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Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 31 janvier 2008 à 9h30
Organisation du service public de l'emploi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, malgré les délais très courts que nous avons eus pour étudier le texte – l'urgence semble devenue la norme dans cette enceinte, mais était-elle réellement nécessaire pour ce projet ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) –, malgré, rappelons-le, l'absence d'évaluation des dispositifs issus du plan de cohésion sociale de 2005, malgré enfin une certaine précipitation – bien que, pour répondre à votre remarque de l'autre jour, madame la ministre, je reconnaisse que vous n'avez pas une tête de « précipitée » (Sourires) – et une certaine improvisation tenant au fait que le Gouvernement a bricolé une fusion des réseaux avant de définir précisément le contenu des politiques d'emploi, malgré tout cela, nous avons travaillé avec un esprit positif et constructif. Plusieurs de nos amendements ont d'ailleurs été adoptés au Sénat, à l'Assemblée nationale et, hier encore, lors de la commission mixte paritaire.

Ainsi le groupe SRC a pu faire inscrire dans la loi que le nouvel établissement issu de la fusion des réseaux de l'ANPE et des ASSEDIC était une institution publique, et ajouter à ses missions l'expertise sur l'évolution des emplois et des qualifications ainsi que la promotion professionnelle des salariés. Nous avons aussi, avec d'autres, défendu avec succès le principe selon lequel il « participe aux parcours d'insertion sociale et professionnelle » – c'est-à-dire qu'il joue un rôle actif dans l'accompagnement des RMIstes vers l'emploi –, ainsi que l'affiliation de ses agents à l'IRCANTEC pour leur régime de retraite complémentaire, ce qui nous a valu une lettre de réprobation de M. Sarkozy – non le Président de la République, mais son frère. De même, nous avons concouru à faire reconnaître les maisons de l'emploi comme partie prenante du conseil national de l'emploi et des conseils régionaux de l'emploi, sans pour autant leur accorder une importance supérieure aux autres dispositifs pilotés par les collectivités locales.

Cependant, madame la ministre, nous ne partageons toujours pas la philosophie de votre démarche, qui relève d'une conception centralisatrice, répressive, administrative et, pour tout dire, datée du service public de l'emploi. En effet, votre projet de fusion ne répond ni aux exigences d'un service de l'emploi efficace, ni aux évolutions du marché de l'emploi – à savoir sa dualisation et la précarisation croissante –, ni aux attentes des salariés en matière de formation, de qualification et de sécurisation de leurs parcours professionnels, ni même, disons-le, à celles des entreprises, grandes absentes de nos débats – bien que, ministre de l'économie, vous soyez en quelque sorte leur ministre.

En effet, nous pensons que le nouveau service public de l'emploi devrait être un véritable service public de sécurisation des parcours professionnels de l'ensemble des salariés, et non un simple service de placement, d'indemnisation et de contrôle des demandeurs d'emplois. Bien que vous vous en défendiez, tout le monde a compris que votre politique vise avant tout à exercer une pression sur ces derniers afin qu'ils acceptent l'offre proposée sous peine d'être radiés – ce en quoi vous ne faites que vous aligner sur les standards anglo-saxons.

À terme, il faut le dire publiquement, le contrôle de la recherche effective d'emploi ne sera plus exercé par des agents publics, le personnel de la nouvelle institution relevant d'un statut privé. D'ores et déjà, répétons-le, un demandeur d'emploi peut se voir suspendre automatiquement ses indemnités, sans avoir été entendu ; votre texte amplifie le mouvement en faisant passer ces questions du domaine législatif au domaine réglementaire.

En effet, le véritable objectif du Gouvernement est double : d'abord, disposer d'un outil à sa main pour faire baisser statistiquement le chômage par l'automatisation des sanctions ; ensuite, maîtriser les fonds de l'assurance chômage en vidant le paritarisme de sa substance au profit d'un tripartisme dans lequel le rôle des partenaires sociaux n'est pas clairement identifié, notamment au niveau régional – alors que, dans l'organisation des ASSEDIC, ils participaient fortement à la mise en place des politiques d'emploi au niveau régional.

En définitive, à la fin de son examen, votre projet de loi continue à susciter de nombreuses inquiétudes, qui risquent de provoquer difficultés et dysfonctionnements.

Inquiétude tout d'abord s'agissant du statut de la nouvelle institution, réputée publique mais dont vous souhaitez que l'ensemble du personnel relève à terme d'un contrat de droit privé et d'une nouvelle convention.

Inquiétude ensuite sur le régime du patrimoine immobilier de ce monstre juridique que vous dites « sui generis », mais qui n'en présente pas moins un double visage.

Inquiétude aussi des personnels quant à leur évolution statutaire et professionnelle, dont nous avons beaucoup parlé durant ces débats et que vous n'êtes pas parvenue à lever ; certains sont invités à renoncer à leur statut public, d'autres à perdre, sans comprendre pourquoi, une convention collective à laquelle ils sont attachés et que tout le monde trouve excellente.

