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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 21 juillet 2009 à 9h30
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

Afin de combler les béances ouvertes par la censure constitutionnelle du fait de l'amateurisme d'un gouvernement affublé d'oeillères élyséennes, vous avez donc concocté un patch pénal plus répressif encore que la première mouture du projet : la commission de protection des droits ayant été privée de tout pouvoir de sanction propre, ce volet passera désormais par le juge. Certes, nous le demandions, à défaut de solutions alternatives pour la rémunération de la culture... mais nous n'en demandions pas tant !

Comment, dans le contexte actuel, contourner les contraintes résultant des réductions budgétaires et de la réforme de la carte judiciaire, contraintes qui interdisent le recours à la procédure classique pour un tel volume de contentieux : 50 000 condamnations envisagées par an ? Comment conserver le caractère expéditif de la sanction, déjà à l'oeuvre dans HADOPI 1 ? Comment s'affranchir d'un vrai jugement, d'une comparution en bonne et due forme, de l'exigence du contradictoire, minimiser à la fois l'expression des droits de la défense et l'appréciation souveraine des juges dont votre gouvernement se méfie comme de la peste ? Autant de questions indécentes auxquelles vous avez trouvé la réponse en décidant de recourir à l'ordonnance pénale et à la procédure simplifiée. Dans les faits, ce n'est ni plus ni moins que la transposition à la justice du traitement automatisé des sanctions prévu par HADOPI 1.

En effet, l'ordonnance pénale a été créée sur mesure pour les contraventions routières, contentieux de masse matériellement simple à prouver. Il est vrai que, depuis son apparition, son champ d'application a été constamment élargi, au mépris des droits de la défense. Le Sénat avait d'ailleurs écarté une nouvelle extension lors de la discussion du projet de loi pour la simplification du droit. Le rapport du sénateur Saugey était éloquent : « Votre commission est particulièrement réservée face à cette extension massive du champ de l'ordonnance pénale [...]. Il s'agit d'une procédure écrite et non contradictoire basée essentiellement sur les faits établis par l'enquête de police et au cours de laquelle la personne n'est, à aucun moment, entendue par l'institution judiciaire. »

Vous avez bien entendu, monsieur le ministre, et j'imagine que vous ne voulez pas être dans le rôle de Fouquier-Tinville, qui condamnait – certes, dans d'autres circonstances – les accusés sans les faire comparaître et sans leur laisser le droit de s'exprimer. C'est pourtant ce que votre texte prévoit.

M. Saugey poursuit : « Si l'ordonnance pénale a montré son utilité dans le traitement de contentieux entièrement simples, telles les infractions au code de la route, elle n'est pas nécessairement adaptée pour des contentieux plus complexes. Comme l'ont fait observer les magistrats entendus lors de l'examen de ce texte, étendre le champ d'une procédure rapide et dépourvue de publicité apparaît contradictoire avec la volonté affichée par les pouvoirs publics de renforcer la transparence de l'institution judiciaire. Un recours systématisé à la procédure de l'ordonnance pénale pourrait affecter la qualité de la justice. » Voilà, mes chers collègues, le rapport de la commission des lois du Sénat. Vous ne pourrez pas dire ensuite que vous ne saviez pas ! On se délecte à la lecture des lignes que je viens de citer...

De plus, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision du 10 juin, qu'« il n'y a pas d'équivalence possible entre la situation de l'internaute et de l'automobiliste ». Monsieur le ministre, je vous assure qu'il faut lire les travaux du Conseil constitutionnel car on ne peut pas être compétent dans tous les domaines. Vos compétences sont fort nombreuses mais, de grâce, ne vous mêlez pas du code de la route, sinon vous allez nous emmener dans le fossé ! Nous voulons vous protéger du fossé que constitue HADOPI.

Qu'en est-il de l'extension de l'ordonnance pénale aux délits de contrefaçon ? En l'état actuel du texte, les agents assermentés de l'HADOPI qui flasheront, sur les réseaux, une adresse IP déjà repérée pour téléchargement d'une ou plusieurs oeuvres auxquelles sont attachés des droits d'auteur ou des droits voisins dresseront un procès-verbal des faits constatés et « susceptibles de constituer des infractions », qu'ils transmettront à un juge unique. Si le juge estime que les preuves réunies sont suffisantes, il rendra une ordonnance pénale déclarant le prévenu coupable et prononcera une peine à son encontre : peine pécuniaire assortie d'une peine complémentaire de suspension de l'accès à internet, cette dernière pouvant se substituer à la peine principale. À ce stade de la procédure, qui aboutira pourtant à des sanctions particulièrement sévères, aucune audience n'est organisée, pas plus que la recherche de preuves matérielles tangibles ; et il n'y a aucune place pour un débat contradictoire. Si le prévenu ne réagit pas, il est donc condamné sans autre forme de procès, au mépris des droits de la défense. L'élargissement du jugement par voie d'ordonnance pénale aux infractions relatives aux droits d'auteur revient de fait à instaurer une présomption de culpabilité contraire, je le répète, aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel.

