Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le contexte, mondial et national, est morose, la précarité gagne du terrain, les difficultés sont là – et pas uniquement en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Les choix qui ont été faits il y a quelque temps, notamment dans la loi TEPA, vous laissent peu de marges de manoeuvre, monsieur le secrétaire d'État, et nous devons, à l'échelle planétaire et dans chaque pays, répondre aux mutations climatiques, qui s'imposent à nous, en recourant à des solutions techniques fiables.
L'outre-mer n'est inconscient ni de l'ampleur de la crise, ni des efforts à partager avec vous. Nous ne voulons être ni mendiants, ni boucs émissaires, ni stigmatisés. Or, et je partage sur ce point les propos de M. Frogier, nous avons parfois le sentiment d'être encore les danseuses de la France, ceux qui demandent tout et ne donnent rien.
Monsieur le secrétaire d'État, je reconnais que votre texte a des aspects positifs, et je tiens à les citer, par honnêteté intellectuelle et pour vous convaincre de mon état d'esprit constructif.
Tout d'abord, votre budget est en augmentation, même si celle-ci est en partie due à des changements de périmètre et si l'État a des dettes importantes vis-à-vis de la sécurité sociale et des sociétés de HLM. En fait, vous entrez dans un processus de liquidation de ces dettes.
Je prends acte de la décision, que vous avez prise en commission en réponse à une question que je vous ai posée, de ne pas toucher, à l'article 43, au crédit d'impôt des petites entreprises.
Je prends acte également de votre engagement de ne pas toucher à la bonification des services hors d'Europe pour le calcul de la retraite. En effet, sans cette mesure, les collectivités locales ne pourraient pas mener des opérations de réduction de personnel en favorisant les départs à la retraite.
Je salue l'aide aux entreprises concernant le fret – intrants et extrants –, ainsi que la mise en place d'un fonds d'investissement exceptionnel en faveur des infrastructures, même s'il est encore peu doté. Nous vous avions fait part à plusieurs reprises de la nécessité de relancer les infrastructures économiques nécessaires à ces collectivités : on ne peut créer d'activités sans zones d'activités. Je souhaiterais même que vous alliez plus loin, en étendant la défiscalisation aux PPP pour qu'ils puissent se substituer aux carences de l'État.
Par ailleurs, vous avez identifié de véritables problèmes, mais les solutions que vous proposez me semblent contestables.
Premier problème : le logement, dont la situation est catastrophique, puisque 120 000 demandes ne sont pas satisfaites, dont 80 % relèvent du logement social. Actuellement, la production de logements s'élève à peine à 7 000 unités, dont 30 % de logements sociaux. La chute est de 50 % en moyenne, et elle atteint 80 % en Martinique. Certes, les responsabilités sont partagées et je n'ai pas l'intention de faire porter le chapeau à l'État. Mais l'insalubrité augmente, la politique de résorption de l'habitat insalubre est en panne et la politique de la ville en rade.
Or, face à cette situation, vous supprimez la défiscalisation des investissements dans le secteur locatif libre et intermédiaire, pour la transférer vers les investissements réalisés dans le logement social. Aussi souhaiterais-je que vous m'apportiez des réponses précises aux questions suivantes : quel est le mode d'emploi de la défiscalisation des investissements dans le logement social ? Quels sont les nouveaux paramètres permettant d'atteindre les 6 euros du mètre carré, qui correspondent au loyer plafond des HLM ? Comment supprimer les contraintes juridiques liées aux sociétés de HLM pour en faire des sociétés de défiscalisation ? Le double plafonnement va faire fuir les investisseurs : comment y remédier ?
Enfin, et cette question est très importante, quel est le sort de la LBU ? Le crédit budgétaire LBU sera désormais associé à des fonds de défiscalisation : 8 millions d'euros cette année – vous avez d'ailleurs été très prudent, puisque vous n'avez prévu que 1 700 logements LBU et 1 400 logements construits grâce à la défiscalisation. On peut donc se demander si nous n'allons pas progressivement vers un désengagement de l'État et une privatisation du financement du logement social.
Deuxième problème : sous prétexte de moralité et d'éthique, on remet en cause les niches fiscales et l'outre-mer se trouve, de ce fait, stigmatisée. Sur ce point, Mme Louis-Carabin a parfaitement raison. Soyons objectifs ! Sur 400 niches fiscales, trois sont montrées du doigt, dont celles qui concernent l'outre-mer. Sur 40 000 bénéficiaires de ces niches, 1 800 seulement, vous le reconnaissez vous-même, sont concernés par vos mesures. Enfin, sur 39 milliards de « défisc », 780 millions concernent l'outre-mer.
