Je vais peut-être vous surprendre, mais après tout pourquoi pas ?
Il pourrait en effet paraître séduisant pour un salarié, ouvrier ou cadre, notamment en période de crise, d'entrer dans une société en se disant que si, à un moment donné, il n'a plus de travail dans son entreprise, il pourra en trouver dans l'entreprise voisine si tant est qu'elle soit voisine et que le travail corresponde à ses qualifications. Malheureusement, les choses ne sont pas aussi idylliques. Les partenaires sociaux vous ont sollicité pour savoir ce que cache cette proposition de loi, car ils ont été informés de son contenu réel par la presse, par vous sans doute et par nous-mêmes puisque nous les avons rencontrés. Ils veulent savoir s'il ne s'agit que d'un petit rectificatif juridique permettant de contourner la jurisprudence ou s'il y a là un vrai débat de fond, une réorientation de la société ce qui, d'une certaine façon, doit les inquiéter, comme nous d'ailleurs.
Il faut néanmoins relativiser le phénomène.
Aujourd'hui, 4 500 personnes font régulièrement l'objet de ce type de procédure et 3 000 demandeurs d'emplois supplémentaires se précipitent tous les jours vers Pôle emploi. C'est dire à quel point le sujet dont nous parlons est mineur par rapport aux problèmes que rencontrent les millions de Français confrontés à la montée du chômage. Il ne faut pas se voiler la face ! Je sais bien que les petits ruisseaux font les rivières qui, elles-mêmes, font les fleuves, mais il faut relativiser.
Néanmoins, ce qui inquiète les partenaires sociaux c'est que nous légiférions a minima. En effet, soit nous sommes là simplement pour corriger les petites dérives imposées par la jurisprudence, soit nous faisons une révolution avec une mobilité professionnelle assortie de toutes les sécurités connexes allant dans le sens de l'intérêt des salariés, auquel cas il faut en discuter car, si vous adoptez tous les amendements que nous vous proposerons, les salariés seront sécurisés.
Tout n'est pas contestable dans les accords qui ont été passés ; encore faut-il les appliquer intégralement. C'est sans doute ce que vous diront les partenaires sociaux, avec néanmoins certaines réserves.
D'abord, tous les syndicats n'ont pas signé, et ceux qui l'ont fait ont exprimé des réserves, ce en quoi ils ont sans doute raison. Si on veut aller au bout de la logique, ce n'est donc pas un petit phénomène.
Selon Les Échos, près d'un salarié sur deux a changé de travail ces cinq dernières années. L'important est de savoir comment ils changent de travail. Trouvent-ils un nouveau contrat de travail après une formation, une reconversion, ou leur impose-t-on un autre travail à travers un prêt de main-d'oeuvre ?
Le même article nous apprend que ce sont en réalité les salariés les moins qualifiés, les ouvriers et ceux qui sont déjà en difficulté, qui pourraient faire l'objet des prêts de main-d'oeuvre les moins valorisants. En effet, si un cadre peut faire des kilomètres en TGV ou en avion pour aller travailler dans une entreprise performante pendant deux ou trois mois et revenir ensuite dans son entreprise d'origine, le problème se pose pour ceux qui, comme chez les sous-traitants de la sidérurgie dans la région que je connais bien, n'ont aujourd'hui aucune perspective parce qu'on ne leur offre rien, on ne leur promet rien. Et s'ils ont une possibilité, c'est à cinquante ou soixante kilomètres, pour un salaire de misère et sans les droits connexes dont nous traiterons dans nos amendements.
La montagne va-t-elle accoucher d'une souris, comme nous le pensons ? Allons-nous nous en tenir à un simple correctif juridique, ce qui tranquillisera les employeurs mais ne sécurisera en rien les salariés, ou allons-nous engager une vraie réflexion, une vraie négociation, auquel cas je rejoins mes collègues : il fallait laisser les syndicats discuter, négocier, avant de légiférer en fonction de ce qu'ils avaient proposé.