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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 7 novembre 2008 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2009 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Cela s'entend, mais c'est ce que nous faisons depuis votre nomination ! Nous nous sommes vus une première fois en Guadeloupe, et, comme avec d'autres collègues, cela a été un ratage, aussi bien au téléphone que sur le terrain. Vous interprétez mal la moindre critique. Bien que n'étant pas originaire de nos régions, vous en avez le volcanisme : c'est le même soufre, si je puis dire, qui brûle dans vos veines, la même exaltation qui vous tient ! Peut-être sommes-nous en cela plus frères que nous ne le pensons.

Il ne m'est pas facile de vous dire, après moult concertations, quelque quatre-vingt réunions avec des organisations professionnelles – disiez-vous hier soir – et une ou deux avec les parlementaires, que votre budget est virtuel et qu'il doit être amélioré. Nous étions prêts à le voter – et c'est le secrétaire national du parti socialiste à l'outre-mer qui vous parle –, comme nous l'avions fait du temps de M. Baroin, lequel avait su séduire au-delà de ses rangs, bien que disposant de moyens inférieurs aux vôtres.

Vous avez votre style, et nous ne pouvons, pour paraphraser Valéry Giscard d'Estaing, le jeter à la rivière. Non content d'avoir battu le record des kilomètres parcourus dans l'outre-mer, vous détenez celui des manifestations et des monômes : à chaque fois que vous arrivez dans l'un de nos territoires, je vous le dis amicalement, vous déclenchez défilés, manifestations ou blocages de routes. Je reconnais les efforts que vous faites en rencontrant les organisations socioprofessionnelles, même si vous devriez tenir compte de la représentation nationale : nous voilà en effet devenus, comme le disait hier soir mon collègue sénateur Virapoullé, des employés de M. Dupont, président de la FEDOM, la Fédération des entreprises des DOM. Malgré l'expertise et le lobbyisme mené par cette dernière dans les ministères, vous devriez davantage considérer que nous restons les députés de la nation, et ce, même si vous nous estimez ligotés, notamment dans l'opposition, par je ne sais quelle crispation idéologique qui nous empêcherait de contribuer utilement à vos projets.

Pourtant, cela commençait bien : vous annonciez une augmentation spectaculaire de 9,2 % de la mission « Outre-mer », avec une dotation globale de 1,879 milliard d'euros. Mieux encore : vous vous prévalez d'un effort global de l'État en augmentation de 15 à 16,5 milliards d'euros, si l'on cumule crédits d'intervention de l'ensemble des ministères et dépenses fiscales en faveur de l'outre-mer. Hélas, le diable est dans les détails, et lorsqu'on les scrute, la réalité apparaît bien différente. D'après le document de politique transversale que vous nous avez remis – page 520 –, l'augmentation est plus limitée, de 15,75 milliards à 16,25 milliards. Il manque donc environ 250 millions, ce qui est peut-être peu pour vous, mais énorme pour l'outre-mer.

Vous vous flattez d'annoncer, urbi et orbi, une augmentation, mais celle-ci est essentiellement liée à une évaluation de la perte de recettes pour l'État résultant de la défiscalisation, à savoir 800 millions d'euros contre 550 millions en 2008 – et non 500, comme vous le prétendez. Là encore, vous vous servez de cette évaluation pour affirmer que le plafonnement réalisé par l'article 43 du PLF est un plus et non un moins. Il apparaît, bien au contraire, que cette augmentation de la dépense fiscale est tout à fait temporaire, car elle est liée au fait que les investisseurs seront appelés à profiter des modalités actuelles de la défiscalisation, et non de celles qui s'appliqueront après le plafonnement. Il suffit pour le vérifier d'aller sur l'Internet, où des sites conseillent aux investisseurs de l'Hexagone d'en profiter tant qu'il est encore temps, c'est-à-dire avant la date butoir du 31 décembre 2008.

Nous n'aimons pas votre méthode, et cette augmentation ne doit pas nous tromper. À regarder de plus près le document de politique transversale, comme vous nous y avez invités, on peut établir la réalité de l'effort budgétaire de l'État en crédits d'intervention des différents ministères de la façon suivante : plus 100 000 euros pour la Guadeloupe – soit 22 centimes de dépense supplémentaire par Guadeloupéen –, plus 100 000 euros pour la Martinique, plus 140 000 euros pour La Réunion, et, très curieusement – j'allais dire comble de la mesquinerie –, moins 9 000 euros pour la Guyane !

En lisant le document de politique transversale, nous découvrons également de véritables coupes claires dans des domaines essentiels : moins 13 millions d'euros pour le soutien de la politique à l'éducation nationale, moins 22 millions pour les formations supérieures et la recherche universitaire, moins 14 millions pour la prévention des risques outre-mer – 2,4 millions étant prévus pour le fameux plan Séisme.

Loin d'être un budget d'intervention volontariste, c'est donc bien l'instrument d'une politique de règlement de dettes antérieures qu'il nous est donné aujourd'hui d'examiner. Je le répète, monsieur le secrétaire d'État, il ne s'agit pas de s'en prendre à votre personne : je vous crois sincèrement homme de bonne volonté. Mais ayez le courage de nous dire qu'il vous est demandé, comme à vos collègues du Gouvernement, des efforts et des sacrifices. Nous sommes adultes et responsables : dites-nous que la France doit se désendetter et l'État se réformer ; regardez l'outre-mer au fond des yeux et dites-lui quelle doit être sa quote-part. Nous comprendrons ce discours, et l'approuverons peut-être. Mais ne nous dites pas que la future LODEOM, la loi pour le développement économique de l'outre-mer, est un beau projet qui apportera 150 millions d'euros par an – comme l'a déclaré M. Estrosi –, alors qu'un simple calcul de somme algébrique nous montre qu'il manquera environ 150 millions. Nous trouvons la méthode infantilisante, pour ne pas dire puérile.

Bref, adressez-vous plutôt à notre intelligence. Et ménagez-nous, car nous sommes fragiles. Ne dites pas à Saint-Pierre-et-Miquelon que les élus ayant signé des documents font de la désinformation. Vous ne blessez pas seulement ce territoire, mais l'outre-mer dans son ensemble et, au-delà, toute la représentation nationale, laquelle a le droit de garder une certaine autonomie de pensée, même dans votre famille politique. Les élus ont le droit de faire des propositions : ne les envoyez pas chercher manu militari par les CRS, comme on l'a vu en Guadeloupe.

Puisque vous avez du courage politique – comme je l'ai montré –, dites-nous clairement que la future loi de programme n'apportera pas de plus. Au reste, la secrétaire générale de l'UMP chargée de l'outre-mer, mon homologue, a publié un communiqué avec Frédéric Lefebvre pour dire que l'application de la LODEOM se traduirait par une diminution budgétaire annuelle de 150 millions d'euros. Avancer masqué est pour le moins détestable.

Par ailleurs, les articles 43 et 65 du PLF, qui visent à plafonner ce que certains appellent des niches fiscales – et là où il y a des niches il y a des chiens, disait le Président Chirac –, flétrissent l'image de l'outre-mer. Nous pouvons être féroces pour défendre notre os ! (Sourires.) Parlons plutôt d'aides ou d'incitations fiscales, de mécanismes de soutien à l'investissement outre-mer. Au-delà des arguments que vous avancez, et qui ne nous convainquent pas, ces dispositions affaibliront l'activité économique dans nos territoires. Comment approuver cette méthode qui consiste à faire payer par anticipation ce qui apportera peut-être quelques avantages ?

C'est la même chose avec le RSA, que nous devons financer avec la taxe de 1,1 %. Comme dans l'Hexagone, les plus faibles souffrent de ce que la prime pour l'emploi n'a pas augmenté, puisque vous avez refusé d'en actualiser le barème, alors que vous avez revu celui de l'ISF. Comment ne pas parler d'injustice ? Or nous ne verrons les bénéfices hypothétiques du RSA qu'à partir de 2011. Par voie de communiqué, vous avez pris l'engagement, monsieur le secrétaire d'État, qu'il n'y aurait pas de taxe tant que le dispositif ne serait pas appliqué outre-mer. C'est à nouveau du mépris pour la représentation nationale, même si cet aménagement a été accepté par le Sénat – peut-être celui-ci a-t-il plus d'importance à vos yeux ? Là encore, la méthode nous blesse.

