Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi soumis aujourd'hui à notre assemblée, s'il revêt un caractère très technique, n'en est pas moins important pour notre économie. Il poursuit en effet quatre objectifs qui, à des degrés divers, visent à favoriser l'expansion européenne de nos entreprises – expansion plus que jamais nécessaire dans le cadre de la globalisation – et à améliorer la gouvernance de nos sociétés.
Le premier de ces objectifs est la transposition de la directive du 26 octobre 2005 relative aux fusions transfrontalières des sociétés de capitaux.
Jusqu'à présent, les législations des États membres étaient très divergentes s'agissant des fusions transfrontalières de sociétés. En outre, ce type de fusion se heurtait à des contraintes quasiment rédhibitoires et, par là même, ne permettait pas d'atteindre la taille critique pour concurrencer comme il convient les grandes entreprises de par le monde.
Le projet de loi intègre dans notre droit interne les principes de la directive, tant en ce qui concerne la résolution des conflits de lois nationales que la participation des salariés aux instances de décision des sociétés issues de fusions transfrontalières. Ce faisant, un terme devrait être mis aux difficultés actuellement rencontrées par les sociétés françaises qui souhaitent fusionner avec des sociétés établies dans un autre État membre de l'Union européenne. C'est particulièrement vrai pour les entreprises de taille moyenne, voire pour de petites entreprises situées dans un même bassin d'emploi de part et d'autre d'une frontière nationale.
L'occasion est également saisie, à travers ce texte, de procéder à quelques simplifications des formalités nationales relatives aux fusions, notamment dans le cadre de la fusion simplifiée. La commission des lois, sensible à cette démarche, y a donné son assentiment.
L'examen des articles nous donnera l'occasion d'examiner plus en détail l'apport de la commission des lois sur ce premier volet du projet de loi. Je souhaite néanmoins indiquer dès à présent que les amendements qui ont été adoptés ont été motivés par une exigence de clarification du texte, notamment sur le fondement des observations des praticiens, qui sont en première ligne pour l'application de la loi.
À cet égard, trois points importants méritent plus particulièrement d'être soulignés.
La commission des lois s'est tout d'abord interrogée sur la justification et les garanties du contrôle de légalité des fusions transfrontalières par les notaires, alors même que la directive avait élargi le champ de compétence pour préciser notamment : greffier ou toute autre autorité compétente. En l'espèce, il n'est pas certain que la profession du notariat – dont la compétence n'est pas en cause – soit la plus appropriée pour exercer et assumer cette compétence et cette responsabilité. La commission a donc préféré confier cette mission au greffier du tribunal dans le ressort duquel la société participant à la fusion ou issue de la fusion transfrontalière est immatriculée. Cette option a été pleinement partagée au cours des auditions non seulement par les acteurs du monde économique, mais également par les acteurs du droit. Si cette modification ne devait finalement pas être retenue, il nous apparaît important que la désignation des notaires soit à tout le moins assortie d'un certain nombre de garanties, ayant trait tout à la fois à leurs émoluments – le coût ne doit pas être exponentiel – et à l'impossibilité pour une même étude ou un groupement de notaires de participer et au montage de la fusion, et au contrôle de légalité.
La commission des lois a également veillé à ce que les procédures de mise en place de la participation des salariés aux organes de gestion, de direction ou de surveillance soient efficaces et pratiques. En l'occurrence, un aspect de la directive faisait défaut dans le projet de loi, à savoir la possibilité pour les dirigeants de sociétés impliquées dans une fusion d'éviter d'engager une négociation préalable avec le groupe spécial de négociation, dès lors que ces mêmes dirigeants acceptaient de retenir le système le plus favorable aux salariés. Cette procédure « passerelle », si vous me permettez l'expression, est importante car elle est susceptible de raccourcir les délais du processus de fusion avec un gain de six mois minimum sans aucunement porter atteinte aux droits des salariés. La commission s'est donc évertuée à réintégrer cette possibilité dans le corps du nouveau code du travail.
Enfin, la commission des lois a supprimé les références du texte à l'ancien code du travail, devenu caduc depuis le 1er mai dernier. Il est vrai que le projet de loi avait été déposé sur le bureau de notre assemblée mi-novembre 2007, soit avant même la ratification de l'ordonnance recodifiant le code du travail.
Le second des objectifs du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui concerne le statut de la société coopérative européenne, défini par le règlement du 22 juillet 2003, lui-même complété par une directive en date du même jour. Ce statut n'a pas encore été retranscrit à ce jour dans notre droit. Pour mémoire, les coopératives sont des sociétés à part entière, mais avec entre autres spécificités celle de ne pas réaliser de bénéfices et donc de ne pas répartir de profits entres leurs membres.
