Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Christian Paul

Réunion du 21 juillet 2009 à 9h30
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Paul :

La politique culturelle de la France en 2009, mes chers collègues, c'est d'abord surveiller et punir. Nous relirons volontiers Platon, monsieur le ministre, si vous-même consentez à relire Michel Foucault.

Chacun l'a compris, HADOPI 2 est pour le Gouvernement le combat de trop : une interminable oeuvre dilatoire à laquelle vous associez votre nom à celui de Mme Alliot-Marie. Mme la garde des sceaux a rappelé en commission, non sans humour, qu'une loi peut parfois perdre son autorité. Oui, le projet de loi HADOPI a perdu son crédit et son autorité avant même d'être voté. C'est en quelque sorte un texte maudit : ce matin encore, la commission des affaires culturelles était désertée par la majorité. Et cette malédiction ne s'explique pas seulement par des maladresses, mais par le fond même d'une loi juridiquement incertaine. Heureusement, reprenant nos critiques, le Conseil constitutionnel a censuré HADOPI 1 et a établi au passage une jurisprudence historique sur la liberté d'accès à internet.

Cette loi est inquiétante pour nos libertés, car elle ouvre une brèche en rendant possible, pour la première fois, une surveillance généralisée et automatisée de l'internet. Cette loi est inapplicable, pour d'évidentes raisons technologiques. Cette loi est inefficace, car elle fait miroiter une promesse aux yeux des artistes : pour eux, depuis des années – hier avec la loi DADVSI puis avec la loi HADOPI 1, aujourd'hui avec la loi HADOPI 2, demain peut-être avec la loi HADOPI 3 ou HADOPI 4 –, c'est « la torture par l'espérance » – et, là, monsieur le ministre, c'est Villiers de l'Isle-Adam qu'il vous faut relire.

Nous n'aurons de cesse, pendant les jours et les nuits prochains, de démontrer devant notre assemblée – qui, dans une démocratie devenue docile et paresseuse, reste une tribune pour l'intérêt général – qu'il s'agit d'une mauvaise loi. Mais le débat qui va nous occuper concerne avant tout la création et la culture, et c'est à vous, monsieur le nouveau ministre de la culture, que je voudrais m'adresser en priorité.

Nous devons inventer une civilisation, une économie dans laquelle il faut innover, et nous devons également reconnaître de nouveaux espaces libres de partage, hors des lois simples du marché – car les deux impératifs sont complémentaires.

Vous avez parlé, ce matin, du « caniveau » de l'internet. Cette diabolisation était-elle bien utile ? L'internet, ce n'est pas un autre monde, c'est notre monde, mais j'ai peur que vous ne l'abordiez bien mal.

Il s'agit d'un débat de civilisation, et non d'une médiocre controverse. Nous sommes à l'un de ces moments où une société doit désigner clairement le chemin qu'elle veut emprunter. Quelques repères résument les enjeux du débat.

L'économie ne nous fait pas peur, monsieur le ministre. Il y a d'ailleurs, dans ce débat, beaucoup trop de lobbyistes et peut-être pas assez d'économistes : je ne connais pas un économiste sérieux qui vous accompagne dans ce texte. Chacun sait bien que la valorisation des oeuvres culturelles dans l'âge numérique n'est pas chose aisée. Chacun sait aussi que les nouveaux modèles économiques peinent à apparaître. Nous croyons pourtant qu'ils sont possibles, pour peu que l'on renonce aux effets de rente et aux effets de peur. Aujourd'hui, la nouvelle économie culturelle stagne, c'est vrai, bien souvent parce que les industries culturelles ont cherché en vain à bâtir des lignes Maginot, en se détournant de l'innovation. Dans cette nouvelle économie, en effet, les catalogues sont verrouillés, les opérateurs de télécommunications cèdent la bande passante à des tarifs prohibitifs qui empêchent les nouvelles entreprises d'édition numérique de vivre. Jusqu'à ces derniers jours, la chronologie des médias, heureusement modifiée, illustrait tous ces contresens.

Il est un autre repère dont vous n'avez pas pris la mesure : la place de la gratuité. C'est d'ailleurs peut-être le péché originel, philosophique, de votre loi. Dans le monde numérique, la gratuité n'est pas le vol. Elle est la simple conséquence d'une révolution technologique. Mais la gratuité d'accès ne doit pas se confondre avec l'absence de rémunération pour les créateurs. Il y a vol quand il y a contrefaçon : nous combattons la contrefaçon, qui est réprimée par la loi. Il y a vol aussi quand les artistes sont mal – voire pas du tout – rémunérés. Or l'économie culturelle légale est très riche en exemples de rémunérations faibles, voire inexistante, pour les créateurs.

S'il est aujourd'hui question de gratuité, c'est parce que nous avons derrière nous la longue histoire de la reproduction et de la diffusion des oeuvres culturelles tout au long du xxe siècle. À chaque étape, le coût de reproduction a été réduit, le coût de diffusion abaissé.

Dans ce débat s'opposent une pédagogie de la gratuité et une pédagogie du marché. Peut-être saurait-on réconcilier les deux si la pédagogie du marché, telle que vous la mettez en avant, n'était rendue impossible quand le marché lui-même accepte la gratuité comme l'un de ses principaux modèles économiques. C'est le cas, vous le savez bien, pour la presse, mais aussi, déjà, pour la musique et les contenus audiovisuels. Des millions de morceaux de musique ou de films sont aujourd'hui accessibles gratuitement dans des conditions de légalité que vous ne contestez pas. Comment faire comprendre aux jeunes Français qu'ils peuvent en permanence, où qu'ils soient, écouter de la musique ou regarder des films sur leurs appareils nomades, mais que, dès qu'ils veulent télécharger les mêmes oeuvres sur l'un de ces appareils, cela devient illégal ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion