif, qui n'est pas incompatible avec une activité bancaire – de ces deux groupes.
Or que dit la loi de ces missions ? Rien. Cette identité mutualiste et coopérative passera-t-elle dans ce nouveau groupe bancaire avant toute autre valeur, avant tout autre objectif ? Non. Sera-t-elle même assurée pour l'avenir, gravée par la loi que vous proposez ? Bien au contraire : le nouvel organe central créé à la tête de l'ensemble est une société anonyme. Voilà qui permettra demain – ou après-demain tout au plus – toutes les ouvertures – que dis-je : toutes les aventures !
Cette loi, chers collègues, est extraordinaire : en cas de pertes au niveau central, elle prévoit que les groupes ponctionneront sur leurs fonds de garantie, c'est-à-dire sur leurs banques régionales – en d'autres termes, sur leurs sociétaires ! Ceux-ci risquent donc de payer, de ne pas détenir la majorité du pouvoir au niveau central et surtout, à terme, de perdre leur identité. Ainsi, ce projet de loi menace de préparer la fin d'un modèle économique et de sonner l'hallali de la coopération.
Croyez-vous, madame la ministre, que l'expérience cruelle acquise par ces deux réseaux au cours de la dernière décennie plaide en faveur de davantage de capitalisme en leur sein ? Dans les banques populaires, le développement a toujours été prudent, forgé par un fort ancrage régional et professionnel. Puis vint l'acquisition, en 1998, de Natixis – une banque de financement et d'investissement. Voilà que le siège fait de la banque d'investissement ! Or, compte tenu du rapprochement avec les caisses d'épargne et de la création de Natixis, les secousses ne font que commencer !
Pire encore est la situation des caisses d'épargne. En 1999, le législateur a modernisé leurs structures, conforté leur fonction sociale, réaffirmé leur identité locale et les a dotés d'un statut coopératif. Oubliée, la grenouille de la fable de La Fontaine : la stratégie suivie aura été celle du péché d'orgueil et de l'ambition incontrôlée. Après la digestion du Crédit foncier, il y eut donc l'absorption de CDC Ixis, puis la création de Natixis et, enfin, l'entrée dans Nexity. Pendant toutes ces années, les livrets des petits épargnants ont été négligés ; on rêvait de banque d'investissement, de développement international ! Ce n'était pourtant pas ce que souhaitaient les législateurs de 1999 – j'en étais – pour les caisses d'épargne. Nos intentions ont été dévoyées, chers collègues. Et pour quel résultat ? Des milliards perdus, des sociétaires appauvris, des salariés inquiets, un réseau secoué et l'État appelé au secours avec ses propres milliards ! Triste leçon !
Aussi cette expérience doit-elle nous convaincre de travailler dans deux directions. Il faut tout d'abord éviter d'affaiblir le modèle coopératif, et même le conforter. La crise financière et les doutes auxquels est en proie le monde bancaire doivent nous faire prendre conscience des vertus de la coopération. Dans la société actuelle, et dans notre système bancaire, il n'y a pas trop de coopération, mais trop peu ! La crise doit nous donner l'occasion de le réaffirmer.
Voilà pourquoi votre projet de loi, madame la ministre, doit impérativement consolider la place des valeurs coopératives et la nature de la gestion coopérative dans ces deux réseaux. Je l'ai dit : nous, socialistes, et, plus largement, l'ensemble des députés siégeant sur les bancs de la gauche de cet hémicycle, nous pensons au contraire que votre projet n'y parvient pas et que, à terme, il fait courir au modèle coopératif un risque majeur de dilution – et donc de disparition. À ce titre, il est aussi dangereux que condamnable.
Ensuite, l'expérience de 1999 doit nous inviter à être plus exigeants avec nous-mêmes : une loi et des intentions claires n'empêchent pas un possible dévoiement. Tirons les conséquences de ce risque, et faisons de la loi ce qu'il convient qu'elle soit : un cadre précis et vraiment protecteur, qui précise que nous, législateur français, croyons au modèle coopératif et que nous voulons qu'il s'applique au nouveau groupe pour les années à venir. Dès lors, le projet de loi doit être réécrit. Pour ce faire, nous devons le renvoyer en commission.
Enfin, comment se prononcer sur un tel texte, si insuffisant quant à l'avenir qu'il ouvre ? En effet, il ne comporte aucune garantie sur le projet industriel ou sur la stratégie d'avenir, et pas davantage – ou très peu – pour les salariés et leurs emplois, pour les élus locaux, pour leurs territoires, pour les contribuables ou encore pour les sociétaires. Les non-dits sont nombreux. On nous demande de monter dans un bateau dont, certes, on connaît bien le capitaine, mais dont on ignore le cap, le trajet, l'équipage et le coût ! Où est le « projet industriel » ? Dans quel but étudions-nous ce texte ?
Nous rapprochons deux groupes ; certaines banques, pourtant présentes jusqu'ici, ne figurent plus dans le périmètre du nouvel organe central ; on affirme une complémentarité, certes évidente, entre les deux groupes, et l'on précise qu'il y aurait – remarquez l'emploi du conditionnel – de nombreux atouts. Et puis ? Et puis rien.
M. le rapporteur général, d'ordinaire bien informé et documenté, a dû souffrir en écrivant son rapport. En lecteur attentif, j'ai noté qu'il y évoquait dès le sommaire « un projet industriel commun » qui « guide le rapprochement des deux groupes ».