Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui la lecture des conclusions des travaux de trois commissions mixtes paritaires qui ont planché sur les différents aspects de votre programme « anti-crise ». Dans le même temps, des centaines de milliers de salariés, de fonctionnaires, de retraités, de jeunes, de demandeurs d'emploi manifestent à Paris et dans des centaines de villes, pour défendre l'emploi, les salaires, le pouvoir d'achat et les services publics.
Ce que ces manifestants réclament, avec le soutien d'une majorité de nos concitoyens – 69 % selon un sondage CSA fait pour Le Parisien, c'est tout simplement une nouvelle orientation de la politique économique conduite dans notre pays. Les Français exigent que vous preniez des mesures en faveur de l'emploi et de la relance par la consommation, plutôt qu'en faveur des banques et des grandes entreprises.
Tout au long de ces derniers mois, vous vous êtes efforcés de masquer l'échec de votre politique derrière un discours très volontariste. Vous avez tout d'abord tenté de minimiser les effets de la crise. Le 20 septembre dernier, alors que tous les indicateurs économiques étaient déjà dans le rouge, Mme la ministre des finances tenait sans rire les propos suivants : « Le gros risque systémique qui était craint par les places financières et qui les a amenées à beaucoup baisser au cours des derniers jours est derrière nous. »
Devant l'ampleur de la crise, il vous a bien fallu changer votre fusil d'épaule, du moins en apparence. Ce fut le discours de Toulon, où le chef de l'État en appelait à « refonder le capitalisme », à « moraliser les pratiques », déclarations qui ne furent suivies, bien sûr, d'aucun effet, comme les textes aujourd'hui soumis à notre examen en portent malheureusement témoignage.
Crise oblige, les projections budgétaires pour la période 2009-2012 contenues dans la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques sont radicalement différentes de celles qui avaient été débattues à l'automne dernier. Elles n'en restent pas moins extrêmement incertaines. Ainsi, le ministre du budget, M. Éric Woerth, n'a pas jugé utile de modifier le niveau de croissance, pourtant caduc, prévu cette année : celui-ci reste fixé entre 0,2 % et 0,5 % du PIB. La progression du PIB atteindrait même 2 % en 2010 et 2,5 % par an ensuite. Vous nous dites que cette programmation budgétaire se veut prudente, mais elle n'est pas assise sur des bases saines. Elle n'est pas sincère. Il y a de bonnes raisons à cela : vous avez la conviction que nous ne sommes pas aujourd'hui confrontés à une crise systémique, mais à une crise conjoncturelle, qu'il s'agit simplement d'un mauvais moment à passer avant de repartir de l'avant.
La crise, nous le savons, a résulté pour une grande part de l'exigence des détenteurs de capitaux, qui voulaient obtenir une rentabilité alignée sur les rendements à deux chiffres que les actifs financiers ont permis sur certains segments. Elle a également résulté des crédits hypothécaires à hauts risques que le chef de l'État, en campagne électorale, s'était proposé un temps d'importer en France. La part croissante de profits non réinvestis est venue nourrir un flux de capitaux libres à la recherche d'une rentabilité maximale et qui ont constitué des bulles spéculatives. Cette économie virtuelle détruit l'économie réelle, entraînant des destructions massives d'emplois, facteur fondamental de l'aggravation de la crise.
Vous semblez persister à vouloir faire croire que la crise n'est qu'une parenthèse et qu'elle sera très vite refermée. Rien ne vous permet pourtant de l'affirmer. À supposer que la crise se résorbe partiellement ou connaisse une accalmie, ses effets dramatiques sont devant nous. Les Américains essuient déjà les plâtres. Le financement des établissements de crédit a certes permis d'éviter l'effondrement du système bancaire américain, mais il n'a pas préservé la population des États-Unis des effets de la crise. Tout au contraire, les difficultés s'accumulent : hausse du chômage, explosion de la précarité, récession économique.
En France, la situation risque d'être assez similaire. Les prévisions de la Commission européenne nous le rappellent : le taux de chômage devrait passer chez nous de 7,8 % à 9,8 % en 2009 et 10,6 % en 2010. Vous vous êtes refusés à commenter ces chiffres, Mme Lagarde se bornant, la semaine dernière, à constater que l'objectif d'un taux de chômage ramené à 5 % en 2012 serait difficile à atteindre. Bel euphémisme ! En effet, cette fois-ci, la manipulation des statistiques de l'emploi n'y suffira pas.
Pas plus que les 360 milliards d'euros de garanties consenties aux banques sans aucun contrôle ni exigence sur leur utilisation, votre plan de sauvetage adopté en catastrophe ne permettra à nos PME et PMI de sortir de l'ornière comme par magie. Les retombées économiques de la crise vont peser douloureusement sur les épaules de nos concitoyens. Malgré tous les avertissements, y compris ceux du FMI et de l'OFCE, malgré le glissement de notre économie vers la récession, vous continuez de penser que tout finira par s'arranger, par la grâce de votre foi libérale et de quelques stabilisateurs automatiques.
Vous vous refusez obstinément à prendre la mesure des événements, à changer de cap, vous persistez dans une politique qui a pourtant mené directement à la situation dramatique où nous sommes. Depuis six ans, vous vous êtes fixé pour unique objectif de calquer le modèle de croissance économique à l'anglo-saxonne, avec son cortège de mesures visant à la seule création de valeur pour l'actionnaire, au détriment du développement des capacités productives et des salaires.
L'épuisement de ce modèle, que révèle l'ampleur de la crise actuelle, devrait vous interpeller. Admettre que le capitalisme actionnarial prend l'eau, que ce modèle a vécu, devrait vous conduire, sinon à vous convertir aux thèses de Marx (Rires sur les bancs du groupe UMP) ou de Keynes, du moins à reconsidérer en profondeur les choix économiques et, par voie de conséquence, les choix budgétaires que vous avez opérés. Il n'en est rien.
La loi de programmation pluriannuelle des finances publiques est la preuve de votre incapacité à agir. En effet, non seulement elle repose sur des hypothèses fausses, mais elle se fixe des objectifs obsolètes. Qui peut croire que le pacte de stabilité européen – vos tables de la loi – ne provoquera dans les prochains mois des discussions, ne connaîtra pas des modifications, des adaptations, des révisions ?
Pour notre part, vous le savez, nous réclamons de longue date la rupture avec le modèle de développement que vous avez porté aux nues et qui, brusquement, nous retombe sur la tête.
Vous n'avez eu de cesse de fustiger notre posture prétendument idéologique lorsque nous vous mettions en garde contre les effets du libre-échange non régulé, contre la pression exercée sur les salaires, contre le gel des revenus compensé par le recours au crédit et à l'endettement des ménages, contre l'absence de réelle politique de soutien aux investissements des entreprises, contre la logique destructrice du dumping fiscal et social.
Force est de constater que les faits nous ont donné raison, que notre revendication d'un meilleur partage des richesses n'est pas seulement un objectif de justice sociale, mais qu'il se justifie par de puissants motifs économiques, lorsqu'on entend asseoir la croissance sur des bases solides et saines.
L'heure n'est cependant pas, chacun en conviendra, à de vaines querelles sur nos profondes divergences. C'est pourquoi nous avons formulé tout au long de la période, depuis novembre, des propositions concrètes. Vous n'avez pas voulu en débattre.