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Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 25 juin 2009 à 9h30
Réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille :

C'était une manière de le faire...

La méthode a été respectée. La démarche doit être simple et le message, clair. La France doit vérité et justice aux vétérans et aux populations victimes des essais nucléaires : vérité, car le silence doit être rompu, les souffrances reconnues et la responsabilité de l'État engagée ; justice, car les vétérans, comme leurs descendants, doivent pouvoir être indemnisés des maladies qui les frappent si durement.

Notre objectif commun est de répondre à la situation humaine des vétérans et de leurs familles atteints par ces maladies radio-induites. Chaque mois, des vétérans décèdent de pathologies provoquées par ces essais, et leurs ayants droit, souvent leur femme, rencontrent les pires difficultés pour faire valoir leur droit à indemnisation devant le juge, la plupart d'entre eux étant déboutés.

Dès la fin 2008, nous avons poursuivi le travail avec les associations et – je le souligne, car la démarche est originale – avec les services du médiateur de la République. Celui-ci vous a écrit pour vous indiquer l'intérêt qu'il portait au problème et son souhait de le voir traité par la création d'un dispositif comparable au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Nous avons déposé en commission une série d'amendements allant dans ce sens et proposant la création d'un fonds d'indemnisation doté d'une personnalité juridique.

Nous avons aussi soulevé la question d'une réparation en faveur des ayants droit. Certes, ceux-ci sont mentionnés dans le texte comme pouvant déposer un dossier ; mais, à notre sens, ils peuvent aussi être reconnus comme victimes d'un préjudice propre, notamment du décès prématuré de leur père ou de leur conjoint. Toujours en nous fondant sur ce qui a été fait pour l'amiante, nous souhaitons la mise en place d'un dispositif de retraite anticipée pour les vétérans, l'espérance de vie des personnes atteintes d'une maladie radio-induite étant malheureusement réduite.

Nos amendements sont tombés sous le coup de l'article 40. Le Gouvernement n'a pas souhaité les reprendre. Si nous ne les avons pas redéposés sur le texte, nous vous invitons, monsieur le ministre, à réexaminer nos propositions.

Vous avez finalement fait le choix, que nous contestons, d'organiser la réparation sous la forme d'une transaction des victimes avec le ministère, par le truchement d'un comité d'indemnisation. Si l'on en croit l'avant-projet de décret, tous les membres de ce comité, qui auront pour fonction d'émettre une recommandation afin que vous preniez une décision qui restera de votre ressort exclusif, sont des représentants des ministères concernés, et deux d'entre eux sont désignés par ces ministères.

Certes, nous avons obtenu une procédure contradictoire, mais dans laquelle le Gouvernement et son administration sont seuls juges, alors qu'ils sont aussi partie prenante. En ce sens, la loi donne les pleins pouvoirs aux ministres. Nous craignons donc non seulement qu'il n'y ait pas d'inversion de la charge de la preuve, mais que l'indemnisation soit limitée aux victimes ayant participé à des essais dont le ministère reconnaît lui-même qu'ils ont donné lieu à des incidents. Pourtant, il est aujourd'hui reconnu que l'exposition répétée à des doses infimes est également nocive. Le fait que l'on n'ait pas enregistré d'incident particulier n'empêche malheureusement pas une éventuelle contamination par manque de précaution, par ignorance de certains dangers ou par inconscience. C'est là un des points importants qui restent à discuter.

Vous le voyez, des sujets d'insatisfaction demeurent sur la philosophie même du projet. Nous aurions préféré la mise en place d'un fonds d'indemnisation s'appuyant sur une commission indépendante. Cela nous semblait – et nous semble toujours – la condition pour créer un droit à une juste indemnisation et pour mettre fin à de lourdes procédures dont l'issue, toujours incertaine, est rarement positive.

Il existe actuellement des inégalités de réparation entre militaires et civils, entre Français de métropole et Français de Polynésie, qui partagent pourtant les mêmes souffrances. Nous devons changer cela et mettre en place un régime de réparation intégrale des préjudices subis, au bénéfice des victimes directes comme de leurs descendants.

