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Intervention de Rachida Dati

Réunion du 6 mai 2008 à 15h00
Adaptation du droit des sociétés au droit communautaire — Discussion d'un projet de loi après déclaration d'urgence

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, l'économie française est aujourd'hui confrontée au défi de la croissance – il faut la reconquérir point par point – et à celui de la mondialisation : il faut améliorer notre compétitivité et maintenir l'attractivité économique de notre pays.

Le Président de la République et le Gouvernement veulent répondre à ces défis. Ils veulent donner à nos entreprises les instruments juridiques les plus efficaces pour agir, pour défendre et conquérir de nouveaux marchés. Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter devant votre assemblée est l'une des traductions concrètes de cet engagement.

Madame la rapporteure, votre rapport très complet a clairement permis d'identifier les enjeux de ce projet de loi ; j'y ai retrouvé toute votre expertise d'élue d'une région frontalière ouverte sur l'Europe. Vous proposez quelques modifications, dont la plupart me semblent essentielles. Elles contribuent à améliorer le texte initial. Je les soutiendrai.

Vous l'avez mis en évidence, ce projet de loi va, en réalité, bien au-delà d'une simple adaptation du droit des sociétés à certaines dispositions du droit communautaire. Il porte en effet une triple ambition pour nos entreprises : moderniser, simplifier et sécuriser.

C'est tout d'abord moderniser simplifier et sécuriser les fusions transfrontalières. Il s'agit là d'un enjeu important pour l'économie de notre pays : près de 20 % en effet des opérations de fusion ayant lieu en France sont concernées par les dispositions dont vous allez débattre, et ces opérations représentent en valeur près de 45 milliards d'euros.

Aujourd'hui, si deux sociétés européennes veulent fusionner, c'est très compliqué. Comme elles sont de droits différents, il faut faire des montages complexes, longs et coûteux. Avec le projet de loi, cette opération deviendra aussi simple que si les deux sociétés étaient de même nationalité, ce qui est une avancée considérable.

Les modalités de la fusion transfrontalière seront particulièrement souples. Des sociétés de formes différentes pourront fusionner : les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés par actions simplifiées et les sociétés européennes.

La fusion pourra en outre avoir lieu soit par absorption – une société disparaissant au profit de l'autre –, soit par constitution d'une société nouvelle, qui intégrera les sociétés désirant fusionner.

Cette souplesse n'exclut pas des garanties. Nous modernisons et nous simplifions, mais la sécurité juridique reste au coeur du projet : des modalités spécifiques d'information des salariés sur les conséquences juridiques et économiques de la fusion ont été prévues, les droits des actionnaires minoritaires sont maintenus à un haut niveau de protection et toutes nos procédures internes de consultation et de recours des actionnaires minoritaires seront applicables au processus de fusion transfrontalière.

De plus, deux procédures de contrôle spécifiquement transfrontalières sont mises en place. Le premier contrôle est formel : c'est le rôle du greffier du tribunal de commerce. Il doit s'assurer, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, que les parties lui ont bien remis une déclaration relatant tous les actes qu'elles ont effectués en vue de procéder à la fusion. Il délivre ensuite l'attestation de conformité de ces opérations.

Le second est un contrôle de fond. Il porte sur deux points : d'une part, le contrôle de légalité de la réalisation de la fusion, de la constitution de la nouvelle société ; d'autre part, le contrôle du respect par toutes les sociétés qui fusionnent des modalités relatives à la participation des salariés. Ce contrôle nécessite une implication très forte dans le processus de la fusion. Il impose également une parfaite connaissance des mécanismes juridiques nationaux et communautaires. Il nécessite enfin un engagement important du contrôleur, en termes de responsabilité personnelle. Il ne s'agit plus de demander aux parties une lettre de conformité, comme le fait actuellement le greffier, mais de contrôler tous les éléments de la fusion. Le certificat de légalité devra être le garant de la légalité de l'opération. C'est la force de cet acte qui sécurisera la fusion. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi de désigner le notaire comme l'autorité chargée de ce contrôle.

Vous le voyez, ce projet de loi modernise la vie des entreprises françaises en facilitant les fusions au sein de l'Union européenne. Mais le Gouvernement a souhaité aller encore plus loin dans la modernisation, et notre projet comporte d'autres mesures de simplifications essentielles pour la vie de nos entreprises.

J'évoquais tout à l'heure notre triple ambition : moderniser, simplifier et sécuriser. C'est cette triple ambition que nous retrouvons avec la création en droit français de la société coopérative européenne. C'est un sujet que vous connaissez, pour en avoir discuté lors du débat sur l'implication des salariés, qui a débouché sur la loi du 30 janvier 2008. C'était la partie « droit du travail » de ce projet. Aujourd'hui, il vous revient d'adopter la partie relative au droit des sociétés.