Inquiétude, exprimée par M. le président de la commission des affaires culturelles lui-même, concernant le choix des directeurs, notamment régionaux, qui déterminera les conceptions managériales de la nouvelle institution.

Inquiétude et incertitude sur l'avenir des missions locales, que vous ne semblez concevoir que dans le cadre des maisons de l'emploi, alors que la grande majorité d'entre elles sont juridiquement et financièrement autonomes – mais peut-être, comme cela a été suggéré en CMP, votre projet est-il d'aboutir à leur absorption définitive par le nouvel opérateur, réalisant ainsi enfin le grand rêve de l'ANPE.

Inquiétude, que d'autres orateurs ont rappelé à cette tribune, quant à l'avenir de l'AFPA, la majorité ayant refusé de proroger d'un an le délai de sa soumission aux procédures de marché et envisageant très clairement – comme cela a été confirmé en CMP – sinon son dépeçage, du moins sa vente par appartements.

Inquiétude et incertitude sur le transfert du recouvrement des contributions à l'URSSAF, le destin professionnel des personnels qui en étaient chargés, notamment en région parisienne, et l'information de première main sur la réalité des entreprises dont ce transfert entraînera la perte puisque les agents du nouvel établissement n'auront plus de contact direct avec les entreprises, contact qui était le gage de leur efficacité dans la prospective d'emplois.

Incertitude aussi et peut-être surtout sur les moyens financiers et humains dont sera dotée la nouvelle institution, puisque vous n'apportez aucune garantie sur la participation de l'État et que votre majorité a refusé d'inscrire dans la loi tant le principe de la présence dans chaque bassin d'emploi d'une agence au moins du nouvel opérateur, que celui du référent unique, alors que l'amélioration du maillage territorial et celle de l'accompagnement des demandeurs d'emploi devraient être les objectifs prioritaires de la réforme.

Inquiétude enfin sur le fonctionnement même de ce nouvel opérateur qui comprendra 45 000 agents, notamment dans son articulation avec les collectivités locales, de plus en plus impliquées dans la lutte pour l'emploi – les régions, qui ont compétence en matière de développement économique et de formation professionnelle, mais également les départements alors que nous avons voté le principe selon lequel le nouvel opérateur prendra en charge les RMIstes en recherche d'emplois. Toutes ces collectivités locales, pourtant largement impliquées dans les politiques d'emploi, se voient en grande partie exclues du projet de loi.

Même la création d'un Conseil régional de l'emploi, présidé par le préfet de région mais qui, dans le faits, viendra doublonner le SPER – le service public de l'emploi régional – et le CCREFP, n'est pas de nature à nous rassurer : je crains fort qu'il ne reste une instance fantôme incapable de mobiliser au plan régional l'ensemble des acteurs concernés.

Du reste, à la suite de l'intervention d'Alain Rousset, le président Méhaignerie, conscient de la difficulté, a proposé une expérimentation de coprésidence du dispositif dans deux régions : souhaitons qu'elle permette d'améliorer les problèmes d'articulation des dispositifs qui, malheureusement, ne manqueront pas de se poser.

Au plan local, il semble qu'après avoir gelé leur financement et surtout leur développement, vous renvoyez la question de la coordination et de la cohérence des acteurs au niveau des maisons de l'emploi, plus sous la pression du Parlement que par conviction.

De fait, à peine né votre outil est déjà dépassé. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.) Un tel outil aurait certes été souhaitable il y a dix ou quinze ans ; mais il est aujourd'hui inadapté à l'économie de la connaissance que nous devons bâtir, laquelle réclame non pas une logique « adéquationniste » et une simple gestion marchande des compétences, mais une vision dynamique conjuguant le développement du potentiel de chacun et les stratégies des territoires et des entreprises.

Préparé, je le répète, dans la précipitation, le nouvel outil exclut d'emblée une série d'acteurs des politiques d'emploi – l'AFPA, les conseils régionaux ou les missions locales –, alors que c'est vers une véritable coproduction de la politique de l'emploi sur les territoires qu'il faudrait tendre !

Nous craignons donc, madame la ministre, que ce qui devait être une arme nouvelle contre le chômage ne pose plus de problèmes qu'elle n'en résoudra, voire qu'elle ne finisse par se retourner contre les demandeurs d'emplois.

Votre réforme bâtie à la hâte insécurise à la fois ses acteurs et ses bénéficiaires. Dans notre pays la précarisation des emplois s'accroît chaque jour et les Français sont, parmi les Européens, les plus inquiets en matière de risques de perte d'emploi et de délocalisation. Si vous souhaitez réellement construire la « flexisécurité à la française », la mobilité doit être la contrepartie d'une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de la mise en oeuvre du droit à la formation tout au long de la vie et d'une sécurisation des transitions professionnelles négociée avec les partenaires sociaux, et non pas imposée brutalement par l'État à des salariés déjà précarisés, ce qui conduit à aggraver l'insécurité.

Pour conclure, je tiens à affirmer que je n'ai pas, aux termes de nos travaux, le sentiment que le nouvel opérateur aura à cM. Jean-Frédéric Poisson. Vous n'en savez rien !

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