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Intervention de Jean-Claude Fruteau

Réunion du 7 novembre 2008 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2009 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Fruteau :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme chaque année, voici venu le débat qu'aucun parlementaire d'outre-mer ne voudrait manquer et qui suscite également un grand intérêt chez nos concitoyens ultramarins. Le budget qui est soumis aujourd'hui à notre approbation est néanmoins particulier à plus d'un titre. Tout d'abord, c'est, semble-t-il, le budget qui permettra la mise en oeuvre de la loi pour le développement économique de l'outre-mer, dite LODEOM, dont l'examen devant le Parlement a souvent été annoncé mais toujours reporté. Ensuite, c'est un budget qui affiche, à première vue, une ambition forte pour les outre-mer – à première vue seulement car, dans les détails, cette ambition mérite d'être nuancée.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, comme j'ai eu l'occasion de le faire lors de votre audition devant la commission des affaires économiques, de regretter vivement la diffusion plus que tardive du document de politique transversale qui permet d'avoir une vision d'ensemble de l'action publique de l'État en faveur des outre-mer ; le budget qui nous est présenté aujourd'hui ne représente en effet que 11 % de l'ensemble de ces interventions.

Cela dit, pour ce qui est de la mission outre-mer, il faut noter que les autorisations d'engagement passent de 1,75 milliard d'euros à 1,97 milliard d'euros – ce qui représente une augmentation de 12,6 % – et les crédits de paiement de 1,72 milliard d'euros à 1,88 milliard d'euros – soit une croissance plus modérée de 9,3 %. Mais il apparaît que cette augmentation résulte pour l'essentiel de la hausse des crédits destinés à compenser les exonérations de cotisations patronales, et notamment à rattraper l'endettement colossal de l'État à l'égard des organismes de sécurité sociale. Depuis trop longtemps, la politique menée par les différents gouvernements s'est traduite par une culture de la dette.

Ainsi, pour les seules exonérations de cotisations patronales, qui représentent la majeure partie – 87,1 % – des crédits du programme 138, les impayés pour la seule année 2008 s'élèvent à plus de 355 millions d'euros ; soit une dette cumulée à la fin de cette année de 896 millions d'euros ! Je ne comprends que trop bien, dès lors, au-delà de l'objectif affiché d'amélioration du dispositif, l'intérêt de la réforme portée par l'article 65 du projet de loi de finances qui, selon notre collègue rapporteur spécial de la commission des finances, permettra la réalisation d'une économie de 138 millions d'euros en année pleine. J'aurai l'occasion de détailler un peu plus mon propos à ce sujet lors de l'examen de l'article 65.

Face aux défis considérables que nous devons relever, ce budget apparaît malgré tout quelque peu minimaliste. Ainsi, dans le domaine du logement, qui constitue l'une des plus grandes préoccupations exprimées par les Réunionnais lors de nos rencontres, je le dis clairement, le compte n'y est toujours pas !

À La Réunion notamment, pour correspondre aux prévisions démographiques d'ici à 2030, ce sont plus de 6 000 logements par an pendant vingt ans qu'il faudrait construire. Certes, comme vous, je me réjouis du fait que la ligne budgétaire unique voit ses crédits augmenter de 9 millions d'euros en crédits de paiement, mais force est de constater que cette hausse n'intervient que pour apurer une partie de la dette. Pour le seul cas de La Réunion, les impayés logement en 2007 – factures certifiées et non certifiées – représentent plus de 17 millions d'euros pour un total global dans les outre-mer de près de 38 millions d'euros. Quant à la solution que vous évoquez, la réorientation de la défiscalisation en faveur du logement social, sur le plan du principe, tout le monde peut y souscrire, mais tous les bailleurs sociaux vous diront que sa faisabilité dépendra du taux qui sera fixé – l'USH parle au minimum de 65 %. Et encore faut-il que le dispositif lui-même ne soit pas vidé de son sens par le plafonnement de ce que vous appelez – d'un mot que pour ma part je trouve offensant – les « niches fiscales ».

Enfin, je déplore vivement les pratiques persistantes en ce qui concerne l'écart entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, cette année comme les années précédentes. Vous ne tenez en l'occurrence aucun compte des multiples recommandations des missions d'évaluation dont vous savez si bien vous servir dans d'autres domaines. Ainsi, le différentiel – vous parlez de dette virtuelle – entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement des PLF pour 2008 et pour 2009 se monte à 85 millions d'euros ; à 120 millions d'euros si l'on remonte à 2007.

