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Intervention de Annick Le Loch

Réunion du 20 novembre 2007 à 21h30
Dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Le Loch :

Monsieur le président, mes chers collègues, au moment d'examiner le projet de loi de transposition qui nous est soumis, et alors même que notre groupe est favorable à nombre d'avancées contenues dans ce texte, je veux prendre le temps, bien que le Gouvernement ait déclaré l'urgence, de vous poser la seule question qui vaille pour un parlementaire, une question décisive lorsque l'on parle d'Europe : avons-nous vraiment, le sentiment et la conviction que le juste temps nous a été accordé pour un travail parlementaire digne de ce nom, digne de cette assemblée, digne des sujets à traiter ? Il n'est pas vrai que quelques heures de débat suffisent à notre assemblée pour prendre la juste dimension des enjeux de ce texte.

S'il est un message qu'il nous faut avoir en tête sur tous les bancs de cette assemblée, c'est certainement celui que nous a adressé, en mai 2005, une majorité de Français. L'Europe mérite mieux que des débats tronqués. Nous ne pouvons nous satisfaire d'une forme de dessaisissement de la représentation nationale, au seul motif que le Gouvernement a déclaré l'urgence. L'urgence, c'est aussi de changer de méthode lorsque l'on parle d'Europe.

Madame la ministre, le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économiques et financiers nécessite, selon nous, ce renvoi en commission. Nos critiques portent tout à la fois sur la forme et sur le fond.

Sur la forme tout d'abord. Qu'examine-t-on aujourd'hui au juste ? Le Gouvernement soumet au vote de la représentation nationale un projet de loi permettant la transposition en droit interne d'un grand nombre de textes communautaires, sans véritable cohérence entre eux.

Ce qui frappe, mes chers collègues, c'est d'abord la très grande diversité des textes à examiner, et leur relative technicité. Dans un texte en apparence extrêmement compact, resserré autour de onze articles, sont abordées pêle-mêle la question des assurances automobile, celle de la titrisation des risques d'assurance, celle des tarifs ultramarins en matière de télécommunication, la question aussi de l'ouverture des professions réglementées, des questions aussi sensibles enfin que la rémunération des comptes courants, des compétences de l'Autorité des marchés financiers et de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes.

Au final, derrière un texte présenté comme un simple texte d'adaptation, qu'il est loisible de percevoir comme un mini-projet de loi, dont l'examen ne mériterait pas, compte tenu de l'urgence, qu'on s'y arrête, c'est en fait une méthode et une conception de l'Europe qui nous est présentée. Conception selon laquelle, au motif que la France est en retard dans la transposition des directives communautaires, le débat n'a pas lieu d'être et que toute discussion est inutile.

Eh bien non, cette conception, nous ne la partageons pas ! J'irai même plus loin : cette conception, une majorité de Français l'a rejetée. L'Europe souffre déjà d'un déficit d'explication et d'information. Que peuvent penser nos concitoyens si les élus de la nation eux-mêmes se trouvent privés de débats sur le fond alors que les textes ici examinés procèdent de vrais choix politiques, et pas seulement de validations techniques ?

Madame la ministre, lors de l'examen de ce texte au Sénat, vous avez déclaré : « La meilleure preuve de notre attachement à l'Europe et au droit européen, c'est tout simplement de respecter ses règles. » Le groupe SRC dans son ensemble tient à vous faire savoir que, si nous avons le même souhait, nous ne partageons pas la méthode employée pour le réaliser. Les délais de transposition ne signifient que l'on puisse faire l'économie de débats sereins.

Vous faites valoir que l'urgence se justifiait par le seul fait que les délais de transposition arrivaient à échéance et que la présidence française est proche. Comme vous, nous sommes conscients de notre responsabilité et attentifs au respect de nos engagements européens. Mais l'accélération des transpositions devrait s'accompagner d'une meilleure information, bien en amont, de la représentation nationale.

