Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais rassurer M. le ministre : nous sommes pour le développement durable, qui implique, au moins pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies, la croissance verte. En même temps, nous avons parfaitement conscience que, avec le réchauffement climatique, le modèle de développement économique que nous connaissons depuis la révolution industrielle va dans le mur. Diviser nos émissions de gaz à effet de serre par quatre à l'horizon 2050, c'est un défi que nul n'a jamais eu à relever dans l'histoire. Il suppose que nous utilisions tous les outils, tous les instruments à notre disposition, que nous nous attaquions au problème dans tous les domaines.
Une des conditions du développement durable – nécessaire mais, mon collègue Cochet le reconnaîtra volontiers, pas suffisante –, c'est que, dans le domaine économique, le prix des biens qui sont échangés sur les marchés prenne en compte le coût, pour l'humanité, de la destruction de l'environnement. Cela implique deux choses : que l'on fixe des contraintes quantitatives, des quotas d'émission, et un marché d'échange permet de donner une valeur à ces contraintes, ou que l'on introduise une taxe écologique – en l'occurrence une taxe carbone. Les pays qui s'attaquent réellement au réchauffement climatique utilisent d'ailleurs les deux instruments – le Danemark, la Suède, la Grande-Bretagne –, et il faut vraisemblablement, en effet, cumuler les deux.
On lit, dans l'article 2, que « l'État étudiera la création d'une contribution dite “climat-énergie” ». On a récemment entendu le Président de la République affirmer que cette contribution pourrait abonder un financement pérenne et remplacer, en partie, la taxe professionnelle. Il me semble qu'il y a urgence à mettre en place une taxe carbone. Lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative concernant le plan de relance, le groupe socialiste a d'ailleurs proposé un amendement, que n'a pas voté la majorité, et qui comportait un tel dispositif.
Vous avez demandé à la commission présidée par M. Quinet un rapport qui fournit de bons éléments pour construire une telle taxe carbone : il indique que la valeur de la tonne de dioxyde de carbone est aujourd'hui de l'ordre de 32 euros, qu'elle devrait passer à 56 euros en 2020, à 100 en 2030 et entre 150 et 350 à l'horizon 2050.
Cependant, une taxation écologique n'a pas vocation à être pérenne, et je suis surpris que le Président de la République dise que cela pourrait abonder un financement pour les collectivités locales. Si elle est efficace, une taxe écologique fait disparaître son assiette. Sa logique n'est donc pas de rapporter à l'État sur le long terme.
D'autre part, en matière de taxation écologique, on a toujours buté sur une réalité : pour qu'une taxe soit incitative, il faut qu'elle soit forte ; si elle est forte, elle crée des difficultés. Pour les ménages, il faut compenser le coût de la taxe écologique par une part de redistribution : c'est la logique d'utilisation du deuxième dividende pour une politique redistributive qui permettrait par exemple aux ménages modestes de ne pas supporter le coût d'une taxe carbone. Pour ce qui est des entreprises, les pays qui ont mis en place des taxations écologiques efficaces – comme, je crois, la Suède – ont également suivi une politique redistributive. On peut imaginer qu'on taxe la consommation de carbone des entreprises et que, en contrepartie, on redonne une partie de cette taxe proportionnellement à l'emploi créé. Cela offre bel et bien un double dividende, y compris en termes incitatifs, puisque cela favorise les économies d'énergie tout en stimulant l'emploi. Il est urgent que nous ayons ce débat. Le groupe socialiste fera d'ailleurs rapidement des propositions dans ce domaine.
De tout cela résulte, en tout cas, que, pour être efficace, une taxation écologique doit être solidaire. Cette solidarité doit, du reste, être également appliquée à l'échelle internationale. À ce propos, l'article 2 mentionne le mécanisme d'ajustement aux frontières. Un tel dispositif est, certes, nécessaire si l'on veut que les échanges mondiaux incorporent le coût de l'émission de carbone pour l'humanité. Mais une contrepartie est nécessaire, laquelle pourrait prendre la forme du principe général énoncé dans l'amendement de M. Le Déaut, principe selon lequel les innovations destinées à lutter contre le réchauffement climatique dans les pays développés doivent être transmises au coût le plus bas aux pays en développement.
Enfin, il y a urgence. La situation économique actuelle contraint tous les pays du monde à mettre en oeuvre des plans de relance. Au reste, celui qui a été élaboré par le Gouvernement n'est, selon nous, pas suffisant ; il devrait représenter deux points de PIB, cette année comme l'année prochaine. Or, dans son rapport, Nick Stern estime que plus on attend, plus le coût de la lutte contre le réchauffement climatique est élevé et que si l'on y consacrait chaque année jusqu'en 2020 au moins 1 % du PIB, on parviendrait à inverser la tendance.