Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 25 juin 2009 à 9h30
Réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

J'avais une alternative : soutenir une motion de renvoi en commission. Mais je me suis refusée à user d'un détournement de procédure sur un projet de loi tel que celui-ci, alors que, dès le départ, nous l'avons abordé en prenant mille précautions pour respecter sa dimension symbolique. En effet, nous savons toute la part psychologique qu'il y a dans ce combat, en plus de la part matérielle. Il n'était pas question d'ajouter au préjudice moral déjà induit par toute une série de méthodes dilatoires. Aussi me suis-je résolue à concentrer mon propos..

Il serait inélégant d'insister sur la pugnacité qu'il fallut, dans le cadre du travail parlementaire, aux députés et sénateurs de toutes sensibilités, sous l'impulsion d'associations nationales, régionales, polynésiennes et algériennes, pour en quelque sorte forcer un peu la main de l'État.

Je veux tout de même rappeler d'où nous venons, afin de faire apparaître les différences entre nos deux démarches : la démarche parlementaire, qui a abouti à la discussion d'une proposition de loi en novembre 2008, et la démarche de l'État dans le cadre de ce projet de loi.

Sur les principes, les parlementaires ont choisi pour les guider un certain nombre de notions phares : le respect des victimes ; la prudence en ce qui concerne les données, les connaissances insuffisantes, et les controverses suscitées par ces dernières, notamment en raison de l'absence d'études épidémiologiques ; l'humilité, parce que des gouvernements issus de toutes les sensibilités politiques ont été aux affaires pendant la longue période concernée ; une très grande exigence morale, et un état d'esprit d'empathie, parce que nous savons bien qu'il y a des réparations que nous ne pourrons pas assurer intégralement, notamment à l'égard de ceux qui ont déjà été emportés par la maladie, de la détresse de leurs veuves ou de l'angoisse de leurs enfants. Et quand bien même la réparation serait intégrale, il resterait les plaies d'amertume dues à tout ce temps perdu.

Nous avons donc posé nos principes : la responsabilité et la solidarité dans la dignité. Vous, monsieur le ministre, vous avez énoncé les vôtres : rigueur et justice, et nul ne saurait vous en faire grief. Vous avez d'ailleurs accompli des gestes significatifs : vous avez mis un terme à l'appel systématique des jugements défavorables à l'État, ainsi qu'au recours systématique à la Cour de cassation, et vous avez pris des engagements sur certaines actions et sur un calendrier, et vous les avez tenus.

Il demeure toutefois une différence intrinsèque entre la démarche parlementaire et celle de l'État. Pour notre part, nous avons eu uniquement le souci des victimes, de leurs ayants droit et de leurs descendants. L'État quant à lui semble habité par une préoccupation majeure : la protection de son administration, ce qui semble la mettre en position défensive – comme si chercher à mettre un terme à des procès individuels, longs, pénibles et aléatoires revenait à instaurer un procès permanent contre l'administration d'État !

Loin de moi l'idée que vous n'avez pas eu le souci des victimes, monsieur le ministre : ce serait rompre la discipline que nous nous imposons depuis le début. Je dis seulement que, dans sa conception, ce projet de loi semble poser comme essentiel le principe du contrôle par l'administration d'État, et particulièrement celle de la défense – même pas celle de la santé – d'un processus qui fait enfin droit aux demandes des victimes. Comme si l'on voulait éviter que l'administration ne soit confrontée à la réalité de réparations dont l'ampleur serait révélatrice de la gravité et de l'étendue de la négligence de l'État envers des citoyens qui, à l'époque des faits, étaient tous français – fussent-ils pour certains indigènes.

Lorsque l'on examine l'avant-projet du décret en Conseil d'État dont il est question à l'article 1er, on subodore un retour du risque du seuil. En tout état de cause, cet article est difficilement compréhensible. Or je postule que toute règle, fût-elle parfaitement conçue, fût-elle techniquement incontestable, n'est pas démocratique dès lors qu'elle est inintelligible pour le citoyen. À cet égard, je crains que l'avant-projet de décret ne permette trop d'interprétations.

Tout se passe comme si nous faisions, chacun de son côté, un pari. Vous, vous tentez, au nom de l'État, de donner à l'administration la totale maîtrise d'un dispositif en escomptant que celui-ci concernera peu de monde et s'éteindra rapidement. Nous, nous espérons qu'en introduisant la contradiction par voie d'amendement parlementaire et, peut-être, en offrant la possibilité, après l'article 6, d'un recours juridictionnel de plein contentieux, nous permettrons au dynamisme des associations d'insuffler un peu de démocratie et de contribuer à un ajustement des appréciations, bref, de revitaliser le processus afin de garantir une meilleure justice pour les victimes.

En effet, des désaccords subsistent sur la présomption du lien de causalité. Dans notre proposition de loi, nous posions sans équivoque le principe de cette présomption, car nous avions parié sur la confiance. Vous, monsieur le ministre, vous choisissez une « quasi-présomption », comme l'appelle le rapporteur, c'est-à-dire la suspicion. Vous préjugez qu'il y aura resquille, vous craignez des abus, vous invoquez l'automaticité de l'indemnisation. Or l'État est en mesure de faire la preuve de l'inexistence d'un lien de causalité. Encore une fois, nous avons fait le choix de la confiance et de la responsabilité et, jusqu'à ce jour, les faits nous ont donné raison. Car c'est bien dans un esprit de responsabilité que les démarches ont été entreprises par les victimes, individuellement ou accompagnées par les associations.

Nous avons également des désaccords sur le fonds d'indemnisation. En effet, vous refusez qu'il soit autonome, alors que nous sommes convaincus qu'il est possible de garantir la sécurité financière, grâce à une dotation d'État et à une rigueur dans l'attribution, tout en se débarrassant d'une prévention – légitime ou non, mais concevable – à l'égard d'une administration qui gérerait tout à partir du ministère de la défense.

Vous refusez également la reconnaissance du préjudice propre pour les ayants droit et les descendants des victimes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion