Je ne demande qu'à être démenti, monsieur le président de la commission.
…compte tenu du nombre de nos concitoyens confrontés chaque année à la perte d'un être cher.
Mais, pourrait-on me rétorquer, tirons un trait sur ces errements et tergiversations : ce texte, nous l'attendions, le voici ! Certes, mais dix mois après son examen en commission et deux ans et demi après son adoption par le Sénat, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts.
Tout d'abord, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a réalisé, au premier trimestre 2007, une enquête portant sur le respect par les professionnels du secteur des dispositions de l'arrêté du 14 janvier 1999 relatif à l'information du consommateur sur le prix des prestations funéraires. Cet arrêté prévoit l'obligation pour les opérateurs de pompes funèbres de préciser au client, dans une documentation générale visible, les prestations qui ont un caractère obligatoire, ainsi que le prix de chaque service et fourniture. Il exige, en outre, qu'il soit procédé à l'établissement d'un devis, gratuit, écrit et détaillé, que le bon de commande en soit dissocié et conforme à ce qui est stipulé par la famille. Il implique enfin que les cercueils présentés à la vue du public comportent un étiquetage détaillant le prix, la composition du produit et ses composantes obligatoires.
Or l'enquête a démontré que les dispositions de cet arrêté ne sont pas respectées dans leur intégralité par la moitié des 545 entreprises contrôlées. Les manquements relevés vont de l'absence totale de devis à l'absence ou à l'insuffisance de lisibilité de la documentation générale, de l'absence ou de l'imprécision de la mention relative au caractère obligatoire ou facultatif des prestations dans le devis à la non-dissociation de celui-ci et du bon de commande. Au total, ont été établis 30 procès-verbaux, 137 rappels à réglementation et 116 notifications d'information réglementaire. Il me paraît important d'avoir connaissance de ces éléments pour comprendre le domaine dans lequel nous nous apprêtons à légiférer.
En novembre 2007, une nouvelle enquête fut effectuée, cette fois par l'association 60 millions de consommateurs. J'en extrais ce passage qui suffit à nous éclairer sur les pratiques observées :
« Dans toutes les régions de France et avec tous les opérateurs, les mêmes incidents se reproduisent : urne transportée au cimetière par des ouvriers en bleu de travail, cérémonie bâclée ou brutalement écourtée, retard du corbillard, tombe trop petite par rapport au cercueil, cercueils fendus, retards et malfaçons sur les travaux de marbrerie, caveaux en préfabriqué ou en plastique, entretien annuel de tombes facturé et non réalisé ». Et l'association de conclure que si ces cas, fort heureusement, ne reflètent qu'en partie la réalité, ils n'en démontrent pas moins « qu'il y a encore beaucoup à faire pour tirer la profession vers le haut ».
Enfin, une troisième enquête, effectuée par l'association UFC-Que Choisir, a été rendue publique à la fin du mois dernier. Menée dans plus de 80 départements, elle démontre notamment l'impossibilité pour le consommateur de comparer les services fournis par les entreprises de pompes funèbres, tant les pratiques abusives se révèlent nombreuses et le plus souvent indécelables pour les familles endeuillées.
Parmi les usages les plus choquants, on relève ainsi, dans un cas sur trois, le refus de l'opérateur d'établir un devis conforme à la loi ; des écarts de prix découlant du manque de précision des prestations proposées, qui peuvent atteindre jusqu'à 1 100 % pour des honoraires de représentation ; un mode de gestion des chambres funéraires qui favorise délibérément les abus de position dominante des entrepreneurs propriétaires de tels équipements. Bref, il ressort de cette enquête particulièrement instructive que, dans ce secteur d'activité, l'absence de concurrence est trop souvent la règle, ce qui, de fait, induit dans notre pays une hausse du coût des obsèques très largement supérieure à l'inflation, de l'ordre de 35 % en dix ans.
Ne perdons jamais de vue que ces statistiques, dans leur froideur désincarnée, renvoient à une réalité humaine bien tangible, celle de familles minées par la douleur, dont l'état de grande fragilité est exploité par une minorité d'opérateurs peu scrupuleux, mus uniquement par le souci de faire du profit sur le malheur des gens. J'ai ainsi recueilli le témoignage d'un habitant de mon département sur lequel le destin s'était particulièrement acharné, puisqu'il avait perdu coup sur coup sa fille fin 2007 et son épouse début 2008. Il confia l'organisation des funérailles à l'entreprise A dans le premier cas, à l'entreprise B dans le second. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que, pour des prestations strictement identiques, la facture des obsèques établie par la seconde dépassait du double celle arrêtée par la première. Naturellement, il s'en plaignit au responsable de l'entreprise B qui, excusez du peu, finit par ramener sa facture de 9 655 à 4 000 euros, reconnaissant avoir « poussé le bouchon beaucoup trop loin ».
L'histoire ne s'achève pas là. Informée de ces faits qui avaient fait l'objet d'un article dans la presse locale, une autre famille qui avait eu affaire à la même entreprise en mai 2007 pour l'enterrement d'un fils, demanda par courrier recommandé du 28 mars 2008 à bénéficier – vous m'excuserez d'employer cette expression peu élégante en la circonstance – d'un « geste commercial significatif ». Sa lettre resta sans réponse et sa demande de rendez-vous se heurta à une fin de non-recevoir.
Les histoires affligeantes de ce type ne manquent pas dans les colonnes de nos quotidiens régionaux et des bulletins d'associations de consommateurs et ont même tendance à s'y multiplier dangereusement ces dernières années. Cela doit nous conduire à nous poser la seule vraie question qui vaille : les dispositions envisagées vont-elles contribuer à assainir en profondeur – j'allais presque dire à humaniser – un marché du secteur funéraire qui, pour l'heure, se distingue par la choquante prolifération de pratiques moralement condamnables et même souvent contraires à la réglementation en vigueur ? Nous l'espérons, et sommes conscients des quelques avancées notoires que contient ce texte.
Ainsi, l'instauration de diplômes nationaux pour sanctionner la formation professionnelle des agents assurant leurs fonctions en contact direct avec les familles devrait concrètement déboucher sur une amélioration des conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire. Il est, de même, judicieux de s'engager sur la voie d'une simplification des démarches des familles par une réduction du nombre des opérations susceptibles d'être effectuées sous la surveillance de personnes habilitées. L'établissement de devis-types constituait depuis longtemps déjà une demande forte des associations de consommateurs. Nous nous félicitons de la voir reprise sous la forme d'un amendement annoncé par notre rapporteur, car nous sommes convaincus que cette disposition contribuera à renforcer la transparence des tarifs des opérateurs funéraires, condition indispensable d'une véritable concurrence entre eux. Enfin, nous ne pouvons que souscrire à l'attribution d'un statut aux cendres des personnes décédées, prévoyant que celles-ci soient traitées avec respect, dignité et décence.
Cependant, plusieurs manques et oublis de ce texte nous amèneront à déposer des amendements afin d'y remédier. J'observe d'abord qu'en dépit d'un amendement fort pertinent de notre rapporteur, adopté en commission, cette proposition de loi demeure à peu près muette sur la question des contrats d'assurance obsèques. Il s'agit pourtant d'une question cruciale, car se rapportant à un marché en pleine expansion : le nombre de contrats de ce type souscrits dans notre pays devrait passer de deux millions à la fin de l'année 2007 à huit millions dans deux ans. Or, le fort développement de ce secteur d'activité s'effectue dans des conditions très critiquables en raison de certaines pratiques qui y ont libre cours, des pratiques moralement condamnables, parfois mêmes contraires à la loi et toujours à l'intérêt bien senti du consommateur.
Ainsi, il n'est pas admissible qu'en dépit du principe de liberté des funérailles posé par la loi du 15 novembre 1887, un grand nombre de contrats d'assurance ne prévoient pas la possibilité pour le client de choisir son magasin funéraire ou le détail de ses obsèques. Il n'est pas plus acceptable que, trop souvent, de tels contrats ne fassent pas apparaître clairement, malgré une circulaire du 20 décembre 2006 le stipulant expressément, que le capital souscrit couvre intégralement les prestations d'obsèques, quelle que soit l'évolution de leur prix. Il est tout aussi aberrant que le souscripteur d'un contrat en capital n'ait aucune garantie que le bénéficiaire utilisera bien celui-ci pour l'organisation de ses obsèques. Enfin, il est pour le moins choquant que nombre de contrats ne soient jamais exécutés, les bénéficiaires ignorant tout de leur existence. En raison du succès croissant rencontré par ces produits d'assurances, il nous appartient de remédier à de tels dysfonctionnements ; à défaut, nous serions confrontés dans les années futures à une situation qui risque de nous échapper complètement.
