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Intervention de Rachida Dati

Réunion du 6 mai 2008 à 21h30
Réforme de la prescription en matière civile — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, le texte qui vous est soumis aujourd'hui aborde une question importante pour notre droit : celle de la prescription civile. Cette proposition de loi, déposée au Sénat par le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, est une excellente initiative que le Gouvernement soutient pleinement.

Le droit de la prescription doit en effet être réformé : vous l'avez fort bien mis en évidence, monsieur le député Émile Blessig, dans votre rapport. J'ai senti parler toute l'expérience de l'avocat et du juriste de qualité que vous êtes.

La prescription est fondée sur un motif d'ordre public et de paix sociale. Elle répond à un impératif de sécurité juridique : le titulaire d'un droit, resté trop longtemps inactif, est censé y avoir renoncé.

Fixé il y a plus de deux siècles par le code civil, en 1804, le délai de prescription est en principe de trente ans. Dans certains cas, le législateur l'a ramené à dix ans : ainsi pour les actions en responsabilité civile non contractuelles comme les accidents de circulation. Qui plus est, de nombreux délais particuliers ont été instaurés au fil des ans. Au total, on dénombre aujourd'hui plus de 250 délais légaux dont la durée varie d'un mois à trente ans.

À ce foisonnement s'ajoutent des règles d'interruption ou de suspension des délais de prescription extrêmement complexes. Cette multiplicité des délais a abouti à un système qui a perdu sa cohérence. Nous sommes désormais face à un paradoxe : la prescription doit répondre à un souci de sécurité juridique, mais les dispositions actuelles, parce que trop nombreuses, sont source d'insécurité juridique.

Chacun le reconnaît, le droit commun de la prescription est aujourd'hui inadapté. Non seulement l'absence de lisibilité est pour nos concitoyens facteur de confusion, mais surtout, cette complexité nuit à l'attractivité de notre droit et particulièrement à notre attractivité économique. Notre régime de prescription est isolé en Europe : en Allemagne, le délai est de trois ans, en Angleterre et au Pays de Galles, de six ans.

Il est donc nécessaire de procéder à une remise à plat d'ensemble du droit commun de la prescription. Il faut le simplifier et le moderniser.

Cette réforme aussi ambitieuse que profonde procède d'une volonté commune, tant des professionnels du droit que des opérateurs économiques. Elle résulte d'un rapport rédigé par la Cour de cassation en 2004, qui suggérait de faire passer le droit commun de la prescription de trente à dix ans. Elle fait également suite aux travaux du groupe de travail animé par le professeur Pierre Catala en 2005, qui proposait de le ramener à trois ans. Elle est construite autour de deux axes : d'une part, la réduction et l'unification des délais ; d'autre part, la clarification du régime de la prescription.

La proposition de loi fixe le délai de droit commun de la prescription à cinq ans ; l'actuel délai de trente ans est à l'évidence devenu beaucoup trop long. Comment agir en justice trente ans après les faits ? Quelles preuves apporter ? Quelles chances a-t-on de voir ses demandes aboutir ? C'est une très grande insécurité pour le défendeur. Quelles pièces faut-t-il garder pendant tout ce temps ? On ne peut pas exiger qu'une personne conserve durant trente ans des justificatifs de paiement. Cela dépasse le raisonnable.

Le délai de prescription fixé en 1804 correspondait aux contraintes de l'époque. L'accès au droit et à l'information juridique était moins aisé. Aujourd'hui, l'accès à l'information juridique est très largement facilité. Une personne qui recherche des informations sur les possibilités d'action en justice peut y accéder grâce à Internet, à l'organisation de consultations juridiques dans de nombreux lieux, et à l'action des associations. Tout un chacun peut désormais obtenir rapidement et gratuitement des informations sur ses droits. Il ne faut pas non plus oublier l'action des professions juridiques et judiciaires, avocats, notaires ou huissiers.

La proposition de loi tire les conséquences de ces évolutions en instaurant un délai de prescription de cinq ans. Ce délai est respectueux des droits de chacun : il est suffisant pour permettre à un créancier d'exercer une action ; il garantit également une meilleure stabilité du patrimoine car il écarte toute action tardive. Il est également compatible avec les délais de conservation des archives par les sociétés, comme pour les avocats. Elles n'auront plus à conserver leurs pièces pendant trente ans, ce qui présente un intérêt financier non négligeable. Le texte s'inscrit à cet égard dans le mouvement choisi par nos voisins européens ; il nous replace au coeur du dynamisme juridique, il facilitera la vie économique de nos entreprises, qui gagneront en compétitivité.

La proposition de loi répond aussi à une volonté d'unification et de simplification du droit. La situation actuelle est en effet profondément injuste. Entre autres exemples d'incohérence, la victime d'un accident liée par contrat à son responsable a trente ans pour agir contre lui ; mais en l'absence de contrat, elle ne dispose plus que d'un délai de dix ans pour demander réparation… Ainsi, dans le cas d'un accident résultant de l'imprudence d'un chauffeur de car, les passagers ont trente ans pour agir, alors que le conducteur de la voiture percutée, lui, n'a droit qu'à dix ans ! Autrement dit, deux personnes ayant subi le même dommage ne bénéficient pas des mêmes droits. Après l'adoption de la proposition de loi, un seul et même délai leur sera applicable. De surcroît, sur proposition de votre rapporteur, l'aggravation de l'état de la victime pourra ouvrir un nouveau délai pour agir.

Le délai commun de cinq ans connaîtra cependant quelques dérogations correspondant à des situations particulières. C'est le cas pour les actions concernant l'état des personnes, notamment en matière de filiation.

Une autre exception est, à mes yeux, particulièrement importante : celle qui s'applique aux victimes mineures d'actes de torture ou de barbarie ainsi que de violences ou d'agression sexuelles. La règle fixant un délai de vingt ans pour leurs actions en responsabilité civile est maintenue. Certains se sont interrogés sur l'opportunité de le porter à trente ans ; je crois raisonnable de nous en tenir à un délai de vingt ans en cette matière.

Cette dérogation au principe d'unité des délais de prescription me paraît tout à fait justifiée. Elle tient compte de l'extrême gravité des faits subis et de la vulnérabilité des victimes.

Votre rapporteur vous proposera également, à juste titre, une dérogation en matière de droit de la construction, qui consolide les acquis de la jurisprudence.

Je tiens enfin à revenir sur les incidences de la présente réforme en matière de lutte contre les discriminations salariales. Après l'adoption de la proposition de loi par le Sénat, certains syndicats, mais également la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, ont fait part de leurs inquiétudes. Ils craignent que la suppression du délai trentenaire ne restreigne l'indemnisation des victimes. Ils redoutent que les victimes de discrimination ne soient plus indemnisées que pour le préjudice subi pendant les cinq dernières années.

J'ai fait, vous le savez, de la lutte contre les discriminations une de mes priorités. Il n'a jamais été dans l'intention du Gouvernement de restreindre le droit à indemnisation. Ce n'est pas non plus la volonté des rédacteurs de la proposition de loi. C'est précisément pour dissiper tout malentendu qu'un amendement proposé par MM. les sénateurs Hyest et Béteille a été adopté, le 9 avril dernier, par le Sénat lors de l'examen du projet de loi portant sur les luttes contre les discriminations. Il précise que les dommages et intérêts alloués à la victime d'une discrimination réparent l'entier préjudice subi, pendant toute sa durée. Aujourd'hui, votre rapporteur vous suggère de reprendre ce dispositif. Le texte actuel me paraît en effet plus approprié.

Le deuxième axe de la réforme concerne la simplification du régime applicable à la prescription. Comme l'a rappelé votre rapporteur, Émile Blessing, les règles qui régissent la prescription sont particulièrement complexes. Une simplification et une adaptation sont donc nécessaires.

La simplification passe par la refonte du titre XX du livre troisième du code civil. Il faut favoriser la lisibilité du texte et faciliter l'usage de cet outil afin de le rendre accessible à tout un chacun.

La simplification impose également d'énoncer clairement les causes d'interruption ou de suspension de la prescription. C'est le cas dans le texte qui vous est soumis. Il énonce de nouvelles règles qui prennent en compte les modes alternatifs de règlement des conflits et les évolutions communautaires. Le recours à la conciliation ou à la médiation suspendra le cours de la prescription. Il sera donc possible de prendre le temps de dégager une solution amiable sans perdre ses droits à agir en justice. Les créanciers ne seront plus contraints d'assigner : ils pourront d'abord engager des pourparlers, avec la garantie apportée par la présence d'un tiers, ce qui favorisera le règlement amiable des litiges.

Enfin, les règles obsolètes et sources d'insécurité juridique seront supprimées. C'est le cas notamment de certaines règles en matière de prescription immobilière. Aujourd'hui, si le propriétaire d'un immeuble est de bonne foi, la prescription peut varier de dix ans à vingt ans selon son lieu de domiciliation. Si la distance pouvait être un obstacle à l'information au début du XXe siècle, elle ne l'est plus aujourd'hui : cette distinction n'a plus lieu d'être. La proposition de loi fixe désormais un délai unique de dix ans.

Comme vous le voyez, cette proposition de loi simplifie et modernise considérablement le droit de la prescription. J'y suis donc très favorable.

Elle répond aux attentes des Français qui souhaitent un droit plus accessible. Elle répond aussi aux attentes exprimées par nos entreprises. Elle constitue la première étape de la modernisation de notre droit des obligations. C'est pour cela qu'elle recueille le soutien du Gouvernement.

La modernisation de notre droit se poursuivra par la réforme du droit des contrats, puis par une refonte du droit de la responsabilité délictuelle. Je sais que votre assemblée partage cette volonté de moderniser notre droit et de le simplifier.

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