Cette proposition de loi de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures est la seconde que nous examinons. Nous sommes en deuxième lecture, huit mois après la première, et le texte s'est, pendant tout ce temps, enrichi – mais le mot est inadapté – d'autant de nouveaux textes que d'anciens précédemment examinés. Devons-nous parler d'une deuxième ou d'une troisième loi de simplification ?
Ne parlons pas des conditions même de l'arrivée du texte dans sa version définitive jusqu'à nous ce soir, qui ont vu arriver à chaque moment de la procédure législative de nouvelles dispositions émanant du Gouvernement.
Si celles-ci n'étaient que de pure forme et allaient dans le sens de la simplification, nous pourrions encore le comprendre. Mais lorsqu'il s'agit de dispositions en matière de procédure pénale, par exemple, nous ne parlons plus de simplification mais bien d'un texte essentiel pour notre droit pénal relégué dans un débat où se télescopent tous les sujets possibles, alors même que la réforme de la procédure pénale exige un texte respectueux des droits des citoyens, protecteur des victimes, renforçant l'institution judiciaire et l'indépendance de la justice.
Mais il est vrai qu'on nous a annoncé la suppression du juge d'instruction sans autre forme de procès !
Plus que jamais, ce texte apparaît comme un fourre-tout. Toutefois, ses dispositions ne sont pas toutes anodines, tant s'en faut.
Ce texte touche aussi bien le code civil que le code de la construction et de l'habitation, le code de l'organisation judiciaire, le code de justice administrative, le code de la consommation, le code général des collectivités territoriales, le code rural, souvent cité, le code de la santé publique, le code de la sécurité sociale, le code des douanes, le code pénal et le code de procédure pénale. Sans compter nombre de lois importantes non codifiées.
Lorsqu'il s'agit, par ailleurs, de ratifier, au nom de la simplification, une cinquantaine d'ordonnances, c'est tout le travail parlementaire qui se trouve écarté de l'élaboration de la loi. Comment croire qu'un débat ne serait pas utile pour certaines d'entre elles ?
On relève dans ce texte l'utilisation d'ordonnances d'habilitation qui ne visent pas toutes à codifier, harmoniser, adapter, mais également à modifier profondément le droit lui-même. Je n'en donnerai que deux exemples : l'article 28 quater, qui vise à modifier les règles relatives aux cotisations et prestations sociales agricoles, alors même que nous connaissons les manquements du Gouvernement envers le FIPSA ; et l'article 28 terdecies, qui autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour modifier la partie législative du code de la sécurité sociale et du code rural.
Les professionnels que vous avez sollicités pour inspirer l'esprit de simplification et de clarification n'y trouvent pas leur compte. Nos concitoyens, trop souvent victimes de l'imprécision des textes que nous votons, ne sont pas mieux considérés. Et les élus que nous sommes ne peuvent que dénoncer la dérive constatée.
La loi de simplification est par ailleurs l'occasion de ratifications et de corrections d'ordonnances, avec des dispositions qui ne manquent pas de surprendre, comme l'autorisation de distribution « ordinaire », certes sous la responsabilité d'un pharmacien, de médicaments dérivés du sang ; une question qui relève davantage de la bioéthique que de la marchandisation des médicaments.
S'agissant des dispositions relatives aux professions judiciaires et juridiques, et alors même que viennent d'être connues les conclusions du rapport Darrois, un article vient étendre l'arbitrage obligatoire du bâtonnier aux conflits entre professionnels, en l'absence de conciliation, notamment, mais également au sein d'une équipe entre avocats et avocats salariés. Et l'on nous dit que l'instance d'appel est la cour d'appel siégeant en formation ordinaire et non en chambre du conseil. Faut-il en conclure, alors, que le bâtonnier est érigé en juge ?
S'agissant du droit pénal et de la procédure pénale, il est totalement inacceptable de vouloir évoquer dans ces conditions une réforme de la procédure essentielle à la garantie des droits des citoyens. Comment le Gouvernement, arguant de la prochaine réforme de l'instruction et de la suppression du juge d'instruction, a-t-il pu déposer un amendement au Sénat supprimant la réforme introduite par la loi du 5 mars 2007 relative au renforcement de l'équilibre de la procédure pénale ?