Le statut coopératif, vous l'avez rappelé, madame la garde des sceaux, a essaimé dans tous les domaines de l'économie puisque, selon le huitième rapport annuel du Conseil supérieur de la coopération, on en dénombre quelque 21 000 en France aujourd'hui, employant plus de 900 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires global bien supérieur à 100 milliards d'euros. Ce succès ne concerne pas que notre pays car environ 288 000 sociétés coopératives, comptant 60 millions de sociétaires et employant cinq millions de salariés, sont recensées en Europe.
Eu égard au dynamisme du secteur coopératif dans notre pays, la France doit accompagner cet effort de simplification juridique à l'échelle communautaire. Le projet de loi répond à cette exigence, en inscrivant les coopératives européennes dans la loi du 10 septembre 1947 qui régit les sociétés coopératives immatriculées, et en apportant les précisions qui s'imposent quand le règlement communautaire de 2003 laisse différentes options ouvertes. Sur le fond, les grands principes de la coopération tels qu'ils résultent de la loi de 1947 ne seront pas bouleversés.
Les amendements adoptés par la commission des lois sur ce volet du texte ont surtout visé à apporter des précisions quant à l'organisation interne et aux pouvoirs des organes de la société coopérative européenne. Les droits des titulaires de certificats coopératifs d'associés ou d'investissement ont également été mieux garantis.
Surtout, la commission des lois a prévu, par le biais de deux articles additionnels, d'une part, d'étendre les possibilités d'unions mixtes aux sociétés coopératives de consommation, par analogie avec le régime juridique des coopératives de commerçants-détaillants et, d'autre part, d'exonérer les coopératives de l'obligation de fixer dans leurs statuts le montant maximal de leur capital autorisé, afin de remédier à l'insécurité juridique créée par un arrêt rendu le 6 février 2007 par la Cour de cassation.
Le troisième objectif du projet de loi est la transposition de la directive du 14 juin 2006 modifiant les quatrième et septième directives comptables, afin d'améliorer 1'information sur l'organisation et les modalités de contrôle interne des sociétés anonymes.
J'indique pour mémoire que cette directive de 2006 a prévu une responsabilité collective des membres des organes d'administration, de gestion et de surveillance en ce qui concerne la publication des comptes annuels et consolidés, ainsi que l'établissement du rapport de gestion. De même, elle s'est attachée à améliorer la transparence de l'information financière sur les transactions avec les parties liées et les opérations hors bilan. Enfin, pour les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé et dont le siège statutaire se situe dans la Communauté européenne, la directive a imposé de publier une déclaration annuelle sur le gouvernement d'entreprise.
Le code de commerce comporte d'ores et déjà, à ses articles L. 225-37 et L. 225-68, des dispositions satisfaisant en grande partie ces différents objectifs. Cependant, le droit communautaire se montre plus précis sur la nature des informations délivrées et il prévoit leur attestation par le commissaire aux comptes, obligeant ainsi aux aménagements inscrits dans le projet de loi.
Soucieuse de conforter cette amélioration sensible de la gouvernance des entreprises françaises, la commission des
lois n'a apporté que des modifications rédactionnelles ou de coordination aux dispositions du texte en la matière.
Enfin, le quatrième et dernier objectif du projet de loi a une portée plus modeste puisqu'il consiste uniquement à apporter quelques ajustements au régime de la société européenne, instituée par le règlement du 8 octobre 2001, lui-même complété par une directive du même jour. Là aussi, la commission des lois n'a adopté que des modifications de clarification ou rédactionnelles.
Au total, et pour conclure, le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui comporte un certain nombre de mesures attendues par les acteurs économiques de notre pays, parce qu'elles sont utiles à leur développement tant au sein du marché intérieur qu'au sein du marché européen. La commission des lois a pris la mesure de l'enjeu de ce texte, qui servira plus particulièrement les bassins frontaliers, ce dont je ne doute pas pour avoir été confrontée dans ma vie professionnelle antérieure à l'expression d'une volonté de regroupement d'entreprises dans un même secteur d'activité. L'application du texte qui nous est soumis pourra rendre les regroupements plus aisés en évitant des montages juridiques compliqués, voire hasardeux.
Je ne doute pas, madame la garde des seaux, que vous ayez à coeur de rendre ce texte à la fois clair, pragmatique et efficace. Pour ma part, j'invite d'ores et déjà notre assemblée à adopter les amendements de la commission des lois ainsi que le projet de loi. J'ai noté, madame la garde des sceaux, votre intérêt, que je partage, pour la société privée européenne, car c'est véritablement le maillon qui manque aujourd'hui à notre chaîne dans le cadre harmonieux de notre développement économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)