Au fil des années, la différenciation tarifaire a pris la forme des fameuses « marges arrière », qui ne sont plus depuis longtemps la contrepartie d'une quelconque coopération commerciale, mais simplement un moyen pour les distributeurs, ainsi d'ailleurs que pour les fournisseurs de produits de marque nationale, de contourner le cadre légal de la négociation commerciale en imposant des versements aux fournisseurs.
Or, comme le note justement Mme Marie-Dominique Hagelsteen dans son excellent rapport, cette « fausse coopération » n'a en rien diminué, bien au contraire. Monsieur le ministre, si vous n'écoutez pas les députés, écoutez au moins vos hauts fonctionnaires, dont la compétence, nous le savons, ne peut pas être mise en cause. En 2005, ces marges arrière constituaient 33,5 % du prix net et elles se sont encore accrues en 2006, pour atteindre près de 37 % – chiffre énorme qui continue à augmenter.
Un tollé croissant de la part des producteurs a logiquement accompagné ces dérives. Ainsi, très récemment, la Fédération nationale des producteurs de légumes a gagné son procès devant la Cour d'appel de Caen face à une grande enseigne de distribution qui imposait de fausses coopérations. Devant ces critiques de plus en plus ouvertes, le Gouvernement s'est senti contraint de réagir. La loi Chatel a dans un premier temps réintégré les marges arrières dans le seuil de revente à perte, mais le présent projet de loi va plus loin en proposant de faire figurer les prestations en pied de facture.
Le credo du Gouvernement est aujourd'hui la « moralisation ». C'est pourtant, une fois encore, du vocabulaire pris à contresens que de parler de « coopération » plutôt que de « domination ». Il y a loin du credo à la véritable morale, car ce serait compter sans l'obsession majeure du Gouvernement, qui est de savoir comment paraître relancer le pouvoir d'achat sans augmenter les salaires – ce qui est, reconnaissez-le, monsieur le ministre, la quadrature du cercle. En fait, c'est très simple : vous prétendez confier à la grande distribution la mission historique de faire baisser les prix. Selon le Gouvernement, cela suppose que les grands distributeurs paient aux producteurs un prix net très bas, qui serait répercuté sur le prix de vente. Rien ne prouve, cependant, cette répercussion, car les distributeurs en profiteront essentiellement pour augmenter leurs marges.
C'est dans ce but que ce projet de loi veut rendre totalement « libre » – j'insiste sur les guillemets – la négociation entre fournisseurs et distributeurs. Chacun sait en effet qu'avec ce que vous appelez la libre négociation, le rapport de forces inégal aura pour effet de pressurer un peu plus les producteurs.
Pour y parvenir, cet article vide totalement de son contenu les conditions générales de vente, socle certes imparfait, mais qui constituait tout de même un cadre protecteur. Il permet en effet des dérogations sans limite aux conditions générales de vente et une différenciation tarifaire quelles que soient les catégories d'acheteurs. Nous verrons en outre que l'article 22 accentue encore ce détricotage en autorisant toute discrimination.
C'est, mes chers collègues, le principe des vases communicants : puisqu'on transfère la négociation vers l'avant, on en profite pour la libéraliser afin de permettre aux distributeurs de conserver les marges qu'ils s'octroyaient sur l'arrière. Dans ces conditions, il ne servira pas à grand-chose de faire figurer la coopération en pied de facture, comme le prévoit le texte, car l'ajustement se fera autrement.
Pour nous, la solution est ailleurs. Il faudrait, d'une part, renforcer le socle des conditions générales de vente pour en faire un régime encore plus protecteur. Une négociation devrait donc d'après nous être lancée avec tous les protagonistes des différentes filières pour faire évoluer le cadre légal. En effet, les dispositions de ce projet de loi ont été élaborées sans même que les organisations professionnelles aient été consultées.