Le Sénat a fort judicieusement refusé de nouvelles dispositions qui lui étaient soumises, telles que l'extension massive du recours à l'ordonnance pénale qui se caractérise par la suppression du contradictoire pour gagner du temps, à l'article 63 ; la création d'un délit de soustraction à l'exécution d'un décret d'extradition, à l'article 65 ; la suppression d'une nouvelle proposition de définition plus large du délit de favoritisme ; ou encore la suppression brutale de la collégialité de l'instruction.
D'autres dispositions, arrivées pour la plupart en deuxième lecture, méritent attention.
Il s'agit, tout d'abord, de la généralisation de la signature électronique. Il n'est pas prudent d'accepter sa généralisation alors que le système n'en est qu'à son expérimentation et que l'informatisation de l'ensemble des tribunaux et commissariats ou gendarmeries est loin d'être acquise. Il suffit d'en visiter quelques-uns pour prendre la mesure de cela.
L'élargissement du droit d'ester en justice en lieu et place de la victime en cas de diffamation pour une association départementale des maires régulièrement déclarée, affiliée à l'Association des maires de France, doit être supprimé. En effet, la diffamation est un délit spécifique, largement lié au sentiment d'atteinte à l'honneur propre à chaque individu. Autant il paraît souhaitable de voir une association sérieuse venir à l'appui d'une victime, autant il ne serait pas sain de lui permettre de se substituer à cette même victime dans une affaire de délit de presse. Enfin, les exceptions à la règle « nul ne plaide en France par procureur » ne se conçoivent que dans les cas où, pour des raisons de fait, la victime ne peut exercer elle-même ses droits.
Un autre point auquel s'est opposé le Sénat est la tentative de suppression de la collégialité des juges d'instruction, à l'article 65 octies. Le Gouvernement, arguant de la prochaine réforme de l'instruction et de la suppression du juge d'instruction, a déposé un amendement au Sénat supprimant la réforme introduite par la loi du 5 mars 2007 relative au renforcement de l'équilibre de la procédure pénale. Il souhaitait maintenir les pôles de l'instruction sans garantir la collégialité et supprimer les postes de juge d'instruction dans tous les tribunaux qui ne disposaient pas de pôle.
Le Sénat a seulement accepté un report de l'entrée en vigueur de la loi de 2007, en attendant l'hypothétique réforme.
Cet article maintient les risques apparus lors de l'affaire d'Outreau. Il doit être écarté.
Mon collègue Dominique Raimbourg, dans la défense de son exception d'irrecevabilité, a suffisamment développé tous les autres aspects justifiant, à la seule lecture des dispositions touchant à la réforme de la procédure pénale, le rejet de cette proposition de loi.
Au terme de la seconde lecture d'un texte dit de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures, objet que chacun dans cet hémicycle s'accorde à reconnaître comme constamment nécessaire pour redonner confiance à nos concitoyens dans leur justice, que constatons-nous ?
Depuis bientôt deux ans que vous nous proposez d'y travailler, le Gouvernement a successivement supprimé les tribunaux sans concertation, annoncé la suppression du juge d'instruction sans préalable, supprimé la profession d'avoué avant même de réfléchir à l'organisation de la procédure judiciaire, laissant 2 000 salariés sans avenir professionnel et toujours dans l'expectative.
Il a pourtant commandé plusieurs rapports sur de nombreux sujets touchant à notre justice : rapports Guinchard, Varinard, Lamanda, Léger, Darrois, Coulon – et j'en oublie –, autant de documents de travail précieux au travail législatif !
Mais on préfère distiller certaines réformes au nom de la simplification du droit, alors même que ce sont des textes de lois fondateurs que nous attendons : loi sur l'organisation judiciaire, loi sur la procédure judiciaire et la procédure pénale, loi sur l'accès au droit et les professionnels du droit.
C'est bien à une dérive de la procédure législative que nous assistons, au nom de la simplification, avant même que le droit d'amendement ne soit définitivement limité et encadré.