Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de François de Rugy

Réunion du 7 juillet 2009 à 21h30
Dérogations au repos dominical — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Quant à l'obligation que vous vous étiez donnée – c'était sous la précédente législature et j'imagine, monsieur Mallié, que vous l'aviez votée – de consulter préalablement les syndicats de salariés ou les organisations patronales sur toute modification de la législation du travail, vous la contournez aussi au motif que c'est une proposition de loi d'origine parlementaire et non pas un projet de loi. Il y a pourtant fort à parier que ce texte, sans faire injure au travail de notre collègue Mallié, a été rédigé dans les bureaux du ministère des affaires sociales !

Toutefois, quand on lit tous les courriers que nous recevons des syndicats de salariés unanimement opposés à ce texte, mais aussi les courriers – j'en ai encore reçu un hier – que nous envoient certaines organisations patronales telles que l'Union professionnelle artisanale, on comprend mieux que vous ayez cherché à court-circuiter toute discussion avec les partenaires sociaux. La vérité, c'est que vous avez cédé par idéologie au lobby de quelques grandes chaînes commerciales qui rêvent peut-être de commerces ouverts sept jours sur sept et, qui sait, un jour, peut-être vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme cela existe dans certains endroits du monde. On dit que New York est une ville qui ne s'endort jamais. Je ne sais pas si c'est ce que vous souhaitez pour notre pays.

Inutile de vous dire qu'en ce qui nous concerne ce modèle du « tout commerce » et du « tout consommation » n'est pas le nôtre. Les Français – et j'insiste – y avaient résisté jusque-là. Vous avez donc décidé de le leur imposer. En effet, si vous aviez suivi leur choix, vous n'auriez pas présenté cette proposition de loi à laquelle ils s'opposent.

Pour Nicolas Sarkozy, c'est vrai, le travail du dimanche est une déclinaison de la prétendue revalorisation du travail. Il faisait partie de la lettre de mission adressée à Mme Lagarde dès le 11 juillet 2007. C'était aussi un des points principaux du discours du Président en novembre 2008 à Rethel où le dimanche était censé représenter – qu'entendons-nous ? – « un jour de croissance en plus ». Cette analyse simpliste – une de plus, malheureusement, en matière économique – a pourtant été contestée par les économistes du CREDOC, par exemple.

On peut, en effet, saluer l'entêtement du Président de la République auquel répond celui de notre collègue rapporteur qui a d'abord déposé des amendements, puis des propositions de loi. Remarquons tout de même au passage, mon cher collègue Mallié, que vous n'avez jamais caché non plus que vous relayiez ainsi les intérêts particuliers d'une zone commerciale, celle de Plan-de-Campagne, située dans votre circonscription, alors que ses dirigeants avaient été condamnés par des tribunaux pour ouverture illégale le dimanche pendant des années ! Vous vous êtes acharné à trouver la voie législative pour légaliser cette pratique illégale. Peut-être y parviendrez-vous. Mais est-ce bien notre rôle de parlementaires de légaliser a posteriori des pratiques développées en toute illégalité pendant des années ? Cela ne s'apparente-t-il pas finalement, une fois de plus, à la loi du plus fort ? Je peux vous rappeler, monsieur Mallié, puisque vous avez fait référence au mandat précédent, aux cris d'orfraie que vous n'avez sans doute pas manqué de pousser avec d'autres de vos collègues face à la réaction de notre collègue Noël Mamère qualifiée de « désobéissance civile ». Je pourrais vous rappeler que vous avez dit à l'époque qu'il fallait respecter scrupuleusement la loi et que les députés devaient être des modèles en la matière ! Il est donc étrange que l'on en vienne à légaliser ce qui est illégal !

Nous sommes convaincus que la loi doit, à certains moments, poser des limites à l'envahissement de notre vie par la consommation et le travail c'est-à-dire par l'économie et le commerce. Il y a des limites géographiques à poser. J'entendais notre collègue Marc Le Fur parler de la côte bretonne, que je connais bien également. J'espère qu'il n'y aura pas, sur cette côte, un mitage du territoire dû à l'installation de très nombreux commerces. Notre force, en France, est d'avoir posé des limites géographiques. Il convient également de poser des limites temporelles. De même qu'il existe des lieux où on ne fait pas de production ou de commerce – je n'évoquerai pas la référence aux marchands du temple – il y a des moments où on s'arrête et c'est fort bien ainsi. Vous ne serez pas étonné, j'imagine, qu'un écologiste vous le rappelle même si, à en croire toutes les études d'opinion publiées ces derniers temps, cela va bien au-delà de nos compatriotes de sensibilité écologiste, qui sont, ceci dit au passage, de plus en plus nombreux, ce dont je me félicite, naturellement !

Dernier point de méthode : cette proposition de loi est constituée d'un article unique, vous le disiez tout à l'heure, monsieur Mallié. Vous savez parfaitement que c'est, là encore, une manoeuvre permettant de limiter l'expression des parlementaires, qui ne peuvent s'inscrire que sur cet article, et surtout de brouiller le débat, ce que je regrette.

Je voudrais, avant de conclure, donner indirectement la parole à quelques-uns des habitants de ma circonscription qui m'ont écrit pour témoigner de ce qu'ils pensaient de l'ouverture des commerces le dimanche.

Martine, enseignante, m'a fait part de son témoignage : elle est professeur d'anglais et connaît bien la situation du Royaume-Uni où les centres commerciaux sont ouverts non seulement le dimanche, mais aussi, pour certains, quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! Or elle a constaté que, là-bas, les employés, et singulièrement les femmes, n'ont pas plus de temps plein – elles restent à temps partiel –, donc pas plus d'argent, voire moins, car il faut prendre en compte les frais de garde en dehors des heures d'école. Monsieur le ministre des relations sociales, vous étiez précédemment ministre de l'éducation nationale. J'espère que vous n'allez pas nous expliquer, un jour, qu'il conviendra d'ouvrir également les écoles le dimanche. Vous savez sans doute qu'elles accueillent déjà les enfants de sept heures et demie jusqu'à souvent dix-huit heures trente, voire dix-neuf heures, du fait des horaires de travail décalés. C'est un effort que l'on peut considérer comme légitime, mais jusqu'où irons-nous ? Faudra-t-il ouvrir le dimanche les centres de loisirs, à défaut des écoles, ce qui incombera aux collectivités locales ?

Un autre témoignage m'a été adressé : Christine est infirmière, elle m'écrit : « Cela fait vingt-sept ans que je travaille régulièrement dimanches et jours fériés : je sais le prix à payer pour ma famille et notamment mes enfants. »

J'aimerais vous communiquer un dernier témoignage, celui d'un chef d'entreprise, patron d'un hypermarché de ma circonscription qui appartient à une chaîne bien connue en Bretagne. Il m'a donné deux raisons pour expliquer son refus d'ouvrir le dimanche. Il m'a dit que cela n'apportera aucun chiffre d'affaires supplémentaire, car ce n'est le cas que lorsque le magasin est le seul à ouvrir. De plus, et peut-être cela vous étonnera-t-il, il m'a précisé que les salariés seront tous volontaires. Ils sacrifieront leur vie de famille parce qu'ils n'auront pas le choix. Le temps de travail moyen hebdomadaire est de vingt-huit heures par semaine, donc bien en dessous des 35 heures. Les personnes concernées, notamment les femmes, feront des heures supplémentaires le dimanche pour gagner davantage.

Il est donc, je le crois, essentiel de tenir compte de ces expériences concrètes de nos compatriotes qui travaillent déjà le dimanche.

Pourquoi cette proposition de loi n'a-t-elle pas été précédée d'une véritable enquête sur les besoins des consommateurs, les besoins des commerçants, sur les impacts environnementaux et sociaux, sur les services publics, sur les dépenses publiques ? J'avais proposé, en son temps, qu'une commission d'enquête parlementaire dresse un bilan exhaustif économique et social.

Monsieur le ministre, mesdames, messieurs de la majorité, vous répétez à longueur de journée qu'il faut réduire les dépenses. Or, vous le savez parfaitement, l'ouverture dominicale des commerces entraînera pour nos communes des dépenses de transports, de police et de services de nettoiement.

Vous avez sans cesse rappelé cette volonté de travailler plus, comme si d'ailleurs les Français ne travaillaient pas assez ou étaient des feignants, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner. Je trouve cette logique absolument ridicule. Je vais même plus loin : je pense que l'extension du travail le dimanche correspond à une logique dépassée, à une logique du passé : celle du toujours plus, de la course effrénée vers davantage de consommation, plus de production. Cette logique nous a justement menés à la crise que nous connaissons.

Le Président de la République a pris l'initiative, voici quelques mois, de constituer un groupe de réflexion constitué d'économistes sous le patronage des prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen coordonné, en France, par Jean-Paul Fitoussi sur les indicateurs de richesse. Vous auriez dû passer une telle proposition de loi au crible de ces nouveaux indicateurs de richesse qui mesurent les impacts au-delà de la croissance du produit intérieur brut. À quoi cela sert-il de créer une commission sinon à se donner de temps en temps bonne conscience ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion