Ma question porte en effet sur le droit du travail, plus spécialement les questions de sécurité et d'accidents du travail dans une entreprise française dont on disait autrefois qu'elle était un bon exemple de notre modèle social.
Au moment où le Gouvernement, le patronat et les syndicats se penchent sur les conditions de travail des salariés, un rapport de l'inspection du travail de Seine-Maritime fait état des pressions exercées sur les salariés de l'usine Renault de Cléon pour que les victimes d'accidents du travail évitent tout arrêt de travail – et je doute que ce rapport de douze pages, que vous connaissez probablement et que je tiens à votre disposition, s'applique uniquement à cette usine.
L'enquête menée par un inspecteur du travail, dont il faut saluer l'action, entre mai et septembre 2007, a porté sur cinquante-huit accidents déclarés sans arrêt, qui ont tous fait l'objet d'un transport vers une structure médicalisée extérieure à l'usine. Sur les quarante et une victimes auditionnées, vingt-six se sont vu prescrire un arrêt de travail, et vingt-deux d'entre elles, soit 85 %, se sont vu proposer, le jour même ou au cours de la semaine qui a suivi l'accident, un poste aménagé afin que l'accident n'entraîne pas d'arrêt malgré la prescription médicale. Cinq salariés seulement, dont trois représentants du personnel, ont refusé le poste proposé.
Il ressort de l'enquête qu'il existe un système de pressions organisé, qui résulte directement des objectifs fixés par la direction de l'établissement tels qu'ils apparaissent dans un document du comité de direction de l'usine du 25 mai 2007. Les témoignages des salariés interrogés sont éloquents, faisant état de pressions téléphoniques de la hiérarchie pour une reprise du travail, de convocations sur le lieu de travail pour la reprise en poste aménagé, de menaces de changements d'horaires entraînant une perte de revenus, de tentatives de culpabilisation sur le fait que Renault perd 600 euros par jour d'arrêt de travail, de propositions de surclassement en cas de reprise anticipée, de paiement normal du salaire si le salarié ne peut se déplacer, de fortes incitations pour le télétravail à domicile.
La demande par la hiérarchie de renoncer aux arrêts de travail est systématisée et il s'agit, selon un chef d'unité, d'y parvenir « par tous les moyens ». C'est donc une politique globale et délibérée de la part de l'établissement. Il existe même un formulaire dit RATI – refus de déclaration d'accident du travail par l'intéressé – distribué aux salariés après des accidents qualifiés de bénins. Cela montre bien que les accidents du travail dans l'usine Renault de Cléon ne sont pas tous déclarés aux services compétents : caisse régionale d'assurance maladie, inspection du travail, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Outre le fait que l'entreprise ne respecte pas la législation du travail sur divers points – procédure d'inaptitude, déclaration des accidents du travail, consultation des représentants du personnel sur les postes aménagés, absence de mention des arrêts de travail sur les bulletins de salaire et les congés payés, ce qui conduit certains salariés à prendre des congés avant de reprendre un poste aménagé –, il existe indubitablement un chantage au déroulement de carrière pour les salariés qui refuseraient de renoncer à un arrêt de travail.
Ayant eu connaissance de ma question, le directeur de l'usine de Cléon a eu la courtoisie de me répondre, sans toutefois me convaincre. Je vous demande donc ce que le Gouvernement compte faire pour protéger les salariés contre des méthodes inacceptables au regard du respect des lois et de la personne humaine, et qui conduisent les intéressés à renoncer à leurs droits.