Le texte laisse par ailleurs le choix au salarié d'accepter ou non de travailler le dimanche. C'est du moins l'esprit de la proposition de loi. Mais nous savons tous qu'en pratique le lien entre l'employeur et l'employé est un lien de subordination. Pour le salarié, il ne sera pas facile de s'opposer aux propositions de son employeur. Reconnaissons aussi que, pour certains employeurs, il ne sera pas facile non plus de s'opposer au travail dominical car le fait de voir sa clientèle et son chiffre d'affaire partir ailleurs ne leur laissera pas le choix de réorganiser leurs jours d'ouverture. Si le refus d'embauche d'un candidat se fait sur le critère de la volonté de ne pas travailler le dimanche, à qui devra-t-on jeter la pierre, au candidat ou à l'employeur ? Ni à l'un, ni à l'autre, selon la proposition de loi. C'est pourquoi nous avons déposé plusieurs amendements afin que l'énoncé du texte soit précisé sur ce point.
Posons à présent la question de l'impact économique et environnemental de ce texte.
La raison qui a présidé à l'élaboration de cette proposition de loi est d'accroître l'activité pour libérer la croissance. Pourtant, aucune étude économique ne présente des évaluations probantes. Au mieux, les nouvelles dispositions permettront donc un transfert d'activité, c'est-à-dire un transfert d'emploi et un transfert d'achat sur des jours habituellement non ouvrables, car ouvrir plus longtemps ne fait pas consommer plus. Les budgets des consommateurs n'étant pas extensibles, les dépenses faites ici seront compensées par des dépenses moindres ailleurs. Le revenu disponible pour les achats ne sera plus dépensé en six jours mais en sept.
La dégradation de la conjoncture macroéconomique qui a accompagné la crise financière a imprimé sa marque sur le pouvoir d'achat des ménages. Ces derniers ont été nombreux au cours des dernières années à ressentir une dégradation de leur niveau de vie alors même que le pouvoir d'achat, tel qu'il est mesuré par l'INSEE, restait inscrit dans une tendance à la hausse. L'une des explications de cet écart entre le pouvoir d'achat mesuré et le pouvoir d'achat ressenti réside dans le sentiment de frustration né d'un « vouloir d'achat » croissant plus vite que les moyens permettant de le satisfaire. La contraction prévisible du pouvoir d'achat au cours des prochains mois risque d'aggraver ce sentiment de frustration. Libéraliser dans le même temps l'ouverture dominicale des commerces, en étendant le temps d'exposition des consommateurs à l'offre marchande, ne peut que renforcer davantage encore ce sentiment de restriction qui pèse sur le moral des ménages.
Enfin, la libéralisation de l'ouverture dominicale pourrait avoir un effet sur la mobilité des ménages et comporter un impact environnemental net négatif. La fréquentation dominicale des commerces, profitant au premier chef aux commerces d'attraction, risque d'induire un allongement des distances parcourues pour accéder à l'offre marchande au détriment de la pratique de l'achat de proximité.
Posons à présent la question de savoir qui seront les gagnants et les perdants de la libéralisation du travail le dimanche.
Comme vous le savez, tous les commerces disposant de la capacité juridique d'ouvrir le dimanche n'exploitent pas cette possibilité. Cette proportion est même très minime pour les activités commerciales autorisées des secteurs non alimentaires, tandis que la propension à ouvrir le dimanche est élevée parmi les supermarchés.
Le commerce indépendant et les centres villes risquent donc d'être très durement affectés par la concurrence des PUCE. Face au commerce intégré, comme les chaînes de distribution, le risque de destruction d'emplois et de dévitalisation dans ces entreprises est bien plus grand que le potentiel de création d'emplois en périphérie dans les zones commerciales. Même si une dérogation est provisoire, lorsqu'un commerce ferme, c'est souvent de façon définitive, à moins d'être remplacé par un représentant des gagnants du système, et ce sera à n'en pas douter le commerce intégré.
Outre les commerçants et artisans installés au sein des zones visées, c'est tout le tissu des commerçants de proximité qui risque de subir l'effet d'aspiration des centres commerciaux ouverts le dimanche, y compris dans les départements limitrophes. Nombre de ces commerces, nous le savons, ont déjà beaucoup de mal à se maintenir. Pourront-ils résister aux campagnes publicitaires agressives des grandes enseignes ? Nous ne le pensons pas.
Pour l'employeur d'un commerce de proximité, il est clair que le fait de devoir multiplier les salaires par deux l'amènera à réfléchir sur l'opportunité d'une ouverture dominicale. Là encore, le commerce indépendant risque d'être la première victime des mesures nouvelles, à moins que le commerçant n'assure lui-même l'ouverture tous les dimanches de l'année.
Un effet de « cannibalisation » est donc à craindre entre les commerces ouverts le dimanche et les autres. Ces derniers risquent de n'avoir plus le choix qu'entre s'aligner ou disparaître.
Je tiens également à rappeler que les centres commerciaux des périphéries urbaines, qui seront les premiers bénéficiaires de cette proposition de loi, vendent, hors commerce alimentaire, des produits en provenance du sud-est asiatique à plus de 80 %. À l'inverse, les commerces de proximité et les magasins spécialisés dans les centres villes vendent principalement des produits de fabrication française et européenne. À l'heure où nous sommes confrontés à une crise économique grave et où l'emploi, en France comme ailleurs en Europe, est particulièrement menacé, est-il vraiment opportun de privilégier les points de vente écoulant essentiellement les produits d'entreprises multinationales qui ponctionnent notre pouvoir d'achat tout en délocalisant un peu plus chaque jour leur activité de production hors de nos frontières ? Nous ne le pensons pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)