En matière d'emploi et de croissance économique, c'est un véritable avis de tempête qu'il convient d'émettre et que votre budget ne permet pas de prévenir, monsieur le secrétaire d'État. En effet, les retards dans l'examen de la LODEOM, conjugués aux conséquences à venir de la crise financière, provoquent déjà, depuis le début de l'année, un net ralentissement de l'activité économique de l'île, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Sur les 24 000 emplois que compte le seul secteur du BTP, 10 000 pourraient être pris dans la tourmente, selon l'avis des représentants socioprofessionnels. Si l'on ajoute à cela la coupe franche dans le nombre des contrats aidés cette année et le ralentissement de la croissance économique, ce budget ne constitue certes pas une action volontariste de l'État pour faire face à la crise.

Mais La Réunion est également confrontée à d'autres difficultés plus profondes, qui affectent gravement le corps social. Ainsi, plus de 52 % des Réunionnais vivent en dessous du seuil de pauvreté national, fixé à 817 euros par mois, et les 10 % les plus modestes gagnent moins de 390 euros par mois, contre 660 euros en moyenne en France métropolitaine. Et pourtant les prix ne cessent de flamber, grignotant chaque jour un peu plus un pouvoir d'achat déjà dérisoire. Un exemple d'actualité : l'envolée incessante du prix des carburants à la pompe, alors que le cours du pétrole n'a cessé de baisser depuis le mois de juillet. L'essence est à 1,54 euros et le diesel à 1,25 euros le litre, alors que dans l'hexagone, où les prix sont libres, les tarifs sont en moyenne de 1,24 euros pour l'essence et 1,16 euros pour le diesel. Cette situation apparaît comme un scandale et soulève, depuis quelques jours, au niveau local, de vives réactions allant parfois jusqu'au blocage, chez les professionnels comme les particuliers. Là encore, votre budget apporte-t-il une solution à ce problème concret ?

J'aimerais aborder un sujet plus global. En lisant, avec toute l'attention qui s'impose, la présentation par Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales de la programmation pluriannuelle des crédits, je suis tombé en arrêt sur une phrase qui ne laisse pas de susciter de ma part de fortes réserves. En effet, Mme la ministre indique que « la mission “Outre-mer” traduit un changement de modèle de la politique gouvernementale en faveur de l'outre-mer. Au système reposant uniquement ou principalement sur la demande est substituée une logique de développement endogène, fondée sur l'excellence des secteurs marchands les plus dynamiques et sur la capacité d'une présence économique et commerciale plus affirmée dans leur environnement régional. »

Si je peux partager partiellement ces objectifs, il m'est impossible d'adhérer à la vision globale qui sous-tend cette déclaration. Celle-ci me rappelle d'ailleurs la phrase de votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d'État, dans sa présentation de la loi programme : « Il ne s'agit plus d'un quelconque rattrapage avec la métropole. » Qui songerait à s'opposer à la recherche d'un développement endogène ? Mais prétendre le substituer à l'exercice de la solidarité nationale, c'est une erreur fondamentale, car ces deux notions sont totalement complémentaires. Je dirais même que, pour moi, c'est d'abord dans la réponse aux préoccupations quotidiennes de la population que l'on juge l'efficacité d'une politique. Or quelle réponse concrète apportez-vous au chômage, qui condamne au désespoir un jeune sur deux entre 18 et 25 ans ? Croyez-vous que c'est en supprimant 250 postes de RASED à La Réunion que vous allez combattre l'illettrisme, au moment même où le préfet fait de son éradication une cause nationale ? Plus généralement, quand l'ensemble de vos actions en matière sanitaire, sociale, culturelle et en faveur de la jeunesse représente à peine 2 % de votre budget, pouvez-vous prétendre faire face aux épidémies de dengue et de chikungunya, au développement du VIH-SIDA, au fléau de l'alcoolisme, au drame des grossesses précoces ?

Monsieur le secrétaire d'État, je vous le dis comme je le sens : j'ai bien peur que vous ne fassiez fausse route, même en matière économique ! Lorsque, drapés dans de vertueuses déclarations sur la justice fiscale et sociale qui cachent mal d'impérieuses raisons budgétaires, vous vous attaquez à des dispositifs de financement de l'économie mis en oeuvre depuis plus de vingt ans, par des gouvernements de droite comme de gauche, et qui ont fait leurs preuves en matière de soutien et de croissance de nos outre-mer, comment ne pas adhérer au constat dressé récemment par une ancienne ministre de l'outre-mer, Mme Girardin : « L'outre-mer n'est plus une priorité du Gouvernement ! »

Parce que je ne peux me résoudre à entériner une telle évolution, parce que la politique du Gouvernement ne répond ni aux attentes et aux besoins de la population, ni aux défis majeurs auxquels les outre-mer sont confrontés, parce que je ne veux pas inscrire mon nom sur la liste des fossoyeurs du développement des outre-mer, je ne peux donner un avis favorable à ce budget. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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