C'est pourquoi nous souhaitons que soit clairement inscrit dans la loi le principe de présomption du lien de causalité, que vous invoquez oralement et qui fonde les dispositifs mis en place dans les pays anglo-saxons. Vous le comprenez comme un facteur d'automaticité qui risquerait d'entraîner l'indemnisation de dizaine de milliers de vétérans, alors que vous estimez que le nombre de victimes n'excède pas quelques centaines. Mais, pour nous, faire bénéficier les victimes de la présomption du lien de causalité est un principe de justice, qui représente la véritable inversion de la charge de preuve. L'État conservera la possibilité de démontrer l'absence de lien entre l'exposition et la maladie, et de l'imputer à une autre cause pour justifier le rejet d'une demande. Seule la présomption du lien de causalité permet une vraie rupture avec le système actuel, dans lequel tant de victimes doivent se battre pour faire reconnaître leurs droits.

Tout en restant en désaccord sur la procédure, nous proposons, pour créer un droit à réparation rapidement effectif et efficace, une série d'amendements visant à améliorer le texte. Je souhaite que nous les examinions dans l'état d'esprit constructif qui a régné en commission et qui a permis d'acter des avancées appréciables. Nos propositions portent sur l'inclusion de l'atoll d'Hao et de certaines zones de file de Tahiti, sur la levée du secret défense, sur la possibilité de faire évoluer le dispositif – notamment la liste des maladies – en fonction des nouvelles connaissances scientifiques, et sur la création d'une commission de suivi, dont les missions devront être confortées.

Pour améliorer la procédure, nous proposons que le comité d'indemnisation réunissant juristes et experts médicaux chargés d'examiner les demandes soit composé pour moitié de membres indépendants des administrations, et nous réitérons notre demande que les associations de victimes, fortes de leur expertise, puissent éclairer l'examen des dossiers.

Pour la transaction avec le ministère de la défense donnant lieu à un capital versé en une fois, nous proposons de créer une possibilité de recours devant les juridictions de l'ordre judiciaire, la procédure devant le tribunal administratif risquant d'être très longue – à moins que nous soit confirmé expressément, au cours du débat, que le tribunal administratif puisse juger en plein contentieux.

Enfin, la commission de suivi des essais nucléaires doit voir ses missions élargies, notamment aux questions environnementales, et son action confortée, avec la participation de représentants du monde médical et scientifique. Loin d'être seulement consultative, elle doit être en mesure de faire des propositions sur l'organisation du suivi des conséquences sanitaires, du suivi épidémiologique et des conséquences environnementales des essais nucléaires.

Pour conclure, je rends hommage au travail accompli par les associations. Au-delà du caractère revendicatif de leur démarche, elles ont su développer une prise de conscience, une connaissance et une mémoire des situations qui sont indispensables pour mettre en oeuvre le processus de réparation.

Je rappelle à notre assemblée qu'il n'est de vraie puissance que celle qui maîtrise sa force. Les nombreux vétérans dont nous parlons ont été mobilisés au service de la construction de notre force nucléaire. Ne les oublions pas aujourd'hui et soyons à la hauteur de leur engagement passé. Nous avons en ce jour un rendez-vous important. Il s'agit pour la France, patrie des droits de l'Homme, de rejoindre le concert des nations qui, en Europe et dans le monde, ont reconnu les conséquences humaines et environnementales des essais nucléaires.

Enfin, parce que des gouvernements de droite comme de gauche ont procédé tout au long de Ve République à des essais nucléaires, il me paraît important d'améliorer encore ce texte pour qu'un vote trans-partisan puisse réunir tous les représentants de la nation dans une reconnaissance et une réparation tardive mais ô combien nécessaire.

Mes chers collègues, il est urgent de répondre au sentiment d'injustice que ressentent, du fait de l'indifférence des pouvoirs publics, ceux qui subissent chaque jour dans leur chair les conséquences des essais nucléaires. Ensemble, osons reconnaître ces vérités et ne créons pas d'injustice. Tel est le sens de l'engagement du groupe socialiste dans ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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