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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 20 novembre 2007 à 21h30
Dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis appelle de ma part deux observations.

La première porte sur la méthode, c'est-à-dire la pratique particulière du recours aux ordonnances de l'article 38, qui semble être devenue la règle, et non plus l'exception, pour tout un pan du droit de l'outre-mer. J'attire l'attention du Parlement sur le fait que cette pratique lamine la démocratie, car elle diminue le pouvoir de nos assemblées. La commission Balladur s'est montrée curieusement quasiment muette sur ce sujet, alors qu'il s'agit d'un enjeu démocratique majeur pour le Parlement, et plus particulièrement pour l'outre-mer.

Le texte qui nous est soumis est l'illustration de ces incohérences. Il nous est en effet demandé d'effectuer un travail complexe de transposition, de ratification et d'habilitation, les yeux mi-clos et la parole jugulée, alors que la transposition d'une directive en droit national et a fortiori son application aux régions lointaines et différentes peuvent comporter des risques d'inadéquation dans des domaines aussi techniques.

Ma deuxième observation porte sur le paradoxe qui marque la relation de l'outre-mer avec l'Union européenne. Certains saluent une Europe qui nous aide, tandis que d'autres – parfois les mêmes – fustigent une Europe qui nous contraint. L'Europe qui contraint, c'est celle des critères de Lisbonne, qui réduit la marge de choix des opérations éligibles à ses programmes. C'est celle qui nous impose la conclusion d'accords de partenariat économique avec les pays de notre environnement sur des bases peu avantageuses. C'est celle qui, malgré l'impact négatif d'une telle décision, dénonce le protocole sucre. L'Europe qui soutient, c'est celle des fonds structurels, celle qui reconduit le régime fiscal particulier du rhum. Ces deux visages de l'Europe se retrouvent dans le texte que nous examinons ce soir, dont j'étudierai deux articles qui concernent plus particulièrement l'outre-mer : l'itinérance de téléphonie mobile et le droit bancaire.

Le traitement de la question dite de l'itinérance de téléphonie mobile et l'extension des plafonds tarifaires européens à certaines collectivités d'outre-mer sont un exemple de la maîtrise complexe des enjeux du développement au-delà du droit. Cette mesure concernant l'itinérance sur les réseaux publics de téléphonie mobile à l'intérieur de la Communauté est une illustration de cette Europe qui nous aide en contraignant l'État à agir. Cela doit être salué.

Sur ce point, il faut rappeler que l'un des considérants du règlement de 2007 – le n° 35 – encadre la question de l'itinérance par trois grands principes : l'équivalence des réductions tarifaires entre l'itinérance européenne et l'itinérance intra-nationale ; la non-discrimination en matière de traitement tarifaire pour les abonnés utilisant des services d'itinérance internes aux pays par rapport à des abonnés utilisant des services d'itinérance communautaires ; la possibilité reconnue aux autorités nationales de prendre des mesures supplémentaires plus favorables compatibles avec la législation communautaire – et c'est ce que vous allez faire.

Quel que soit son intérêt, la mesure sur laquelle nous sommes amenés à nous prononcer ne satisfait pas totalement à cette triple logique. En effet, elle permettra de régler partiellement l'injustice économique et sociale que représentent les surcoûts payés par les abonnés appelant ou recevant un appel d'outre-mer. Je dis partiellement, car ce n'est qu'une réduction des coûts d'itinérance nationale, alors qu'il serait légitime, voire naturel, que ce surcoût soit purement et simplement supprimé pour respecter le principe de la continuité territoriale. Est-il légitime de faire perdurer cette différence de traitement ? Compte tenu de l'importance des marges réalisées par ces entreprises, pourquoi ne pas profiter de cette loi pour inciter les opérateurs à pratiquer une réduction plus importante des coûts d'itinérance, voire à les supprimer à terme ? En outre, je note que ce texte n'est applicable que jusqu'en 2010. Si rien n'est fait d'ici là, le marché s'auto-régulera.

L'Europe des normes doit être celle d'une politique économique et sociale juste. Elle pourra difficilement inverser la tendance au déséquilibre, notamment du marché du travail outre-mer, sans instaurer une vraie politique du développement qui lutte contre toutes les fractures, y compris celles nées de la discontinuité territoriale économique.

L'outre-mer est pénalisé par sa double appartenance : institutionnelle à l'Europe et géographique à la Caraïbe. C'est dire combien il faut être vigilant et combien une vision globale et un approfondissement de l'ingénierie de la connaissance locale sont le préalable à toute politique de développement.

Par ailleurs, la transcription de deux directives communautaires introduit des ratios prudentiels plus sévères dans le droit bancaire. Loin de moi l'idée de critiquer une telle démarche de prudence, mais je m'interroge sur ses conséquences sur les économies d'outre-mer, dont le tissu économique est majoritairement constitué de très petites entreprises – TPE. Quel sera le comportement des banquiers face à cette règle prudentielle nouvelle dans des régions où le coût du crédit supporte déjà une surcote de risque ? L'application sans nuance de la nouvelle exigence de fonds propres supérieurs au niveau réglementaire risque de rendre encore plus difficile l'accès au crédit des TPE des régions ultrapériphériques françaises et d'aggraver les conditions de leur survie économique et financière.

Cette interrogation prend tout son sens quand on se rappelle que les projets de soutien et d'accompagnement du développement économique outre-mer en gestation ne cessent de faire état de cette particularité, qui est un élément structurant des économies de ces régions. Il faut donc que nous donnions un minimum de cohérence à nos politiques outre-mer et que nous nous interrogions sur leur impact économique et leur portée sociale.

Bien qu'elle soit partielle, je salue l'initiative concernant la téléphonie mobile, tout en regrettant le manque d'audace sur ce point. Une telle audace donnerait en effet un nouveau souffle aux échanges par des technologies modernes moins coûteuses, pour une construction consciente, responsable et partagée du développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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