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Intervention de Patrice Calméjane

Réunion du 25 juin 2009 à 9h30
Réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français — Discussion après engagement de la procédure accélérée d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Calméjane, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées :

Dès 1945 et la création du Commissariat à l'énergie atomique, la France se dote d'un établissement chargé d'effectuer des « recherches scientifiques et techniques en vue de l'utilisation de l'énergie atomique dans les divers domaines de la science, de l'industrie et de la défense nationale ».

En pleine guerre froide, le général de Gaulle décide de doter la France d'une force de dissuasion nucléaire indépendante.

Avec cette décision naît la doctrine française en matière de dissuasion nucléaire qui permet d'affirmer l'indépendance de la France sur la scène internationale, mais aussi ses capacités technologiques.

La dissuasion nucléaire est l'un des piliers de notre sécurité nationale, réaffirmée comme l'une des cinq grandes fonctions stratégiques par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en juillet 2008.

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui revêt une importance capitale : pour la première fois depuis 40 ans, les victimes des essais nucléaires français vont bénéficier d'une reconnaissance et vont avoir un droit à une réparation.

Je veux d'abord rendre hommage au travail mené sur ce dossier par les associations, les parlementaires et le Médiateur de la République. Malgré des délais très courts, j'ai tenu à les rencontrer pour débattre de tous les enjeux posés par le texte mais aussi pour recueillir leur avis. La plupart des amendements adoptés par la commission sont d'ailleurs inspirés de leurs demandes.

La qualité du dialogue et de la réflexion de ces derniers mois doit être relevée et je pense qu'il faut poursuivre ces initiatives pour le suivi de l'application de la loi. Je veux aussi me féliciter du climat qui a présidé à l'examen du texte en commission.

Même si certaines associations peuvent considérer que nous ne sommes pas allés assez loin, il me semble que les amendements que nous avons adoptés ont permis d'arriver à un texte équilibré qui devrait permettre de mettre en place un juste système de réparation.

Je rappelle l'économie générale du projet de loi : il prévoit que toutes les personnes souffrant d'une maladie radio-induite à la suite d'une exposition à des rayonnements issus des essais nucléaires français ont droit à une réparation intégrale de son préjudice. Le texte concerne les personnels civils et militaires, mais aussi les populations civiles.

Comme vous le savez, le système actuel est déséquilibré et souvent les demandes d'indemnisation n'aboutissent pas. Les demandeurs peinent en effet à apporter la preuve formelle d'un lien de causalité entre la maladie et les essais.

Les scientifiques que j'ai pu rencontrer m'ont bien précisé que les rayonnements ionisants ne laissaient aucune trace dans l'organisme. Dès lors, il devient impossible d'établir avec certitude l'origine de la pathologie.

Afin d'éviter ce problème, le projet de loi met en place une quasi-présomption de causalité. Pour être indemnisé, le demandeur devra apporter trois éléments de preuve.

Il doit d'abord montrer qu'il souffre d'une pathologie radio-induite. La liste des maladies concernées sera fixée par un décret en Conseil d'État et reprendra scrupuleusement la liste de l'office des Nations Unies, l'UNSCEAR. Le choix du décret est pertinent car cela permettra d'adapter cette liste à l'évolution des données scientifiques. La commission a considéré que le caractère évolutif de ces données doit figurer dans la loi et c'est pourquoi il est désormais précisé que cette liste est établie en fonction « des travaux reconnus par la communauté scientifique internationale ».

Le demandeur devra ensuite justifier d'un séjour ou d'une résidence dans une zone concernée par les essais nucléaires, qu'il s'agisse du lieu même d'une explosion ou des territoires contaminés par les retombées d'essais atmosphériques ou par les fuites d'essais souterrains. Sont concernés le sud de l'Algérie et la Polynésie française. Les zones seront précisées par un décret en Conseil d'État. Le texte oubliait pourtant deux territoires et j'ai obtenu du Gouvernement qu'il corrige cette erreur en ajoutant l'atoll de Hao et une partie de l'île de Tahiti dans le texte.

Le demandeur devra enfin avoir séjourné ou résidé dans cette zone au moment des essais ou lors des retombées. Les périodes retenues sont volontairement larges. Le Gouvernement a par exemple choisi de couvrir une période de cinq années après l'essai de Béryl. Ce délai me semble suffisamment protecteur.

Vous le voyez, aucun seuil n'est requis et le régime de preuve est beaucoup moins contraignant que les dispositifs actuels. Pour autant, le projet n'a pas pour objectif d'indemniser toutes les personnes souffrant d'un cancer. S'il est possible d'attribuer la maladie à une autre cause – par exemple à l'exposition à des rayonnements médicaux anormalement élevés –, le demandeur pourra voir son dossier rejeté.

J'en viens maintenant à la procédure que nous avons significativement complétée en commission. Le texte crée un comité d'indemnisation rassemblant des experts médicaux et des juristes. C'est à ce comité qu'il appartient d'instruire les demandes et de vérifier justement que les trois conditions sont bien remplies et que la maladie n'est pas liée à une autre cause que les essais nucléaires. Le comité peut faire appel à toutes les expertises nécessaires et requérir tous les services compétents.

J'ai souhaité renforcer ses pouvoirs. Ses membres doivent notamment avoir accès aux informations classifîées : désormais ses membres seront habilités à en connaître, sans pour autant mettre en place une nouvelle dérogation légale à ce sujet.

Il m'a également semblé nécessaire que le comité respecte le principe du contradictoire dans son examen des dossiers ; les demandeurs doivent pouvoir formuler des observations ou critiquer les expertises ou les éléments fondant sa recommandation.

J'ai bien entendu les associations qui souhaitent siéger dans ce comité. Je suis très attaché à ce qu'elles participent au suivi de la loi, mais je crois qu'il faut conserver à ce comité une dimension purement technique. J'ajoute que grâce au principe du contradictoire, les associations pourront parfaitement épauler les demandeurs pour contester les analyses du comité. Elles ne seront donc pas totalement exclues du processus.

Le comité n'a pas de personnalité juridique, il ne peut donc pas prendre lui-même la décision, sauf à s'ériger en juridiction. C'est bien au ministre qu'il revient soit de faire une offre d'indemnisation, soit de rejeter la demande.

Pour garantir les droits des demandeurs, j'ai proposé à la commission que la recommandation du comité soit obligatoirement jointe à la notification du ministre. Le demandeur pourra désormais vérifier si le ministre s'en est écarté et si tel est le cas, il pourra l'utiliser à l'appui d'un éventuel contentieux.

Afin d'encadrer les délais d'indemnisation, la commission a donné quatre mois au comité pour instruire les dossiers et deux mois au ministre pour prendre sa décision, soit un délai total de six mois. Compte tenu de l'afflux initial des demandes, il est toutefois apparu souhaitable de porter le délai d'instruction à huit mois la première année.

Le contentieux relève du droit commun, c'est-à-dire du juge administratif, puisqu'il s'agit d'une décision du ministre. Une juridiction judiciaire ne saurait se prononcer sur une décision administrative. Pour autant, je suis sensible à l'argument de la proximité des juridictions : nombre de demandeurs étant polynésiens, il leur serait difficile de suivre leur affaire si elle relevait d'un tribunal parisien. Toutefois, il me semble qu'il faille préserver une unité de jurisprudence sans devoir attendre les décisions de cassation. De plus, cette réflexion doit être menée en étroite concertation avec les juridictions compétentes.

Je note par ailleurs que le ministre s'est engagé à travailler sur ce point pour garantir l'accès aux juridictions pour tous les demandeurs. Des éléments devraient d'ailleurs figurer dans le décret d'application.

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