Le secrétaire d'État chargé des affaires européennes reconnaissait à demi-mot, en juillet dernier, les progrès à réaliser en la matière. M. Jouyet déclarait ainsi : « Il faut s'efforcer de préparer la transposition dès qu'il existe un accord politique sur la réforme au niveau communautaire, c'est-à-dire avant même que le texte final de la directive ne soit publié. » Lors de l'examen de ce même texte au Sénat, M. Fourcade a dit : « La politique européenne est encore trop isolée de la vie politique nationale. » Et il ajoutait : « Il est clair qu'il faut examiner très précisément les conséquences des directives que vous nous demandez de transposer, afin de comprendre quelles en seront les conséquences pratiques. »

Qu'a dit à ce sujet le Comité Balladur ? Rien de différent ; « L'exercice de transposition auquel donnent lieu les directives est mal vécu par les parlementaires, qui n'interviennent qu'en fin de parcours, sans avoir été complètement informés des négociations dont procèdent ces textes ». « Le Parlement est dessaisi de questions importantes qui ne sont pas toutes, il s'en faut de beaucoup, dépourvues d'incidence proprement politique. » Le Comité Balladur fait un juste diagnostic de ce que nous vivons s'agissant du présent projet. Cette information, ce temps nécessaire à la bonne compréhension du texte, ainsi qu'à des débats sereins et éclairés, nous ne les avons pas eus, en l'occurrence.

Alors que fallait-il faire ? Il aurait été judicieux par exemple que le projet de loi sur le développement de la concurrence au service du consommateur, dont nous débattrons demain, devienne le support de la plupart des dispositions examinées ce soir. II y aurait eu là davantage de cohérence. Malheureusement, ce projet de loi faisant lui aussi l'objet d'une déclaration d'urgence, il n'y aura pas de débats approfondis non plus sur les droits des consommateurs.

Fort heureusement, le groupe SRC consacrera une de ses niches, la semaine prochaine, à la question du pouvoir d'achat et à la consommation, afin de permettre à de vrais débats d'avoir lieu.

J'en viens maintenant aux critiques sur le fond qui mériteraient que nous puissions débattre plus sereinement en commission du texte et qui justifie cette motion. Force est de constater que, bien souvent, la précipitation et l'improvisation ont présidé aux débats menés au Sénat. Comme a pu le dire au cours de la discussion notre collègue parlementaire Nicole Bricq, les mesures contenues dans ce projet de transposition doivent faire l'objet d'avis différencié. Certaines mesures sont positives, d'autres moins, d'autres enfin constituent à elles seules de réels motifs d'inquiétude.

Les articles 1er, 3, 4 et 10 vont dans le bon sens. Nous aurons l'occasion de le dire. Tout ce qui participe d'une extension des droits des consommateurs recevra évidemment un accueil favorable de notre part.

Mais un certain nombre d'incohérences de fond demeurent. Les doutes, soulevés notamment lors des débats au Sénat, n'ont pas été, loin s'en faut, dissipés. Quel travail a pu être fait par les parlementaires sur les textes de référence, aussi bien les directives communautaires que les ordonnances, auxquelles renvoie, dans tous ses articles ou presque, le présent projet de loi ?

Sur les articles 2, 5 et 9, plus que des doutes, nous avons de réelles inquiétudes. L'action du Gouvernement semble dictée par une trop grande précipitation et une totale absence de précaution. La vitesse est souvent l'ennemie de la sagesse.

