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Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 17 juin 2008 à 9h30
Détecteurs de fumée — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la responsabilité première du législateur ne se limite pas à compatir à l'émotion, à l'accompagner, à l'apaiser ; c'est aussi de trouver les prescriptions législatives les plus pertinentes, à même d'en traiter les causes.

Deuxièmement, s'interroger sur l'efficacité d'un dispositif, chercher à savoir si l'on fait au mieux, c'est la responsabilité du législateur, ce n'est pas faire insulte à l'objectif commun qui consiste à éviter les drames et à en éviter autant que possible les conséquences.

Troisièmement, si cette proposition de loi est examinée trois ans après la première lecture, ce n'est pas parce que le groupe socialiste de l'assemblée, par la voix de Jean-Yves Le Bouillonnec, s'y serait opposé, contrairement à ce qu'on a parfois laissé entendre ! Je regrette que des journalistes aient pu rapporter des propos de ce genre, tenus par certains responsables politiques et particulièrement insultants pour ce que nous sommes, pour notre action au quotidien, pour ce que nous vivons dans le cadre de nos responsabilités respectives. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) J'avoue m'être senti insulté par de telles accusations. Il n'y a pas, d'un côté, des « justes » qui partageraient l'émotion et, de l'autre, des individus qui exigeraient que davantage de gens meurent, que davantage d'immeubles brûlent ! Quelle insulte !

Si nous ne sommes pas d'accord, je le dis, avec le dispositif prévu dans ce texte, nous n'en contestons nullement l'objectif. Ce que nous mettons en cause, c'est la technique préconisée au départ et dont, monsieur le rapporteur, vous ne sortez pas, malgré les suggestions du Sénat. Nous sommes prêts à nous rallier à la position sénatoriale qui, sans rien entraver dans l'évolution technique, contribue à lever toutes les suspicions liées à la technique des détecteurs autonomes avertisseurs de fumée à la concentration – avérée – de leur fabrication. On ne saurait lui reprocher d'interdire toute amélioration du dispositif alors même que le renvoi à un décret en Conseil d'État permettrait de définir les normes au vu des conclusions des commissions dont M. le secrétaire d'État a parlé ou des dernières innovations techniques.

Tel est, je le redis, mon état d'esprit. Nous sommes là au coeur du débat et je souhaite vivement que nous y restions, sans nous lancer des anathèmes, alors que nous cherchons à précisément à construire, avec la majorité, la solution la plus pertinente en l'état et qui aboutisse, le plus rapidement possible, à des résultats concrets.

Madame la ministre, vous avez rappelé tout à l'heure des chiffres terribles. Je me souviens dans quelles circonstances ce dispositif avait été évoqué en 2005 : cet été-là, plusieurs incendies d'immeubles insalubres s'étaient produits à Paris, faisant de nombreuses victimes. Puis, au tout début du mois de septembre 2005, ces dix-huits morts à l'Haÿ-les-Roses, commune voisine de la mienne. Il s'agissait pourtant d'un immeuble parfaitement réhabilité – je n'oublie jamais cela lorsque je vais sur la tombe des deux jeunes Cachanais qui ont péri dans cet incendie. Le sinistre n'était en rien lié à un problème de vétusté comme ce fut le cas dimanche, et cette nuit encore, où l'on a également déploré plusieurs décès.

Toute la difficulté du processus tient au fait qu'il faut trouver le moyen de faire réagir les gens sans pour autant accentuer les mouvements de panique. À L'Haÿ-les-Roses, il faut le savoir, les dix-huit morts s'étaient intoxiqués dans les escaliers : ceux qui avaient eu la présence d'esprit et la possibilité de rester dans leurs appartements en calfeutrant leurs portes avec des linges humidifiés, comme les pompiers le préconisent, et en signalant leur présence, fenêtres fermées, ont tous, sans exception, eu la vie sauve.

J'ai téléphoné ce matin à M. Patrick Sève, maire de l'Haÿ-les-Roses. Il m'a rappelé les nombreuses conversations que les maires du secteur avaient eu avec les services des pompiers : le drame a bel et bien été dû à cette panique qui a précipité les gens dans les escaliers. Les réactions de ce genre sont difficiles à prévenir ; aucun d'entre nous n'en est à l'abri. Il faut, dès le départ, prendre en compte cette réalité et non la rationalité des comportements, ni l'hypothèse que l'on va s'organiser tranquillement quand on a des enfants à prendre dans ses bras. Voilà la question que nous voulons rouvrir aujourd'hui, comme nous l'avons fait au sein de notre groupe, et l'examiner à nouveau.

Lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi, dans sa version initiale, le groupe socialiste avait voté contre ce texte. Si l'objectif de permettre une détection précoce des incendies était louable et partagé par tous, la méthode choisie par la proposition de loi consistant à rendre obligatoire l'installation dans les logements d'habitation de détecteurs avertisseurs autonomes de fumées, pour séduisante qu'elle fût, était loin d'être à la mesure de l'enjeu et ne répondait que partiellement à l'objectif poursuivi.

À cet égard, M. Borloo, votre prédécesseur, madame la ministre, avait commandé à MM. Doutreligne et Philippe Pelletier un rapport, publié en 2005. Nous en avions eu connaissance quelques jours avant le débat. Il avait pour but de répondre aux questions que les tragiques événements que je viens d'évoquer suscitaient en tous points. Les auteurs estimaient « vain, voire imprudent », de rendre obligatoire dès à présent l'installation de ces équipements, car ceux-ci ne sauraient suffire à assurer la mise en sécurité des personnes dans l'habitat et auraient pour effet pervers de démobiliser l'opinion et les pouvoirs publics.

Ainsi, la méthode consistant à se contenter de rendre obligatoire, par la loi, l'installation d'un type de matériel, sans s'interroger sur l'avantage des autres déjà existants ou sur l'évolution des techniques en ce domaine, sur les conditions d'équipement, de maintenance et de contrôle s'agissant de la sécurité collective et sur leur renouvellement est à tout le moins,troublante et demeurera proprement inopérante, si ce n'est dangereuse.

Plus encore, l'absence de prise en compte des enjeux primordiaux de sensibilisation, d'information et d'éducation du grand public sur les précautions pratiques et les comportements susceptibles de très largement réduire, voire de supprimer les conséquences tragiques en vies humaines en cas de survenance d'un incendie dans un immeuble d'habitat collectif est irresponsable, comme le laissait d'ailleurs entendre le rapport Doutreligne-Pelletier.

Peut-on sérieusement croire qu'un détecteur avertisseur de fumée n'aurait pas accentué le phénomène de panique qui s'est produit à l'Haÿ-les-Roses ? Sincèrement, je ne le crois pas. Pour avoir vu les lieux, je ne l'imagine pas du tout, je suis même certain du contraire.

C'est pourquoi les auteurs du rapport Doutreligne-Pelletier prônaient, en préalable à toute obligation d'installation des détecteurs de fumées – il ne s'agissait pas de détecteur avertisseur de fumée, madame la ministre –, « une sensibilisation massive des populations suivie d'une incitation à l'installation de ces détecteurs ». En effet, le détecteur n'est qu'un outil technique dont l'efficacité dépend évidemment de l'usage que l'on en fait.

Ainsi, pour éviter que l'installation de détecteurs ne conduise à une déresponsabilisation du public concerné, il est indispensable de faire oeuvre de pédagogie, de façon coordonnée et concertée, notamment au moyen d'une campagne d'information nationale, mobilisant tous les acteurs – école, médias, grand public –, pour apprendre à nos concitoyens comment prévenir les incendies et comment s'en protéger lorsqu'ils surviennent. De même, pour éviter que cette installation ne provoque de mortels mouvements de panique, il est indispensable qu'une campagne d'information leur apprenne les gestes qui sauvent une fois le feu déclaré. C'est à ces seules conditions que la mise en place de détecteurs de fumée peut sauver des vies.

En outre, nous sommes soucieux de garantir à tous nos concitoyens le même degré de protection pour faire en sorte que le plus grand nombre soit assuré de la sécurité de son logement. Or si l'on parle de dispositif anti-incendies dans les logements, il faut agir sur les réhabilitations, sur le logement insalubre : il est évident que dans les immeubles insalubres, véritables taudis, les détecteurs ne seront pas installés. Il y aura bel et bien rupture d'égalité.

Toutes ces raisons ont justifié, en 2005, le vote contre du groupe socialiste. Nous avions invité la majorité à trouver de meilleures solutions.

Pour mémoire, je rappellerai brièvement le dispositif adopté à l'Assemblée nationale.

En premier lieu, le texte de l'Assemblée ne visait que les détecteurs avertisseurs autonomes de fumées qui fonctionnent à pile et possèdent une alarme intégrée. Il semble d'ailleurs – information non démentie – qu'une seule entreprise en France fabrique ce type de détecteurs et une autre l'importe des États-Unis. Cela ne peut pas ne pas interpeller le législateur et le Gouvernement.

En deuxième lieu, cette obligation était initialement à la charge de l'occupant, ce qui posait un réel problème pour les locataires modestes.

En troisième lieu, le texte faisait obligation à la personne tenue d'installer ce dispositif d'en informer l'assureur avec lequel elle a conclu un contrat d'assurance incendie. Dans ces conditions, les assureurs auraient la possibilité de minorer les primes d'assurance incendie. En revanche, ils ne pourraient se prévaloir d'un défaut d'installation, d'entretien ou de fonctionnement des détecteurs ou de l'absence de déclaration d'installation pour s'exonérer de leur obligation d'indemniser les dommages causés dans les locaux où ces détecteurs devaient être installés – cette disposition a, du reste, été adoptée conforme au Sénat.

La loi devait entrer en vigueur dans un délai de cinq ans. Un an après l'entrée en vigueur du texte, un rapport doit analyser sa mise en oeuvre et son efficacité.

Depuis, le Sénat a, selon nous, amélioré le texte adopté à l'Assemblée nationale en prenant en compte le débat que nous avions lancé. Le texte du Sénat n'impose plus un type de détecteurs de fumées. Il est plus pertinent de laisser au Conseil d'État le soin de définir les types de détecteur susceptibles de satisfaire aux impératifs de la loi, d'autant que les évolutions des normes de construction – tirant notamment les conséquences du Grenelle de l'environnement – risquent d'emporter des modifications substantielles de ces outils. Il convient de préciser également que contrairement aux propos qu'on nous tient, la preuve d'une plus grande sécurité des détecteurs avertisseurs autonomes de fumées n'a pas été apportée. Nous sommes en train de légiférer sur un dispositif technique alors que M. Chatel vient de confirmer qu'il attendait des éléments de réponse quant à leur fiabilité. L'avis du comité est une chose, la fiabilité technique en est une autre, et l'on ne peut que s'y attacher.

Qui plus est, les détecteurs alimentés sur secteur ou dépourvus d'avertisseur sonore intégré n'entrent pas dans le champ d'application de la proposition de loi. Les personnes disposant de tels équipements devraient-elles les supprimer ? C'est une autre question que nous avons posée. Seraient-elles hors la loi ? Laissons au Conseil d'État le soin de déterminer les normes techniques de dispositifs qui peuvent être différents, ce qui offre l'avantage de pouvoir les modifier par décret plutôt que par la loi. Rappelons-nous, mes chers collègues, que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture une proposition de loi que vous avez présentée dans le cadre d'une niche parlementaire voilà trois ans… Vous n'êtes évidemment pas responsables de ces délais, mais la moulinette législative est telle qu'il faudra encore deux ans pour revoir des normes techniques, alors même qu'elles seront dépassées. Laissez agir le Conseil d'État : si vous vous y engagez, nous vous suivrons et voterons la loi.

Le texte adopté par le Sénat transfère les obligations d'installation et de maintenance des détecteurs aux propriétaires des locaux d'habitation. Mais nous préconisons une solution plus équilibrée – et je ne fais de lobbying ni en faveur des bailleurs sociaux ni en faveur des propriétaires. La responsabilité de l'installation doit être laissée au propriétaire dans le neuf où celui-ci doit faire installer un détecteur avant la livraison du logement ; dans l'ancien, il doit le faire, ou s'assurer de sa conformité, dès l'acquisition ou, en cas de location, dès la mise en location ou dès le renouvellement du bail. Cette solution est de bon sens puisqu'elle permet d'assurer la sécurité d'un bien immobilier. Il est plus efficace de faire peser cette obligation sur le propriétaire soucieux de préserver son bien et de le valoriser. Nous avons déposé un amendement – qui a été lâchement rejeté ce matin, monsieur le rapporteur (Sourires) – pour inciter le propriétaire à se conformer à cette obligation.

En revanche, il nous semble plus opportun, contrairement à la position du Sénat, de laisser la maintenance à la responsabilité du locataire, comme pour les chauffe-eau ou les autres équipements d'usage. Sinon, que va-t-il se passer ? Exactement ce qui se passe actuellement lorsqu'on obstrue les aérations, sous prétexte qu'il fait trop froid, ou qu'on « trifouille » le chauffe-eau… Quel a été le résultat de l'expérience menée par les bailleurs sociaux lorsqu'ils ont installé des avertisseurs autonomes ? La moitié ne fonctionnaient plus, parce qu'on les avait bricolés ou parce que les piles n'avaient pas été remplacées. Il y a toujours des déclenchements intempestifs, soit parce que le réglage est complexe, soit parce qu'on ne sait pas toujours ce que le garçon de la maison fume en cachette dans sa chambre ! Je ne suis pas un technicien, mais je considère néanmoins qu'il faut impliquer l'occupant en lui faisant porter la responsabilité de la maintenance, ne serait-ce que pour le « mettre dedans » : c'est à lui qu'il appartiendra de vérifier son installation chaque année et à en justifier auprès de son assureur. Par ailleurs, est-il utopique d'affirmer qu'un propriétaire ou un locataire sont responsables de leur sécurité personnelle, mais aussi de celle de tous les autres habitants de l'immeuble ? C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un certain nombre d'amendements en ce sens : l'installation du dispositif laissée aux propriétaires et la maintenance aux occupants avec pour ces derniers, l'obligation d'en justifier auprès des assurances.

Enfin, nous avons déposé un amendement – accepté par la commission – prévoyant qu'un décret en Conseil d'État déterminera les conditions dans lesquelles les bailleurs et les propriétaires seront informés. C'est une excellente chose. À ce propos, force est de constater que la dernière campagne initiée par l'Institut national de la prévention et de l'éducation pour la santé l'automne dernier, pour un coût évalué à 1 million d'euros, a eu un impact des plus limités. Je ne suis d'ailleurs pas certain que nous aurions été nombreux, si l'on nous avait posé la question, à pouvoir dire que nous étions au courant ! Et pour ma part, c'est par le plus grand des hasards que je l'ai appris : aucune information n'a été relayée par les bailleurs sociaux, les sociétés de promotion immobilière ou les amicales de locataires. Nous avons impérativement des efforts à faire en la matière. Au Royaume- Uni – référence dans ce domaine – l'installation de détecteurs n'est devenue obligatoire qu'à l'issue d'un long processus d'information préalable et au terme d'une longue campagne de sensibilisation.

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