Quant à l'ITR, même si ma région n'est pas concernée, sa réforme était cachée dans les interlignes ésotériques du texte : nous l'avons appris grâce au décryptage de syndicats, que vous aviez pourtant reçus sans rien leur dire. Idem pour la bonification d'annuités pour les fonctionnaires ayant servi outre-mer. Nous sommes tous d'accord pour corriger les abus, même si nous n'aimons pas le mot de « moralisation ». Mes amis socialistes avaient commis l'erreur d'inventer le concept de « tunellisation », dont on sait ce qu'il a donné. Bien que libéral, vous faites la même erreur. Alors que votre morale devrait être celle du marché, vous en appelez à un État interventionniste. En somme, vous défendez le socialisme pour la banque et le capitalisme pour les pauvres. Sur une partie du programme, nous avons donc quelques accointances et pourrions nous retrouver autour de compromis raisonnables.

Nous ne sommes pas hostiles à des réformes, mais nous nous opposons au désengagement de l'État. Ayant étudié les lettres à l'université, je goûte fort votre concept de « développement endogène » : c'est beau comme l'antique ! Mais par quoi se traduit-il ? « Débrouillez-vous » ! – pour ne pas dire autre chose. M. le Premier ministre est venu chez nous pour nous dire d'être plus autonomes. Mes amis indépendantistes pensaient qu'on allait nous donner l'autonomie ! Eh non ! Cela signifiait qu'il fallait faire sans la solidarité nationale. Bref, il faut que votre budget soit réel, et non symbolique.

Vous avez réformé le ministère sans nous associer, remplaçant deux directions centrales au profit d'une délégation générale à l'outre-mer. Résultat : les experts du logement, que nous avons auditionnés hier dans le cadre du projet de loi de Mme Boutin, nous disent qu'ils n'ont pas d'interlocuteur chez M. Jégo. Ne croyez pas que je m'en réjouisse. Évidemment, il reste la technostructure de Bercy, mais compte tenu de la complexité de la fiscalité, seuls quelques happy few peuvent s'y retrouver. Il y a donc des choses à revoir.

Pour finir, je souhaite me faire le porte-parole de mon collègue Patrick Lebreton, qui n'a pu être des nôtres aujourd'hui :

« Incompréhensible est votre politique concernant les contrats aidés. Odieusement fustigés et méthodiquement démantelés depuis 2002, ces dispositifs, qui ont un vrai sens sous nos latitudes en termes d'accompagnement social et de soutien aux services publics, seraient timidement remis en place à la faveur d'un discours présidentiel. Timidement, car proposer 100 000 contrats, soit environ 1 000 par département, c'est-à-dire un détail par rapport aux quelque 25 000 qui ont été supprimés à La Réunion ces dernières années, est dérisoire. Doit-on rappeler les conditions dans lesquelles la rentrée scolaire a dû être reportée dans plusieurs communes de La Réunion, dont celle dont je suis maire, car il n'y avait pas assez de personnels pour assurer la sécurité des enfants ?

« Enlisée, démissionnaire, incompréhensible ou dérisoire : telle est donc la sévère appréciation, mais surtout le triste constat que je peux porter sur la politique du Gouvernement pour nos territoires. »

Quant aux 9 millions d'euros supplémentaires pour la LBU, j'entends bien la joie et la délectation qu'ils suscitent. Mais c'est sans compter les 20 millions de moins pour les mesures en faveur de l'accession à la propriété, et une vilaine dette de 17 millions contractée auprès des acteurs du logement social. Nous pourrions avoir un vrai débat sur ce point.

Encore annoncez-vous une dette de 17 millions, mais M. Cahuzac l'estime à 37 millions et Les Échos à 660 millions ! (M. le secrétaire d'État lève les bras au ciel.) Chacun a ses sources et les leurs sont meilleures que les miennes – quoique M. Quentin puisse certainement m'éclairer… En tout état de cause, l'heure est grave.

Vous avez inventé une distinction conceptuelle entre dette réelle et dette virtuelle, que la LOLF n'a pas retenue. La formule est belle, pourtant : la commission des finances ne devrait-elle pas se pencher dessus ?

Armé de telles catégories philosophiques et budgétaires, monsieur le secrétaire d'État, et de votre style porté à la confrontation, vous ne cessez de nous intéresser. Gare, toutefois : nous sommes aussi vifs que vous ! Améliorez donc votre budget car, en l'état, notre groupe ne saurait le voter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

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