Pour résumer, un juge unique assurera le travail que le Conseil constitutionnel a refusé de confier à la commission des droits de l'HADOPI, et pourra ne prononcer que la suspension de l'accès à internet du prévenu. Sur ce dernier point, force est de constater que cette peine complémentaire privative de liberté d'expression et de communication à laquelle le projet confère un statut contraventionnel est largement disproportionnée et certainement anticonstitutionnelle.

Mais revenons à l'ordonnance pénale. Qu'en dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002 ? On lit, au considérant no 77, que « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable ». Et les sages de poursuivre, dans le considérant no 78 : « [...] aux termes de l'article 495 du code de procédure pénale, le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ». Enfin, les membres du Conseil estimaient dans le considérant suivant que « si l'article 495-1 du même code donne au ministère public le pouvoir de choisir la procédure simplifiée, dans le respect des conditions fixées par l'article 495, c'est en raison du fait que la charge de la poursuite et de la preuve lui incombe ».

Monsieur Bockel, en tant que secrétaire d'État auprès de la garde des sceaux, ne voyez-vous pas certaines contradictions insurmontables entre les dispositions de ce projet de loi et la décision que je viens de citer ? Ce sont les mêmes contradictions que nous n'avons eu de cesse de vouloir corriger lors des discussions qui ont animé notre hémicycle à l'occasion du projet de loi HADOPI 1.

Contentons-nous de comparer le nouveau projet de loi avec le considérant no 78 : en premier lieu, les infractions visées ne feront pas l'objet d'une enquête de police judiciaire puisque ce sont les agents assermentés de l'HADOPI ou les membres de la commission de protection des droits – une autorité administrative, je le rappelle – qui fourniront au juge un dossier ficelé... et quel dossier ! En l'absence d'enquête de police judiciaire, sur quel fondement les faits reprochés au prévenu seront-ils réputés établis ? Sur la seule foi de la constatation sur les réseaux, via l'adresse IP, de faits susceptibles de constituer les infractions ! Et cette même adresse IP serait de nature à établir que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ! On croit rêver !

Devons-nous encore une fois vous faire la démonstration que ce type de relevé est loin d'être suffisant pour établir la culpabilité d'un internaute ? Nous le craignons. Combien de jugements comme celui de Guingamp, le 23 février dernier, seront nécessaires pour que le Gouvernement et la majorité ouvrent les yeux et se rendent à l'évidence de la complexité qui préside à l'établissement d'une preuve sur les réseaux ?

Vous le voyez, mes chers collègues, en l'état actuel, ce texte ne garantit pas plus de droits à la défense que le projet HADOPI 1. Non contents d'étendre le champ de l'ordonnance pénale au mépris des droits de la défense, vous aménagez cette procédure en permettant aux ayants droit victimes de se porter partie civile et de demander au juge de se prononcer par la même ordonnance sur leur action, parallèlement à l'action publique.

C'est un dispositif inédit, une entorse au code de procédure pénale, dans la mesure où, aux termes de son article 495, alinéa 9, l'ordonnance pénale fait barrage à l'action civile. Autrement dit, vous aménagez le code au bénéfice des ayants droit et des victimes. Pis : le texte prévoit de les informer diligemment pour qu'ils puissent ester en justice.

Quelle différence de traitement, chers collègues ! Certaines de vos circonscriptions ont été victimes de catastrophes naturelles. Souvenez-vous de la difficulté d'obtenir qu'un arrêté interministériel soit pris ! Et vous le savez comme moi : la plupart du temps, ces arrêtés sont pris entre Noël et le 1er janvier, puis publiés au Journal officiel, et les victimes n'ont que dix jours pour saisir leur compagnie d'assurance. Voilà la différence de traitement entre les victimes, selon qu'elles sont riches ou sont vraiment des victimes !

Nous sommes loin, très loin de la pédagogie prônée par Mme Albanel, et encore davantage de celle prônée tout à l'heure par Mme Alliot-Marie ! Il est vrai que le ton martial sur lequel elle nous promet de la pédagogie, rappelle davantage Rabelais que Rousseau ou Henri Wallon. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Loin de faire amende honorable, messieurs les ministres, de laisser ce texte absurde et dangereux reposer en paix aux oubliettes des caprices présidentiels et des effets d'opportunisme, au lieu de convoquer un grand débat sur la culture et la création sur internet, au lieu de consulter enfin les artistes et les usagers d'internet, voilà que, comme frappés de cécité et de surdité, vous vous entêtez et nous présentez une nouvelle mouture de la loi, encore pire que la précédente.

Nous faisons inlassablement des propositions. Pourquoi ne pas instituer une licence collective étendue, une contribution créative ? Pourquoi ne pas prélever une fraction des bénéfices des fournisseurs d'accès à internet ? Vous les mettez déjà à contribution en les obligeant à adapter leurs installations pour pratiquer les milliers de coupures de connexion quotidiennes, et pour fournir une partie du maigre financement que vous accordez à la télévision publique.

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