Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, la présente réforme de la prescription en matière civile était attendue d'abord en raison de la multiplication des délais : M. Weber, président de la troisième chambre de la Cour de cassation, en a recensé plus de 250, dont la durée varie d'un mois à trente ans. Cette situation est source à la fois d'ignorance, de désordres et d'insécurité juridique permanente.
Cette réforme va aussi dans le sens de la simplification du droit, à laquelle notre commission des lois s'attachera tout au long de cette législature.
La prescription, « la plus importante de toutes les institutions de notre code civil » selon Savigny, serait-elle à ce point médiocre pour devoir être ainsi réformée ? Le doyen Carbonnier ne nous disait-il pas – avec raison – qu'une réforme doit être adaptée à l'esprit et qu'il faut se méfier du droit venu d'ailleurs ?
Nombreux sont les rapports et avis exprimés par la doctrine sur le sujet, et nombreux sont ceux qui convergent vers une durée réduite à dix ans, que le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche considère comme le point d'équilibre des relations contractuelles.
Je rappellerai les différentes études menées jusqu'à ce jour, afin de montrer le sérieux du travail accompli et mesurer à son aune la présente proposition de loi.
Le rapport annuel de la Cour de cassation de 2001 suggérait déjà la modification des articles 2261 et 2270-1 du code civil afin de ramener la prescription extinctive trentenaire à une prescription décennale : « Depuis longtemps, une doctrine unanime préconise l'harmonisation et la réduction des délais de prescription des actions et obligations. L'oeurs : prescription de dix ans pour les actes de commerce et les actes mixtes, prescription ramenée ou fixée à cinq ans, en 1968, pour les actions en nullité des conventions, à dix ans, en 1978, pour les actions en responsabilité et garantie en matière de construction d'ouvrage.
« La disparité actuelle aboutit à des incohérences dans le schéma bien connu de la combinaison des articles 1147, 1165 et 1382 du code civil lorsqu'un tiers se prévaut de la violation d'une obligation contractuelle qui lui cause préjudice. En ce cas, en effet, les victimes d'un même acte seront soumises à des prescriptions différentes selon qu'elles ont un lien contractuel avec le responsable de leurs dommages – auquel cas la prescription est de trente ans – ou qu'elles n'en ont pas – auquel cas la prescription est de dix ans. Il conviendrait donc de généraliser à dix ans le délai maximal de prescription des actions en toute matière. Bien entendu, cette suggestion ne concerne pas la prescription acquisitive ou usucapion. »
En 2004, le groupe de travail présidé par M. Weber préconisait de fixer un délai de droit commun de dix ans pour la prescription extinctive applicable aux actions mobilières et personnelles, et de maintenir le délai trentenaire pour les actions réelles immobilières. Il notait avec raison : « L'acquisition de la propriété immobilière par possession trentenaire ou l'extinction des servitudes par non-usage pendant trente ans correspondent à de véritables règles culturelles de la “constitution civile des Français”, qu'il serait paradoxal de raccourcir alors que la durée de la vie ne cesse de s'allonger et qu'une telle prescription acquisitive ne correspond plus aujourd'hui, statistiquement, qu'à une petite partie de la vie d'un seul individu. »
Le groupe de travail proposait en outre de fixer une durée de prescription acquisitive immobilière abrégée unique de dix ans, quel que soit le lieu de résidence du vrai propriétaire. Ces propositions avaient même inspiré le projet de réforme établi par la direction des affaires civiles et la direction du sceau du ministère de la justice, qui devait être appliqué par voie d'ordonnance.
Le projet de loi de simplification du droit présenté en juillet 2006 au Sénat par Thierry Breton et Jean-François Copé, visant à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, autorisait dans son article 1er le Gouvernement à modifier les règles relatives à la prescription civile, notamment en limitant à dix ans le délai de prescription de droit commun applicable aux actions personnelles ou mobilières, à l'exception de celles relatives à l'état des personnes. La prescription trentenaire était maintenue pour les actions réelles immobilières. Cette réforme aurait permis, nous disait-on, de renforcer la sécurité juridique des particuliers et des entreprises, et constituait une réelle simplification en mettant fin à l'obligation de conserver pendant trente ans des justificatifs de paiement.
Le présent texte fait suite au rapport de la mission d'information sénatoriale sur le régime des prescriptions civiles et pénales, conduite par les sénateurs Hyest, Portelli et Yung, qui comportait dix-sept recommandations pour moderniser les régimes de prescriptions et leur rendre leur cohérence. Celles-ci s'inspiraient dans une large mesure de la partie de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription abrégée rédigée par les professeurs Malaurie et Catala, dont les idées progressistes n'ont d'équivalent que la constance qu'ils mettent à les combattre. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ces derniers proposaient même de réduire à trois ans la prescription de droit commun, à l'exception de quelques hypothèses comme l'usucapion. La direction des affaires civiles du ministère de la justice et le MEDEF s'y étaient montrés hostiles, tous deux préférant réduire à dix ans la durée de la prescription extinctive de droit commun. Les travaux de la mission d'information de la commission des lois du Sénat reçoivent aujourd'hui l'éloge du professeur Malaurie, qui parle, à propos de la réduction du délai de droit commun de la prescription extinctive, de « coup de maître et d'acte de courage », échappant « à la timidité des propositions » faites par le ministère de la justice. Mieux encore, il souligne que la mission d'information est sortie de la « facilité consensuelle ».