Les carences de cette proposition de loi, sous sa forme actuelle, s'avèrent tout aussi préoccupantes concernant les modalités de contrôle de la qualité du service rendu par les opérateurs funéraires. J'ai tenté de démontrer plus haut à quel point celle-ci pouvait parfois laisser à désirer. Selon certaines estimations, seules 3 000 à 4 000 entreprises sur les 13 000 opérateurs que compte aujourd'hui notre pays, disposeraient de la capacité d'exercer dans les conditions requises l'ensemble des prestations relevant de la profession funéraire.
Je sais que l'État est conscient du problème, madame la ministre, et qu'une circulaire en date du 21 juin 2007 est fort judicieusement venue rappeler aux préfets la nécessité de renforcer le contrôle de ce secteur d'activité. Mais concrètement, la situation a-t-elle pour autant été modifiée dans un sens conforme à l'intérêt du consommateur ? Pour le savoir, je me suis livré à une enquête auprès des quatre préfectures de Bretagne. Il en ressort qu'aucune décision de retrait d'habilitation pour des motifs autres que la cessation d'activité n'a été rendue au cours des cinq dernières années dans le Morbihan, les Côtes-d'Armor et en Ille-et-Vilaine. Pour ce qui est du Finistère, aucune donnée n'est disponible en la matière auprès de la préfecture, ce qui donne une idée des carences restant à combler !
En tout état de cause, il paraît évident qu'en dépit des nombreux dysfonctionnements constatés, le manquement à l'éthique professionnelle n'entraîne de sanctions que très exceptionnellement. S'en remettre à la circulaire du 21 juin 2007 revient donc, de fait, à avaliser un statu quo qui n'est tout simplement pas acceptable. C'est pourquoi nous jugeons incompréhensible la décision prise en commission d'abandonner le projet des commissions départementales des opérations funéraires. Elles seules, en effet, auraient permis de rendre effectives des procédures qui, dans l'immédiat, restent formelles et ne mettent nullement en capacité de juger de la qualité réelle des entreprises. Elles seules, par ailleurs, auraient permis de répondre à une demande forte émanant non seulement des associations de consommateurs, mais aussi des opérateurs eux-mêmes, qui sont les premiers à réclamer qu'il soit mis fin à certains abus et comportements douteux, qui ternissent l'image de la profession dans son ensemble. Elles seules, enfin, auraient permis l'application pleine et entière de l'ordonnance du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires – une ordonnance qui étend les motifs de suspension et de retrait des habilitations en substituant au non-respect du règlement national des pompes funèbres l'ensemble des dispositions du code général des collectivités territoriales.
L'amendement de suppression des schémas régionaux des crématoriums, adopté en commission, nous semble tout aussi inacceptable. Il revient à se priver, sans raison évidente, d'un instrument qui viendrait pourtant utilement combler un manque criant. On peut en appeler, afin d'y remédier, à une vigilance accrue de l'autorité préfectorale. Mais le fait est que, jusqu'à présent, le pouvoir de contrôle des préfectures n'a guère fait la preuve de son efficacité.
À l'heure actuelle, chacun sait que l'enquête publique se révèle notoirement insuffisante, notamment parce qu'elle n'intègre pas les données relatives à l'environnement existant : autres crématoriums à proximité, bassins de population, habitudes de crémation. De ce fait, les implantations s'effectuent de manière désordonnée, au gré des initiatives locales, sans toujours répondre aux besoins effectifs. C'est ainsi qu'une vingtaine de départements et une région, la Corse, n'abritent encore aucun crématorium. Une telle situation se révèle préoccupante car, en privant de nombreuses familles de la possibilité d'opter pour l'incinération, c'est le principe même de la liberté des funérailles qui se trouve du même coup vidé de sa substance. A contrario, deux crématoriums peuvent parfois n'être distants l'un de l'autre que de quelques kilomètres, et n'avoir tous deux qu'une activité très réduite. On cite souvent le cas des crématoriums de Roanne et de Mably, distants de quelques centaines de mètres seulement…