Bien entendu, je suis pour une moralisation, comme je suis favorable à la lutte contre les effets pervers de la défiscalisation, notamment l'augmentation du coût du foncier. Mais, dans son rapport, Gilles Carrez indique qu'avant toute modification de pilotage des dépenses fiscales, il faut définir ce qu'est une dépense fiscale. Puisque vous ne l'avez pas fait, je vous propose une définition : c'est d'abord une aide à l'investissement pour les entreprises, et non un avantage aux particuliers ; c'est une substitution du privé aux carences de l'État, avec un retour fiscal et social – j'insiste sur ce point – non négligeable, puisque les emplois créés contribueront à la diminution, à terme, des dépenses sociales. Or 41 000 entreprises et 170 000 salariés sont concernés dans les départements d'outre-mer.
Troisième problème : la réforme du système d'exonération de charges sociales, dont M. Cahuzac a raison de dire qu'elle n'a pas sa place dans ce texte. Vous inspirant du dispositif Fillon, qui fixe un plafond à 1,6 SMIC, vous instituez également un plafond unique, mais à 1,4 SMIC ! Or – je reviens aux chiffres – le taux de couverture, c'est-à-dire le rapport entre les exportations et les importations, est catastrophique outre-mer : il est de 6,2 % en Guadeloupe, de 6,7 % à la Réunion et de 13 % en Martinique. Les chômeurs sont quatre fois plus nombreux, un jeune sur deux de moins de 27 ans est sans emploi et le taux de RMistes est de 20 %, contre 3 % en métropole.
Nous avons donc déposé un amendement visant à supprimer cette disposition. À défaut, je souhaite – et j'insiste sur ce point – qu'il nous soit confirmé que le calcul de la dégressivité de la franchise d'exonération se fera bien à partir de 1,4 SMIC – le montant de l'exonération décroissant jusqu'à s'annuler lorsque la rémunération est égale à 3,5 SMIC –, et non sur la totalité du salaire. Le texte est en effet extrêmement ambigu.
Deuxièmement, je pense qu'il est important de veiller à ce que les petits commerces – notamment les très petites entreprises, qui constituent près de 70 % du tissu commercial – bénéficient de ce régime d'exonération au titre de l'article 65.
En fait, quelle est la problématique ? L'outre-mer coûte cher, et sans mesurer la portée économique réelle des deux mesures-clefs de ce budget, à savoir la réforme des articles 65 et 43, sans attendre votre projet de loi qui comporte des orientations non négligeables, sans mesurer les dangers d'une déstabilisation économique et sociale, vous prenez un risque dont vous ne connaissez ni l'ampleur ni la portée.
Avant de conclure, je veux souligner quelques points. Premièrement, le plan séisme est en panne, avec seulement 2,4 millions d'euros. Deuxièmement, je constate qu'il subsiste une inégalité de traitement de l'outre-mer sur le forfait charges, la compensation à laquelle vous avez procédé n'apportant que 30 % alors que la différence initiale était de 50 % : il manque toujours 20 % pour éviter que les locataires de HLM ne subissent une inégalité lors du règlement de leur loyer. Troisièmement, la réduction de la défiscalisation sur les bateaux de plaisance – qui passe de 70 % à 50 % – est une erreur basée sur un cliché ; en procédant de la sorte, vous portez un mauvais coup à l'ensemble de la politique du développement lié au tourisme de plaisance, alors que les pays d'outre-mer ont besoin d'un désenclavement économique sérieux.
Monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je veux néanmoins terminer sur une note d'espérance. En ce moment de victoire de la diversité s'ouvrent des perspectives nouvelles d'un enrichissement des valeurs universelles dans le respect et dans la fraternité. Au-delà de votre budget, c'est dans le creuset de l'intelligence et de la responsabilité que se trouvent les solutions. Elles sont moins financières qu'intellectuelles, plus politiques que budgétaires, plus dans l'ingénierie du développement que dans le volume de béton coulé. Elles sont dans l'intelligence et dans l'autonomie des hommes.
Pour conclure, je vais me permettre de détonner un peu par rapport à mes collègues. Puisque vous nous invitez dans votre préambule au dépassement « à substituer le système reposant sur la demande à une logique de développement endogène », je vous prends au mot. Vous savez que cela porte un nom : on appelle cela l'autonomie. Mais on peut difficilement faire du développement endogène à partir de Paris ! L'autonomie que nous pouvons partager avec vous n'est ni humiliation des uns, ni stigmatisation des autres, ni prétention de quelque bord que ce soit. À mon sens, l'autonomie est une philosophie de la création destinée à promouvoir la coexistence entre égalité et liberté, entre cohésion sociale et démocratie, entre universalité et droit à la différence, pour qu'en France la diversité ne soit pas un handicap mais un enrichissement.
Au-delà des chiffres, c'est sans aucun doute ce chemin qu'il nous reste à explorer et ce fut, d'ailleurs, tout le sens du combat d'Aimé Césaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)