Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 23 octobre 2007 à 9h30
Maîtrise de l'immigration intégration et asile — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

L'introduction légale de ces mesures, à rencontre de migrants, se révèle incompatible avec les valeurs et les pratiques démocratiques. Pour ma part, je ne peux accepter une mesure qui sous couvert de légalité, établit une discrimination entre les femmes et les hommes en raison de leur origine.

La même remarque vaut pour l'article 20 et la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration. En aucun cas, et quelle que soit la complexité de l'étude, il ne peut être fait état de la diversité de l'origine des personnes. Ce n'est certainement pas en focalisant sur des populations que les discriminations vont se réduire. Pour en revenir à l'ADN, je citerai un journal qui n'est ni L'Humanité ni l'organe officiel de Cuba ou de la Chine, le New York Times rappelle ainsi dans son éditorial du 21 octobre que les familles françaises, comme américaines, sont aujourd'hui constituées de sang et de génétique mêlés. Le journaliste précise que « les tests ADN sont utiles pour établir une culpabilité ou une innocence, mais n'ont pas leur place dans une loi sur l'immigration », il affirme que « les questions d'immigration font ressortir les pires instincts des hommes politiques ». Pour mieux demander de supprimer un texte qu'il qualifie « d'hideux », le New York Times souligne que "les notions pseudo-scientifiques de lignée pure ont été introduites en France avec des conséquences tragiques".

En définitive, même s'il y a respect de la vie privée puisque la filiation ne sera établie qu'à l'égard de la mère – cela dit, permettez-moi de m'interroger sur le cas d'un regroupement demandé par le père alors que la mère est ou décédée ou introuvable – ; même si les pays concernés doivent, au préalable, donner leur avis ; même si ce test est réalisé aux frais de l'état, il n'en reste pas moins que cet article est inadmissible au regard de ce qui fonde notre République et les valeurs de la démocratie. Il met en danger de nombreux droits fondamentaux, dont le droit de vivre en famille ainsi que celui d'avoir une vie privée. Je rappelle que les tests ADN sont essentiellement utilisés pour prouver une filiation après décision de justice et demandés pour les coupables de crimes et délits. À ce jour, l'ADN de plus de 500 000 personnes est stockée dans le fichier créé en 1998. Mais les migrants demandant un regroupement familial ont-ils commis des crimes ou des délits ? Non, ce ne sont ni des délinquants, ni des criminels alors que le traçage ADN, lui, est liberticide et attentatoire aux libertés privées.

Le droit à l'asile n'est pas mieux traité que le regroupement familial. Ce projet de loi limite le droit à un recours suspensif aux seuls demandeurs d'asile et ne prévoit toujours rien pour les autres étrangers maintenus en zone d'attente, qu'ils soient mineurs, malades ou victimes de violences. Pourtant, à l'Assemblée comme au Sénat, plusieurs amendements tendaient à l'élargissement de ce recours, en vain. Il aurait été opportun de créer un recours suspensif pour l'ensemble de ces personnes.

En outre, l'obligation d'un recours effectif, c'est-à-dire nécessairement suspensif, devrait bénéficier à tous les étrangers dont le refoulement risque d'entraîner la violation d'un droit protégé par la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi, les articles 2 et 3 de cette Convention concernent non seulement les demandeurs d'asile mais également les étrangers dont l'état de santé nécessite des soins dont le défaut aurait de graves conséquences et dont ils ne pourraient effectivement pas bénéficier dans le pays où ils sont refoulés. Le refoulement peut aussi porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention, par exemple à un étranger en situation irrégulière vivant habituellement en France avec sa famille et, qui, à la suite d'un voyage, se trouve bloqué hors du territoire ou à un mineur isolé.

En ce qui concerne le délai de recours, si celui-ci a été augmenté de vingt-quatre heures, il n'en demeure pas moins que ce délai de quarante-huit heures n'est toujours pas suffisant pour assurer un recours effectif. En effet, n'oublions pas qu'il s'agit d'un recours complexe, dit référé-liberté, prévu à l'article L 521-2 du Code de justice administrative, qui peut faire l'objet d'un rejet « au tri », et que les conditions de recevabilité des requêtes sont draconiennes car il s'agit de prouver une atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale. Au-delà de ce délai, la police aux frontières est libre de renvoyer un demandeur d'asile, quels que soient les autres recours qu'il souhaiterait exercer – et notamment la saisine de la CEDH en vue de mesures provisoires ou saisine du juge pour enfants, lorsqu'il s'agit d'un mineur isolé.

Afin d'éviter ce véritable filtrage, la requête en référé doit être très circonstanciée et sa rédaction nécessite un long travail préalable. Rappelons que dans l'affaire Gebremedhin, c'est précisément l'usage abusif de cette procédure au « tri » qui a valu que la Cour européenne des droits de l'homme prononce en 2005 une mesure provisoire à rencontre de la France pour empêcher le renvoi du demandeur.

En l'état, ce projet de loi ne permet pas de mettre en conformité le droit français avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme et avec d'autres obligations découlant des instruments internationaux de protection des droits de l'homme auxquels la France est partie.

Ce temps insuffisant constitue une atteinte au droit d'asile et aux droits de la défense, il a pour effet de rendre irrecevables de nombreux recours. Combinée avec la possibilité de rejeter par simple ordonnance, sans audition des demandeurs, les recours insuffisamment motivés, cette disposition prive ainsi un grand nombre de réfugiés d'un examen au fond de leur situation.

Ainsi, parce que je crois que cette loi vise l'institutionnalisation de la xénophobie et porte en elle de nombreuses formes de racisme, – cela a d'ailleurs été pointé dans plusieurs rapports du Conseil des droits de l'homme de l'ONU –, et parce qu'elle met à mal de nombreux instruments garantissant le respect et l'effectivité des droits humains, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère que ce texte est, en l'état, irrecevable. S'il était adopté, nous nous joindrions évidemment à une saisine du Conseil constitutionnel. La démocratie, l'exercice des libertés démocratiques, la pleine et entière jouissance des droits humains, sont incompatibles avec des mesures légales qui établissent et institutionnalisent la discrimination.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion