Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de mon émotion. Notre assemblée examine aujourd'hui en deuxième lecture une proposition de loi que nous avions, avec mon collègue Pierre Morange, initiée en 2005 afin de diminuer sensiblement le nombre de décès par incendie domestique. Il n'est en effet pas acceptable que des familles entières soient décimées ou mutilées par la perte d'un père, d'une mère ou d'enfants tués par l'émanation de fumées.
Malheureusement, il ne se passe pas de semaine sans qu'un fait divers dramatique vienne rappeler les conséquences effroyables que peut provoquer un incendie. Ainsi, le 30 avril dernier, dans la région de Nantes, il est neuf heures trente quand un incendie se déclare dans une maison située en centre bourg d'un village. Des ouvriers, qui travaillent dans la rue, voient une épaisse fumée sortir de la cheminée. Ils se précipitent vers la maison. Une jeune femme est en train de prendre son petit-déjeuner au rez-de-chaussée. Son fils, âgé de trois ans, dort dans sa chambre à l'étage. Elle monte rapidement l'escalier. Elle ne redescendra jamais. D'épaisses fumées ont déjà envahi le deuxième étage, son fils est déjà mort ; elle-même périra peu après, intoxiquée.
Nous devons sans tarder compléter notre législation pour donner un signal fort à nos concitoyens, car ce cas d'incendie domestique n'est pas rare. Les statistiques le prouvent : 90 571 incendies d'habitation se produisent par an ; le bilan est lourd – plus de 10 000 victimes, dont plus de 500 décédées, 30 % d'entre elles sont des enfants. Les décès surviennent à 70 % la nuit : surprises dans leur sommeil par la fumée toxique et par la propagation de l'incendie, les victimes n'ont pas le temps de fuir. Selon l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'incendie est, parmi les accidents domestiques, la deuxième cause de décès des enfants de moins de cinq ans.
Chacun de nous est concerné. L'incendie domestique peut survenir dans n'importe quel foyer. Une maladresse et c'est la vie de toute une famille qui peut basculer en quelques secondes. Équiper nos logements d'un détecteur de fumée est une mesure utile si nous voulons réduire et prévenir à l'avenir les risques d'incendie domestique. C'est l'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Il s'agit d'un appareil simple et peu coûteux qui permettra de sauver plus de trois cents vies par an. C'est tout ce qui compte !
Comment fonctionne le dispositif que nous proposons de rendre obligatoire ? Lors d'un départ d'incendie, un avertisseur sonore se déclenche aussitôt que sont détectées les premières fumées. Pour le poser deux vis suffisent et la maintenance consiste simplement à changer une pile chaque année. Rien de plus simple ! Le tout est peu onéreux : de 15 à 20 euros pour un appareil dont la durée de vie est de cinq ans en moyenne. Je suppose qu'une fois le texte adopté, les fabricants produiront en grande quantité des appareils de bonne qualité à la norme NF, ce qui provoquera sans nul doute une baisse des prix à l'achat.
L'installation d'un détecteur de fumée dans nos logements ne résoudra pas tous les accidents domestiques, mais je suis certain qu'il épargnera, à terme, de nombreuses vies. Cette loi est une étape, un élément capital de la stratégie globale que les pouvoirs publics et les professionnels doivent mettre en oeuvre en matière de politique de prévention des risques d'incendie.
Aujourd'hui, en France, la maîtrise du feu en vue d'éviter les victimes multiples et sa propagation au voisinage est largement assurée par l'ensemble des secours. Mais il n'en est pas de même pour les particuliers chez qui l'incendie s'est déclaré : le plus souvent, ils périssent, faute d'avoir été alertés à temps, dès le début de l'incendie. Cette situation est révélatrice des véritables enjeux. La solution n'est pas d'améliorer la rapidité des secours, elle consiste surtout à détecter précocement la naissance d'un feu, afin d'avertir les victimes dès la première minute et d'augmenter leurs chances de fuite, donc de survie. Seul un appareil capable de suppléer la vigilance de l'homme, de jour comme de nuit, en est capable.
