Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise a été adoptée par le Sénat en première lecture le 21 novembre dernier. Elle trouve son origine dans la réflexion conduite dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, rédigé sous la direction de M. Pierre Catala, et dans les travaux de la mission d'information de commission des lois du Sénat sur le régime des prescriptions civiles et pénales, présidée par M. Jean-Jacques Hyest.
Cette réforme attendue – Mme la garde des sceaux nous l'a rappelé – repose sur trois axes principaux : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive ; la simplification de leur décompte ; enfin, l'autorisation encadrée de leur aménagement contractuel. Ses mesures les plus importantes à mes yeux sont le raccourcissement du délai de droit commun de trente ans à cinq ans et l'institution d'un délai butoir de vingt ans, corollaire de la définition d'un point de départ glissant pour la prescription.
Rappelons enfin que la proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité au Sénat, seul le groupe CRC s'étant abstenu. En tant que rapporteur je concentrerai mon propos sur les quelques points qui ont donné lieu à des discussions plus approfondies en commission.
Les principales inquiétudes ont porté sur la question de la prescription de l'action en réparation de la discrimination en droit du travail. La discrimination au sein d'une entreprise se traduit le plus souvent par une perte de salaire. Or, en la matière, il y a concurrence entre deux règles de prescription : pour ce concerne le paiement des salaires, la prescription est quinquennale, comme le précisent les articles L. 3245-1 du code du travail et 2277 du code civil ; pour ce qui concerne la discrimination au travail, définie dans le code du travail, la prescription est soumise à un délai de trente ans. La Cour de cassation, saisie sur cette question, a renoncé à isoler la question de la réparation de la perte de salaire : « l'action en réparation du préjudice résultant [de la] discrimination se prescrit par trente ans ».
Or le texte prévoyait initialement de ramener à cinq ans le délai de droit commun de la prescription. Confronté à de multiples interrogations, le Sénat a proposé un amendement particulièrement intéressant. Il prévoit, d'une part, que les dommages et intérêts « réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée » – point extrêmement important –, et, d'autre part, que l'action en réparation du préjudice né de la discrimination court à compter de la révélation de la discrimination.
Le terme de « révélation » appelle toutefois des précisions car il n'a pas fait taire toutes les inquiétudes. La doctrine définit la révélation comme la « connaissance du manquement et du préjudice en résultant ». Il faut savoir que la discrimination est très difficile à établir car elle est rarement imputable à un élément unique. Elle est, au contraire, le résultat d'une série de décisions qui s'étalent dans le temps. En outre, l'action en réparation est le plus souvent engagée lorsque le salarié a quitté l'entreprise. Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 mars 2007, a fait de la révélation de la discrimination le point de départ de ce délai. La révélation n'est donc pas la simple connaissance de la discrimination par le salarié : elle correspond au moment où il dispose de tous les éléments de comparaison lui permettant de mettre en évidence la discrimination. En l'absence de ces éléments, la discrimination n'est pas considérée comme étant révélée ; par conséquent, la prescription ne court pas.
Cet amendement est donc particulièrement favorable aux salariés et contribue à la lutte contre la discrimination au travail en général. Il garantit la réparation intégrale du dommage né de la discrimination, quelle qu'en soit la durée – à la limite, la durée peut être supérieure à trente ans. D'autre part, il permet au salarié, grâce à la définition du point de départ que je viens d'évoquer, d'agir seulement quand il dispose des éléments probants à l'appui de sa demande. Compte tenu de cet encadrement, la réduction de trente ans à cinq ans du délai de prescription ne nuira pas aux capacités d'action des salariés.
D'autres points ont fait débat en commission. Un amendement socialiste prévoyant de fixer le délai de prescription de droit commun à dix ans au lieu de cinq ans a été rejeté. Il en est allé de même pour un autre amendement du même groupe tendant à supprimer le délai butoir. Nous avons également repoussé un amendement visant à rétablir un point de départ en cas de vice de consentement dans un mariage – nous en reparlerons lors de la discussion des articles. Autre point de discussion – qui ne doit pas nous entraîner trop loin : la suppression du second alinéa de l'article L. 3243-3 du code du travail, qui dispose que la remise d'un bulletin de paye ne vaut pas arrêté de comptes. L'amendement adopté cet après-midi en commission sera, je l'espère, de nature à apaiser les inquiétudes des uns et des autres et à dissiper toute ambiguïté.
Pour finir, j'insisterai sur le fait que ce texte, d'apparence très technique, concerne beaucoup de nos concitoyens dans leur vie quotidienne, nous le verrons lors de l'examen des amendements et des divers problèmes qu'ils soulèvent. La prescription permet par ailleurs de sécuriser et de simplifier notre système juridique. Nous ne pouvons plus, au XXIe siècle, nous fonder sur des délais établis il y a deux siècles, d'autant que, comme l'a rappelé Mme la garde des sceaux, il en existe plus de 250, variant de un mois à trente ans. C'est la raison pour laquelle la commission a adopté ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)