Souvent obscur, complexe et changeant, le droit du travail est peu ou mal appliqué, alors que la société se transforme rapidement.
Si toutes les branches du droit se voient reprocher leur complexité et leur instabilité, le droit du travail fait l'objet de critiques particulièrement vives, formulées tant par les usagers ou destinataires de ce droit – salariés, entreprises – que par les producteurs de normes eux-mêmes : Parlement, administrations, juges, partenaires sociaux.
La complexité du droit n'est pas surprenante puisque la société est elle-même devenue plus complexe à organiser. C'est particulièrement vrai pour l'organisation des relations de travail.
Ainsi, quelques règles qualifiées naïvement de « simples » ne suffiraient évidemment pas à organiser efficacement la durée du travail, l'épargne salariale ou le licenciement pour motif économique. Ce n'est donc pas la complexité inhérente à la règle juridique qui dérange, mais plutôt celle qui résulte du caractère insatisfaisant de la production des normes.
La recodification vient en partie répondre à ces difficultés. Les parlementaires de la majorité saluent donc le travail qui a été accompli : c'est presque un exploit, tant la tâche confinait à la gageure.
Cette recodification était effectivement une impérieuse nécessité, car le code du travail était devenu le recueil caricaturé d'un droit complexe réservé à des experts, alors qu'il devrait être un droit quotidien respecté et appliqué par tous, salariés ou responsables hiérarchiques, dont le droit n'est pas le métier.
Le code du travail devrait être au salarié et à l'employeur, ce que le code de la route est à l'automobiliste et à l'agent de la circulation ! La législation du travail est devenue presque plus complexe que la législation fiscale, car le code ne résume pas lui-même le droit applicable, stratification compliquée d'éléments contractuels que sont le contrat de travail, l'accord d'entreprise ou d'établissement et quelquefois même l'accord de groupe, la convention collective applicable à la branche et le code du travail. Or le droit du travail a une fonction de protection du salarié. Si la complexité n'est pas l'apanage du droit du travail, elle a, le concernant, des conséquences dramatiques dans la mesure où employeurs et salariés font quotidiennement et en permanence du droit du travail, comme M. Jourdain faisait de la prose.
Le Conseil constitutionnel peut considérer que l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, ainsi que la « garantie des droits» requise par son article 16 ne sont pas effectives si le citoyen ne dispose pas d'une connaissance suffisante des normes qui lui sont applicables. Cette complexité, maintes fois dénoncée, entrave indirectement et curieusement 1'effectivité du droit ; dès lors l'adage « nul n'est censé ignorer la loi » devient surréaliste. La commission de Virville, énonçait dans son rapport que : « Avant même de songer à agir sur la forme ou sur le contenu des règles, il est indispensable de faciliter l'accès de tous les usagers – salariés, employeurs, organisations professionnelles, avocats, juges... , au corpus de règles qui compose le droit du travail. Il n'existe pas à l'heure actuelle d'instrument fiable et facilement accessible regroupant l'ensemble des normes applicables. Le code du travail lui-même ne contient qu'une partie des dispositions législatives et réglementaires pertinentes. » C'est une réponse à une partie des critiques formulées !
De multiples causes expliquent la place trop importante du tissu législatif dans le droit français du travail. Quelles que soient ces raisons – faiblesse relative du dialogue social, fort interventionnisme du législateur –, l'excès de textes législatifs a des effets dévastateurs, car en s'immisçant dans des questions de détail, la loi nuit à la clarté des textes et en rend malaisée l'accessibilité. Ainsi, quel directeur de ressources humaines saurait faire la liste des sujets sur lesquels il faut qu'il informe ou informe et consulte le comité d'entreprise sans s'appuyer sur des documentations épaisses et les conseils avisés et coûteux d'avocats spécialisés ? Quel salarié connaît vraiment ses droits, alors que les sources sont au moins triples : légales, conventionnelles et contractuelles ?