On peut cependant s'étonner qu'aucune analyse sociologique n'ait été menée préalablement afin d'interroger les masses silencieuses – et pas seulement les groupes de pression – sur l'adaptation du délai de cinq ans à notre époque. La réforme des régimes matrimoniaux de 1965, par exemple, avait été préparée par une très utile enquête sociologique préalable ; et elle a porté les fruits que l'on sait.
On aurait également souhaité qu'une étude d'impact économique pose les bonnes questions : à qui profite une prescription aussi courte ? Au professionnel ? Au consommateur ? Au responsable ? Ce qui est sûr, c'est qu'il est difficile, voire impossible, de se prononcer a priori sur les effets économiques de la réforme.
Cette réforme favorisera les comportements opportunistes des débiteurs qui joueront la montre en adoptant une attitude passive. Elle augmentera finalement le nombre de créances impayées éteintes grâce à la prescription. Une courte prescription incite naturellement le créancier à recourir au juge pour obtenir son dû. Plus la probabilité d'existence d'une créance est grande, plus le délai de la prescription est long et réciproquement. Le législateur n'a pas tenu compte de ce fait. Consacrer un court délai de prescription a un effet spoliateur : le créancier est privé du bien.
Sur le fond, nous sommes opposés à la réduction drastique du délai de prescription trentenaire à cinq ans. Contraire à notre tradition juridique et à la construction de notre droit, il profitera toujours à celui auquel le rapport de force contractuel sera favorable. Ce délai, nous l'avons dit, n'est pas consensuel. On attend d'une réforme législative d'ampleur qu'elle reflète l'état de la société tout en étant équilibrée. Il n'est pas certain que ce soit le cas de cette proposition de loi, d'autant que des critiques peuvent être formulées dans plusieurs autres domaines.
Une des principales critiques que nous relèveront concerne la codification des règles de prescriptions extinctive et acquisitive. L'actuel article 2259 résultant de la proposition de loi déclare « applicables à la prescription extinctive les articles 2221 et 2222, et les chapitres III et IV du titre XX du présent livre », à savoir le livre IV du code civil intitulé : « De la prescription acquisitive ». Ces dispositions forment donc un ensemble de règles communes aux prescriptions extinctive et acquisitive, qu'il aurait été judicieux de rassembler dans une division unique pour une meilleure compréhension et rédaction des textes. Ne devons-nous pas travailler avec constance à la simplification du droit ? Celle-ci concerne aussi la codification des textes que nous votons. Je crains que la présente proposition de loi ne nous permette pas d'y parvenir.
Une autre critique concerne le délai butoir inscrit à l'article 2232 du nouveau code civil. L'instauration d'un délai butoir a pour effet que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne pourront conduire à ce que le délai de la prescription extinctive s'étende au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. Ce délai butoir alimente les critiques, notamment de la Cour de cassation – il n'est qu'à se reporter aux conclusions du groupe de travail de la Cour de cassation de juin 2007 sur l'avant-projet Catala de réforme du droit des obligations. Le groupe de travail s'est déclaré hostile au délai butoir, soulevant le risque d'inconstitutionnalité de cette mesure au motif qu'elle méconnaît le principe suivant lequel la prescription ne peut être opposée à celui qui est dans l'impossibilité d'agir.
La mission d'information sénatoriale a également fait part de ses réserves quant à la généralisation d'un délai butoir. Ainsi, Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris-X et avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, a mis en évidence devant la mission d'information le fait qu'en cas d'instauration d'un délai butoir général, même trentenaire, le salarié qui s'apercevrait au moment de la liquidation de ses droits à la retraite, par exemple en 2007, que son employeur avait omis, entre 1970 et 1975, de verser au régime général les cotisations nécessaires à la constitution de ces droits, ne pourrait plus intenter aucune action.
Par ailleurs, le point de départ choisi pour le délai butoir n'est pas satisfaisant, se révélant trop peu protecteur du droit des justiciables.
En ce qui concerne l'aménagement conventionnel – ce sera ma troisième remarque –, la possibilité pour les parties de modifier la durée de la prescription, en l'allongeant, en l'abrégeant, ou en ajoutant des causes prévues d'interruption ou de suspension de la prescription, présente des risques pour les contractants en situation de dépendance économique. En effet, si l'exclusion des actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages, ou si l'exclusion des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou celle des contrats d'assurance et des opérations soumises au code de la mutualité offre des garanties dans ces domaines, elle laisse échapper toutes les autres conventions, notamment entre professionnels où la partie en position de force risque d'imposer à l'autre un allongement du délai d'action à son profit et un raccourcissement du délai d'action contre elle. En outre, la prescription n'intéresse pas que les intérêts privés des parties : elle intéresse également l'institution judiciaire, à travers la possibilité, offerte ou non, de saisir le juge d'une prétention.
En juin 2007, le groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant-projet de réforme déjà cité s'est déclaré « à l'unanimité hostile » aux aménagements conventionnels de la durée de la prescription autorisés par l'avant-projet « eu égard au risque que de tels aménagements soient imposés à la partie la plus faible, comme ce fut le cas en matière d'assurance avant la loi du 13 juillet 1930 qui a interdit ce procédé. »
Par ailleurs, permettre la multiplication des délais dérogatoires de la prescription par une simple volonté des parties est en contradiction manifeste avec ce qui devrait être l'objectif du législateur : l'intelligibilité du droit.
La matière ne doit donc pas être abandonnée à la volonté privée et doit être déclarée d'ordre public.