Monsieur le Président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir opère un véritable dépoussiérage de notre droit de la prescription en matière civile.
Le texte adopté au Sénat le 21 novembre dernier reprend à son compte un grand nombre de propositions formulées dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations rédigé par Philippe Malaurie sous l'égide de Pierre Catala, tous deux professeurs émérites de l'université Paris II.
La proposition de loi que nous examinons a abouti à un texte de qualité. Une pierre supplémentaire est ainsi apportée à l'édifice de la réforme des obligations. Elle est de taille, puisqu'elle touche à une des garanties fondamentales de la sécurité juridique : la prescription. « Le temps des juristes n'échappe pas plus que celui des physiciens au grand principe de la relativité », disait le doyen Carbonnier. Cette relativité, qui correspond à la consolidation d'une situation juridique par l'écoulement du temps, doit être précisée par le législateur.
Tout l'enjeu d'une réforme de la prescription est de concilier l'exigence de justice, qui doit permettre à un justiciable qui a subi un préjudice de faire valoir ses droits pendant un délai raisonnable, et l'exigence de protection, comme l'a indiqué Mme la garde des sceaux, contre des actions en justice qui surviennent trop tardivement.
En France, les règles de la prescription sont devenues trop nombreuses et trop complexes. Il était donc grand temps de repenser dans sa globalité le régime de la prescription civile. Vous l'avez indiqué tout à l'heure, madame la garde des sceaux : la situation actuelle est injuste. Il convient donc de soutenir une réforme qui vise à la simplification.
Parlons d'abord des délais. Il en existe actuellement plus de deux cent cinquante. Cette situation, illisible pour le justiciable, provoque de nombreuses incohérences. La proposition de loi simplifie le droit en diminuant sensiblement le nombre et la diversité des différents délais de prescription, notamment en réduisant le nombre des prescriptions extinctives particulières et en les alignant sur le délai de droit commun.
L'apport essentiel du texte porte en effet sur la durée de ces délais. Alors que l'état actuel du droit prévoit un délai de droit commun de trente ans, la proposition de loi le ramène à cinq ans en matière civile et commerciale.
Cette réduction drastique peut sembler exagérée au premier abord. On notera pourtant que l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription de Pierre Catala recommandait d'adopter un délai de trois ans. De plus, le système juridique français fait encore figure d'exception par rapport à ses voisins européens qui ont retenu des délais beaucoup moins élevés. Notre excellent rapporteur rappelle que ceux-ci sont de dix ans en Italie, en Suisse et en Suède, de six au Royaume Uni et de trois en Allemagne.
La prescription trentenaire s'est révélée un délai bien trop long pour un grand nombre d'actions, en particulier pour certaines actions personnelles, et inadapté face à l'exigence de rapidité – que vous avez évoquée, madame la garde des sceaux – et de réactivité de notre appareil judiciaire.
Cette réforme présente donc le double avantage de l'unification et de la simplification des délais de la prescription en matière civile et commerciale. Qui plus est, un garde-fou est créé, puisque ce nouveau délai de droit commun ne s'applique pas à de nombreuses actions qui nécessitent un délai supérieur. C'est le cas par exemple pour les actions réelles immobilières, les dommages corporels ou encore les préjudices – vous avez eu raison de le souligner, madame la garde des sceaux – résultant de torture ou de barbarie, ou de violences ou d'agressions sexuelles sur un mineur. Celles-ci resteront de vingt ans.
Précisons également que le délai retenu pour les auteurs d'un dommage environnemental est porté à trente ans, ce dont se félicitent les députés du groupe Nouveau Centre, fermement engagés pour une attitude responsable dans ce domaine.
Le deuxième apport essentiel du texte est de fixer le point de départ du délai pour agir en justice. Désormais, le délai de prescription est fixé au « jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. » La précision n'est pas anodine, car elle légitime l'abaissement de la durée du délai de droit commun. Elle permet ainsi d'éviter des situations où la victime s'apercevrait trop tard de son préjudice, au regard des délais imposés par la loi. En revanche, une fois celui-ci constaté, le délai de cinq ans paraît amplement suffisant pour intenter une action en réparation. On ne voit pas pourquoi, en effet, une personne lésée dans son bon droit mettrait plus de temps à réagir.
Pour la première fois, est également instauré un délai butoir de vingt ans en matière de prescription extinctive à compter de la naissance d'un droit, même si le point de départ du délai est reporté, ou que la prescription est suspendue ou interrompue, ce qui limite dans le temps les situations d'insécurité juridique.
Le texte profite également de la refonte du droit de la prescription pour corriger certaines situations juridiques ambiguës. C'est le cas du régime des causes de suspension et d'interruption des délais de prescription, qu'il réorganise.
La proposition de loi met fin à des anomalies juridiques qu'il était nécessaire de réformer, notamment les délais préfix. La jurisprudence a admis l'existence de ces délais qui provoquent l'incompréhension de l'ensemble des acteurs du monde juridique. Il était temps de les exclure du régime de la prescription extinctive. Grâce à cette proposition de loi, c'est chose faite.
Le groupe Nouveau Centre se félicite enfin de la plus grande part laissée à la prescription conventionnelle. Dans de nombreux cas, la durée de la prescription pourra être abrégée ou allongée par accord des parties, dans la limite de un à dix ans pour éviter les abus dans un sens ou dans l'autre.
Les parties pourront également ajouter conventionnellement aux causes de suspension ou d'interruption de la prescription prévues par la loi. Cette mesure, qui introduit davantage de liberté et de souplesse, est une bonne chose. Bien qu'elle soit contraire à l'objectif d'uniformisation des délais, nous saluons la volonté de faire primer le consensus sur la règle rigide et impersonnelle. Vous avez d'ailleurs signalé, madame la garde des sceaux, que cette proposition de loi encourage la conciliation ou la médiation, qui ont pour effet de suspendre les délais de prescription.
Ainsi, globalement, le régime de la prescription en matière civile ressort nettement amélioré de la proposition de loi. Le code civil est réorganisé. Les règles de la prescription sont modernisées et rendues cohérentes. Les incertitudes juridiques résultant des règles jurisprudentielles sont sensiblement réduites. Le texte laisse enfin plus de liberté aux justiciables dans la fixation des règles de la prescription. Pour toutes ces raisons, les députés du groupe du Nouveau Centre apporteront leur soutien à la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)