Contrairement aux entreprises, administrations et collectivités, qui sont soumises à une stricte réglementation en matière de sécurité incendie – laquelle prévoit obligatoirement des moyens de détection et d'alerte précoce –, les logements français ne sont soumis à aucune réglementation permettant aux personnes d'être alertées de la naissance d'un feu chez elles. Cette lacune est d'autant plus regrettable que l'expérience étrangère démontre que la présence de détecteurs de fumée dans les logements réduit très fortement le risque de décéder lors d'un incendie d'habitation. Dans les pays dotés d'une législation imposant l'installation de détecteurs avertisseurs autonomes de fumée et où le taux d'équipement des foyers est supérieur ou égal à 85 %, on constate en effet une réduction de 50 % du nombre des décès dus aux incendies d'habitation et du nombre des incendies nécessitant l'intervention des secours.
Ces dernières années, deux pays européens ont rendu obligatoires les détecteurs de fumée dans les logements : les Pays-Bas, qui imposent désormais l'équipement en DAAF aussi bien dans l'habitat collectif qu'individuel, et la Belgique, qui a légiféré en 2004 et 2005 sur la présence des détecteurs avertisseurs autonomes de fumées dans les logements. Dans ces pays, on constate que les foyers non équipés sont très exposés au risque, puisque 50 % des incendies s'y déclarent et que 75 % des décès y surviennent. Aux États-Unis enfin, l'adoption de la loi a permis de faire chuter le nombre de décès par incendie domestique de 6 000 en 1978 à 3 640 en 1995. Il en est de même en Grande-Bretagne où, depuis l'adoption de la loi, les décès ont nettement régressé, passant de 700 par an dans les années quatre-vingts à 450 en 1994.
Ces chiffres parlent d'eux-mêmes et prouvent sans nul doute l'efficacité d'un tel dispositif. C'est pourquoi je regrette l'action souterraine de lobbies qui, derrière des arguments de façade, essayent, pour des raisons bassement financières, d'empêcher le vote de cette loi. Je ne peux accepter que l'on refuse d'équiper les logements en raison du coût d'un détecteur de fumée ! Je ne peux accepter que la vie humaine soit à ce prix et qu'au motif d'économies de pacotille, certains mettent en danger la vie d'autrui !
Le rôle du détecteur de fumée est essentiel. Il détecte les fumées dès les premières secondes du départ d'un incendie et cette détection précoce permet d'alerter les victimes d'un feu qui se développe à leur insu. Le DAAF, en France comme à l'étranger, va jouer un rôle crucial sur les 40 % d'incendies d'habitation qui nécessitent l'intervention des secours. Selon le Home Office britannique, 68 % des incendies détectés par une alarme dans les bâtiments habités peuvent être limités à l'endroit où ils ont pris naissance, contre 41 % en l'absence d'alarme, et 98 % peuvent être circonscrits à la pièce même où ils ont pris naissance. Vous comprendrez, au regard de ces chiffres, le rôle important du DAAF.
Alors, pourquoi légiférer ? Depuis plus de trois ans que nous avons engagé le débat avec Pierre Morange, j'ai rencontré de nombreux acteurs de la prévention et de la lutte contre l'incendie. Leur avis est unanime sur l'obligation d'installer au moins un détecteur dans chaque habitation. L'appareil doit être certifié, ce qui permet une meilleure traçabilité des détecteurs de la production à la distribution, tout en garantissant une qualité suffisante.
Les campagnes d'incitation ont déjà été nombreuses. Encore récemment, le SDIS de Loire-Atlantique a édité une plaquette remarquable d'information et d'explication. Toutefois, il apparaît nécessaire de légiférer pour obtenir en peu de temps un taux d'équipement convenable – pour l'heure, il ne dépasse pas 1 %. Mais tout cela ne suffira pas si le Gouvernement ne lance pas parallèlement de grandes campagnes d'information pour apprendre à nos concitoyens comment réagir lorsqu'un détecteur de fumée signale un incendie. Il faudra mobiliser tous les acteurs – Gouvernement, SDIS, assureurs et fabricants – pour diffuser au maximum l'information.
Comment s'opposer à la philosophie de cette proposition de loi quand la commission de sécurité des consommateurs, autorité administrative indépendante, nous a fait part à nouveau de son soutien, le 17 avril dernier ? « Sans attendre cette obligation légale – souligne-t-elle –, la commission de la sécurité des consommateurs encourage les consommateurs à installer des détecteurs de fumée dans leurs logements. »
Permettez-moi enfin d'adresser mes plus sincères remerciements à Mme la ministre du logement, à Mme la ministre de l'intérieur, à M. le secrétaire d'État à la consommation, à notre président de groupe Jean-François Copé, au président de la commission Patrick Ollier, pour le soutien déterminé qu'ils nous ont témoigné tout au long de la préparation de ce texte.