Des collègues ont été récemment mandatés par notre groupe pour étudier les freins à la mobilité professionnelle. Se faisant, ils s'intéressèrent aux possibilités offertes par le code du travail permettant d'établir des passerelles d'un contrat à un autre comme, par exemple, le droit à suspension d'un lien contractuel pour tenter une nouvelle expérimentation professionnelle. Quelle ne fut pas leur surprise en découvrant le nombre de droits à congé qui existent déjà dans la législation du travail, mais que beaucoup ignorent ou ne savent utiliser avec pertinence pour faire avancer un projet professionnel. Puis-je refuser le nouveau poste qu'on me propose ? Ai-je le droit de prendre des congés par anticipation ? Qu'est ce que je risque à ne pas respecter mon préavis ? Je suis en CDD et on m'offre un CDI, puis-je ne pas aller au bout de mon engagement en cours ?
Toutes ces questions que se posent les salariés vous semblent à vous, experts, sans doute bien basiques. Les employeurs s'en posent d'autres. Par exemple : je souhaite déménager mes locaux dans un nouvel immeuble distant de vingt-cinq kilomètres, mais il n'est pas encore desservi par la ligne de bus ou de tram encore en construction, que dois-je faire vis-à-vis de mes salariés ? Je souhaite organiser des entretiens d'évaluation, quelle instance représentative dois-je consulter ? Mon salarié vient de m'adresser une nouvelle prolongation de son arrêt maladie, puis-je renouveler d'autant le CDD du salarié qui le remplace ?
Qui et combien de personnes peuvent aujourd'hui prétendre dominer vraiment le droit de la durée du travail ou expliquer simplement le décompte des effectifs, exercice, ô combien subtil, soudainement troublé par telle ou telle nouvelle interprétation de la Cour de cassation ? Car, oui, il faut faire ce constat : il y a bien une intervention massive du juge dans l'interprétation du droit du travail, qui s'explique par la sédimentation consistant à prendre successivement des textes sur le même sujet sans réévaluation d'ensemble et sans abrogation de ce qui est devenu inutile, superfétatoire redondant ou obsolète. Un énorme travail d'interprétation a donc été confié à la jurisprudence, ce qui accroît l'insécurité juridique en raison du décalage inévitable dans le temps de la règle prétorienne et de sa possible variation, d'autant plus source de tourments qu'elle a logiquement un effet rétroactif. Un exemple bien connu des juristes de cette « libre interprétation » est le fait que le critère de majorité pour l'application de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle et au dialogue social découle du premier tour des élections professionnelles si, et seulement si, le quorum a été atteint ! Je n'en disconviens pas, mais n'est-ce pas tout de même ajouter une condition que la loi n'avait pas posée, au grand dam des directeurs des relations sociales croyant leurs accords collectifs parfaitement valides ?
La nouvelle codification privilégie des articles courts, chacun ne contenant qu'une seule idée ; elle distingue règles de forme, règles de fond, principes et dérogations.
La principale novation concerne le paiement du salaire. Les dispositions de la loi n° 78-49 du 18 janvier 1978 relative à la mensualisation sont enfin codifiées. Le comblement de cette lacune est certainement l'un des actes les plus attendus des employeurs, des salariés et de l'inspection du travail. Les dispositions relatives aux salariés protégés, actuellement éparses, sont regroupées dans le livre IV. De nombreux articles éclairent certaines notions ou situations juridiques complexes. En matière de travail temporaire, par exemple, un article définit la relation triangulaire entre le salarié temporaire, l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur. Par ailleurs, les dispositions devenues inutiles, obsolètes, transitoires ou incompatibles avec l'état de droit actuel disparaissent. Cinq cents reclassements ont eu lieu, sur tout ou partie d'un article, pour respecter le partage entre la loi et le règlement. Ils concernent la désignation des autorités administratives et des juridictions compétentes : mention de l'autorité administrative en partie législative et désignation de cette autorité en partie réglementaire – le préfet par exemple – identification de l'ordre de juridiction – juge judiciaire – côté législatif, et identification de la juridiction – tribunal d'instance – et règles de procédures, côté réglementaire. Ils intéressent également les règles de procédure : les modalités de dépôt, d'information, de communication, le contenu des rapports, délais,… sont déclassés lorsqu'ils sont manifestement de nature réglementaire. Mais certaines règles de procédure sont maintenues en partie législative lorsqu'elles sont, par exemple, une garantie des droits de la défense pour le salarié ou l'employeur, comme la mention d'une lettre recommandée avec accusé de réception.