J'en conviendrai d'emblée : ce projet de loi contient des mesures positives. La délivrance du permis de détention pour les propriétaires d'animaux de première et de deuxième catégories est une avancée d'autant plus réelle qu'elle s'accompagne, au préalable, de l'obtention d'une attestation d'aptitude et d'une évaluation comportementale du chien. Toutefois, quand on connaît le nombre de plus en plus élevé de détenteurs de chiens dangereux, sans même prendre en compte l'ensemble des chiens mordeurs, une telle mesure n'est-elle pas quelque peu illusoire compte tenu du nombre actuellement restreint des formateurs ? La crédibilité d'une telle mesure exigerait que lui soient dédiés les moyens nécessaires. Ce n'est malheureusement pas le cas !
En réalité, le problème des chiens dangereux ne peut être traité efficacement par la seule hiérarchisation de ces animaux dans des catégories, sans se préoccuper des causes, souvent liées à leur environnement social, qui les conduisent à agresser et à mordre. Personne, aujourd'hui, ne peut ignorer que le comportement d'un chien varie en fonction de l'identité de son propriétaire. Un berger allemand, non classé dans la catégorie des chiens dangereux, mais entraîné pour l'attaque, n'est-il pas plus dangereux qu'un pit-bull ou un rottweiler vivant dans un univers apaisé auprès d'un maître passionné par la race ? Une législation trop répressive, traitant uniformément les détenteurs de chiens potentiellement dangereux, n'est pas nécessairement suffisante, voire adaptée.
« Ce ne sont pas les chiens qui sont dangereux, mais leurs propriétaires ! » Tous, ici, avons déjà entendu cette remarque banale, mais non moins pertinente, dans notre entourage. Ne faut-il pas pousser le raisonnement et nous interroger ? Pourquoi les propriétaires sont-ils dangereux ? Est-ce inscrit dans leurs gènes ou n'est-ce pas plutôt la conséquence d'une réalité sociale ? Votre projet, madame le ministre, ne répond évidemment pas à ces questions fondamentales. C'est pourquoi, sans en minimiser les aspects positifs, je serais tenté de noter qu'il ne peut que traiter les effets sans s'attaquer aux causes.
En effet, chacun peut constater que le nombre de chiens dangereux croît au même rythme que la précarité et la misère. Dans ces conditions, comment ne pas voir que l'acquisition d'un tel animal est d'abord un réflexe de protection de la part de ceux que notre société rejette et marginalise ? Par ailleurs, peut-on ignorer les difficultés financières dans lesquelles vit une majorité de propriétaires ? Elles ne leur permettront pas d'assumer les coûts d'une formation et d'une consultation comportementale chez un vétérinaire. À l'opposé des objectifs affichés, le risque est réel de créer les conditions d'une recrudescence de la clandestinité et des abandons d'animaux.
Madame le ministre, la sanction sans la prévention peut se révéler un remède bien pire que le mal. Une diminution du nombre des agressions ne peut découler d'une loi dont la particularité est d'amplifier l'arsenal répressif au détriment des mesures indispensables pour faire reculer le chômage et la précarité – mais vous me répondrez que c'est un autre débat. Vous me permettrez donc de déplorer la batterie de punitions sans fin énumérées à l'article 8 bis. Ces mesures, dans le droit fil de la politique du bâton, aggraveront lourdement les sanctions pénales encourues par les propriétaires de chiens en cas d'atteinte involontaire à la vie et à l'intégrité des personnes.
À l'inverse, on peut regretter que les mesures préventives, contenues dans la loi de 1999, n'aient toujours pas connu un début d'application. C'est pourquoi des dispositions susceptibles de cibler et de poursuivre le trafic clandestin auraient été les bienvenues dans votre projet. C'est là en effet qu'apparaissent ceux qui tirent les bénéfices de la filière : les éleveurs clandestins et les trafiquants d'animaux en provenance des pays de l'Europe de l'Est – dont la marque de fabrique est précisément le développement de l'agressivité chez le chien, volontairement provoquée par le sevrage précoce et l'absence de socialisation. On estime à 100 000 le nombre de chiots importés, plus ou moins légalement, chaque année en France.
Ces manques, madame la ministre, sont dommageables. Les avancées que je soulignais précédemment risquent ainsi d'être affaiblies par l'aggravation des peines encourues, la remise à l'autorité administrative et le fichage de tous les propriétaires de chiens.