Sur l'article 2, qui vise à habiliter le Gouvernement à adopter par voie d'ordonnance les dispositions législatives nécessaires à la transposition de la directive 200568CE du Parlement et du Conseil du 16 novembre 2005 relative à la réassurance, qui transforme les fonds communs de créances en fonds communs de titrisation, Nicole Bricq, le rapporteur Philippe Marini, mais aussi le sénateur Jean-Pierre Fourcade, ancien ministre de l'économie et des finances, ont attiré tour à tour votre attention sur la difficulté d'évaluer précisément l'impact de la crise financière de cet été sur l'économie réelle. Compte tenu de ces incertitudes, nous ne pensons pas que la financiarisation excessive et la sophistication du traitement du risque par les prêteurs soient une réponse adaptée et précautionneuse. En ouvrant un peu plus aux marchés financiers le marché de l'assurance et de la réassurance, sans attendre la directive « Solvabilité II », vous faites une confiance aveugle dans l'autorégulation des marchés là où tout nous invite précisément à remettre une dose de régulation publique. C'est non pas l'urgence qui doit commander ici, mais la prudence.

Sur l'article 5, la plus grande confusion a présidé à son examen lors de la séance publique au Sénat. C'est sans doute l'article qui justifie le mieux notre demande de renvoi en commission. Il témoigne de la précipitation dans laquelle sont menés des débats qui mériteraient pourtant un travail approfondi d'information. L'article 5, comme l'article 2, prévoit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, en l'occurrence pour introduire une directive relative aux professions réglementées, sans qu'aucune évaluation précise du champ de l'habilitation ne soit disponible, ni aucune information sur le nombre et la qualité des professions réglementées concernées. Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, une trentaine de professions. J'en compte cinquante-deux dans le projet de loi et il en est cité 120. Je ne sais plus sur quel chiffre m'arrêter…

Vous avez vous-même, madame la ministre, reconnu le « caractère précipité » – ce sont vos mots – de la transposition de cette directive. Rappelons que le rapporteur de la commission des finances du Sénat s'était prononcé pour la suppression de cet article 5. Vous avez consenti à un amendement dilatoire, qui intègre la durée, la concertation avec les professionnels et la question de la réciprocité. Si nous ne doutons pas de l'utilité de cet amendement, il est toutefois à noter que l'évaluation de l'impact précis de la directive relative aux qualifications professionnelles sur les quelque 120 professions concernées, n'est pas à proprement parler prévue ou anticipé. Le délai d'une année permettra-t-il à vos services, de mener une véritable étude économique sur le sujet ?

L'article 9 soulève également certaines questions auxquelles les débats n'ont pas permis de répondre. Cet article tend à transposer les dispositions de l'article 5 relatives aux contrats d'assurance, de la directive 2004113CE du Conseil, du 13 décembre 2004, mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et services. Pour les contrats d'assurance conclus après le 21 décembre 2007, il est certes posé un principe général d'interdiction des discriminations fondées sur le sexe en matière de primes et de prestations. Cependant, seraient autorisées, par voie réglementaire, des différences de primes et de prestations fondées sur la prise en compte du sexe et proportionnées aux risques lorsque des données, actuarielles et statistiques pertinentes et précises, établissent que le sexe est un facteur déterminant dans l'évaluation du risque d'assurance. Madame la ministre, pouvez-vous lever définitivement nos doutes sur ce traitement différencié fondé sur ce qui pourrait s'apparenter à un traitement discriminatoire ?

Enfin, et ce sera ma conclusion sur cet article 9, comme sur les articles 2 et 5, il est pour le moins surprenant que seule la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ait été saisie du texte. L'article 2 aurait pu faire l'objet d'un examen par la commission des finances. Les articles 5 et 9 et la question de l'égalité de traitement entre hommes et femmes auraient pu être examinés, me semble-t-il, par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de cette assemblée.

En conclusion, ce projet de loi contient, je le redis, mes chers collègues, un grand nombre de dispositions dont il faudrait prendre le temps de s'assurer du contenu. Les délais de transposition, l'urgence déclarée sur ce projet, ne peuvent servir à justifier que, sur un tel texte, la représentation nationale soit tenue à l'écart ou prise de court et qu'au bout du compte, dans la rue, on entende davantage de critiques et d'incompréhension à l'égard de l'Europe de la part de nos concitoyens.

Pour tous ces motifs, le groupe SRC demande le renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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