Notre secteur coopératif est l'un des plus dynamiques au monde, ce qui est un sujet de grande fierté : 21 000 entreprises coopératives employant 900 000 personnes, 510 000 entreprises associées, 200 milliards de chiffre d'affaires et surtout plus de 20 millions de coopérateurs couvrant un large spectre, du secteur agricole au secteur bancaire.

Le projet de loi prend les dispositions nécessaires à l'application du règlement sur la coopérative européenne. Nous permettons ainsi à ce secteur de notre économie d'accéder plus facilement à une dimension internationale. Il bénéficiera d'un label qui lui permettra d'exporter plus facilement son savoir-faire.

Quelles sont les sociétés concernées ? Ce sont bien évidemment les grandes structures déjà multinationales – je pense en particulier au secteur bancaire et à la grande distribution –, mais ce sont aussi les petites et moyennes coopératives. Elles attendent avec impatience ce label, essentiel pour elles, afin de se faire connaître plus facilement en dehors de nos frontières ou de se lier entre elles pour élargir leur marché.

La coopérative européenne est une société à capital variable. Elle comporte des associés issus d'au moins deux États membres de l'Union européenne. Pour la société européenne, il sera possible de créer une société coopérative européenne par voie de fusion ou par voie de transformation.

Il sera aussi possible de créer directement une société coopérative européenne, dotée de véritables règles de gouvernance. Je citerai en particulier la possibilité offerte désormais d'avoir un directoire et un conseil de surveillance, et non plus seulement un conseil d'administration. Il sera également possible de disposer d'un directeur général responsable de la gestion courante.

De plus, le projet lève certaines options ouvertes par le règlement communautaire. Il améliore et renforce la sécurité des créanciers ou des associés, grâce à des mesures concrètes : l'interdiction de dissocier le siège statutaire du lieu de l'administration centrale ; l'extension de la protection des créanciers en cas de transfert de siège ; la possibilité pour le procureur de la République de s'opposer au transfert de siège ou à une fusion pour des raisons d'intérêt public. Le comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement disposera du même pouvoir pour le secteur bancaire.

Enfin, comme pour la société européenne ou pour les fusions transfrontalières, ce texte prévoit un double contrôle lorsqu'il y aura fusion ou transfert de siège : l'un sur les formalités préalables, confié au greffier du tribunal de commerce ; l'autre de légalité, confié au notaire.

Moderniser, simplifier, sécuriser, c'est enfin l'objet des dispositions relatives à ce que l'on appelle le gouvernement d'entreprise. La France disposait déjà d'un dispositif de transparence. Il porte sur le contrôle interne et les modalités d'organisation des travaux des conseils d'administration et de surveillance. Le projet de loi complète ce dispositif en tenant compte des apports du droit communautaire. Les actionnaires devront en particulier être informés des modalités du gouvernement d'entreprise mises en place en complément des exigences légales. Il en résultera une meilleure information et davantage de transparence. Cela permettra aux actionnaires de mieux connaître le fonctionnement de la société. Ils seront davantage en mesure d'évaluer la portée de leur engagement.

Transparence, simplification et sécurité, ce sont les mots-clés du texte de loi qui vous est présenté aujourd'hui. La présidence française de l'Union européenne sera l'occasion de prolonger la modernisation de la vie des entreprises et du droit des sociétés.

Je souhaite faire aboutir le projet de création d'une société privée européenne. La Commission européenne a élaboré un projet de règlement, en cours d'examen à la chancellerie.

Les hommes, les idées et les biens circulent librement au sein de l'Union européenne. La contrainte des frontières n'existe plus. Le droit des sociétés reste en revanche encore trop enfermé dans le cadre national. Il doit donc évoluer. Une entreprise française qui veut commercer en Estonie ou en Slovaquie doit expliquer son statut juridique à ses partenaires, qui ne comprennent pas toujours la différence entre une SARL et une SAS, structures inconnues pour eux et qui ne les incitent pas à la confiance.

Une première étape avait été franchie avec la création de la société européenne en 2001, modèle qui intéressait principalement les grosses sociétés, se finançant par un appel public à l'épargne. Les petites et moyennes entreprises n'étaient pas concernées.

La société privée européenne sera la deuxième étape. Il est de notre responsabilité d'offrir à nos PME et à nos sociétés de services sur Internet un instrument juridique connu et reconnu dans toute l'Europe. Ce sera une sorte de passeport commun. Il leur permettra de commercer partout, sans avoir à justifier ce qu'elles sont.

C'est comme cela que nous ferons concrètement avancer l'Europe. Votre assemblée prend toute sa part à la modernisation de notre droit des sociétés. Avec ce projet de loi, vous avez de nouveau l'occasion de le montrer. Je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

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