Permettez-moi, d'ailleurs, de revenir sur cette dernière mesure. Au nom de la nécessité de recenser les morsures, un traitement automatisé de données à caractère personnel, ayant pour finalité l'identification des propriétaires successifs de chiens, sera confié au ministre de l'agriculture. Quand on sait que tous les types de chiens seront concernés par ce fichage et que 30 % de nos concitoyens possèdent un chien, on peut s'interroger sur la finalité d'une telle disposition qui outrepasse largement la mission assignée au fichier national canin, validé par la CNIL en 1991, et dont le but était d'assurer la gestion et l'identification des chiens.
Alors qu'il aurait fallu sensibiliser, favoriser une large information publique et responsabiliser les maîtres, la décision a été prise de légiférer sans prendre le temps d'une réflexion suffisante. D'ailleurs, il y a là une contradiction évidente avec la décision de créer une mission parlementaire. N'aurait-il pas été plus cohérent d'attendre le rapport de cette mission pour adapter notre législation, sachant que, de toute façon, les mesures que nous allons voter ne seront applicables qu'en 2009, voire en 2010 pour certaines d'entre elles ?
Dans ces conditions, il aurait été possible d'approfondir l'ensemble des problèmes, en les traitant à la racine. Celui de l'élevage, entre autres, sur lequel j'avais déjà insisté en première lecture, et qui est traité de manière trop superficielle. Ainsi, la formation des propriétaires de chiens, permettant la délivrance d'un permis de détention, sera-t-elle dispensée par les seuls vétérinaires, sachant que cette profession n'est pas toujours qualifiée pour identifier la particularité des comportements canins. D'ailleurs, comment cela serait-il possible quand on sait que les particularités de chaque race restent méconnues pour de nombreux éducateurs canins et comportementalistes ?
Pour bâtir une loi mieux adaptée aux besoins, il aurait été aussi judicieux de définir des mesures concrètes visant à améliorer l'élevage, et à mettre un terme au fait qu'aucune déclaration préalable ni compétence en psychologie canine ne sont exigées pour élever un chien. Certains chiffres sont d'ailleurs révélateurs : une centaine d'éleveurs seulement sont actuellement déclarés sur le territoire national ; des chiots importés de deux à trois mois sont actuellement en animalerie, alors que la vaccination contre la rage est obligatoire et que, par conséquent, ils devraient avoir au moins quatre mois ; un million de chiens naissent chaque année alors qu'une traçabilité n'existe que pour 170 000 d'entre eux.
Ces problèmes majeurs, régulièrement soulevés par la SPA, auraient mérité une attention particulière du législateur. Cela aurait certainement permis de limiter les accidents provoqués par des chiens adultes, totalement désocialisés du fait des conditions d'élevages défaillantes. Il aurait donc été nécessaire que soient précisées les conditions dans lesquelles la formation des propriétaires de chiens sera assurée. Je renouvelle donc la proposition que j'ai formulée en première lecture et qui vise à instaurer un diplôme d'État avec agrément de la Société centrale canine, afin de mieux encadrer les éducateurs canins et les comportementalistes.
Enfin, je souhaite exprimer ma vive inquiétude quant aux responsabilités supplémentaires que fera peser cette loi sur les épaules des maires, madame la ministre. Comment justifier que leur soit dévolue la mission de prescrire une formation aux détenteurs de chiens présentant un danger et n'appartenant à aucune des deux catégories de chiens dangereux ? Sur quels critères objectifs un élu local pourra-t-il fonder sa décision ?
Mais là où le bât blesse davantage, c'est quand on s'aperçoit qu'il revient désormais aux maires d'assumer l'ensemble des mesures d'alerte, de capture et de prescription, en cas de non-application de la loi, et cela, sans aucune considération du manque de moyens techniques auquel ils doivent faire face, notamment dans les petites communes. Cette loi risque d'aggraver un peu plus les difficultés de la fonction. Madame la ministre, mesurez-vous ce que représente, pour le maire d'une petite commune rurale, le travail qui consiste à faire respecter les mesures préventives à toute morsure, et à rassembler l'ensemble des pièces désormais exigées : certificats d'identification, de stérilisation, de vaccination antirabique, attestation d'assurance en matière de responsabilité civile ? Savez-vous que cette tâche se double de difficultés supplémentaires, liées au fait que, très souvent, les maires sont confrontés à des propriétaires d'animaux indélicats ?
Les maires risquent d'être bien seuls face à leurs responsabilités, faute d'un soutien efficace de l'État. C'est pourquoi, il est indispensable que les forces de l'ordre public – gendarmerie, police – soient mobilisées afin de leur venir en aide, quand il s'agit de capturer un animal ou pour toute autre mission délicate.