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Intervention de Claude Bodin

Réunion du 20 novembre 2008 à 15h00
Lutte contre le terrorisme et contrôles frontaliers — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Bodin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a adopté, le 4 novembre dernier, une proposition de loi prorogeant l'application des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant diverses dispositions relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

En effet, ces trois articles, contrairement aux trente autres de la loi, n'ont été adoptés qu'à titre temporaire et ne sont applicables que jusqu'au 31 décembre 2008. En l'absence d'intervention du législateur d'ici au 1er janvier prochain, ces trois articles cesseraient donc d'être applicables. Afin de résoudre cette difficulté, le ministère de l'intérieur avait fait inscrire leur prolongation dans l'avant-projet de loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure 2009-2013, dite « LOPPSI 2 ».

L'adoption définitive de la LOPPSI 2 avant la fin de l'année 2008 s'étant rapidement révélée impossible, il a ensuite été envisagé de faire adopter la disposition législative nécessaire par la voie d'un amendement au projet de loi sur la gendarmerie, déposé sur le bureau du Sénat le 21 août 2008. Malheureusement, le calendrier d'examen de ce texte ne permettra pas non plus son adoption définitive avant la fin de l'année.

Dans la mesure où aucun texte de valeur législative relatif à la sécurité ne doit être définitivement adopté d'ici au 31 décembre prochain, il est nécessaire que le Parlement examine une proposition de loi spécifique sur le sujet.

Ces considérations ont donc motivé le dépôt de la proposition de loi soumise à notre examen par le sénateur Hubert Haenel. Elle repousse au 31 décembre 2012 la date d'extinction de ces dispositions fort utiles. Elle a donc été examinée et adoptée par le Sénat.

La première disposition concernée par la présente proposition de loi est l'article 3 de la loi du 23 janvier 2006. Celui-ci a étendu les possibilités de procéder à des contrôles d'identité systématiques à bord des trains internationaux. L'accord de Schengen permet de procéder à des contrôles d'identité systématiques et de caractère aléatoire dans une bande de vingt kilomètres à partir de la frontière, ainsi que dans les gares, ports et aéroports internationaux.

Or, à bord des trains internationaux, il était concrètement difficile de procéder à des contrôles efficaces, et en tout cas impossible de procéder à des contrôles systématiques, pendant la période au cours de laquelle le train se trouvait dans la limite des vingt kilomètres. Rappelons-nous qu'à 300 kilomètres heure, un TGV ne reste que quatre minutes dans la bande des vingt kilomètres.

Ainsi, pour permettre l'organisation effective de contrôles d'identité à bord des trains internationaux, l'article 3 les a autorisés jusqu'au premier arrêt suivant la limite des vingt kilomètres. Il les a également autorisés, sur les lignes « présentant des caractéristiques particulières de desserte », entre ce premier arrêt et un autre arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants.

Grâce à cette nouvelle disposition législative, le nouveau service national de police ferroviaire – SNPF –, créé en 2006, dispose d'un outil juridique important pour mener sa mission de sécurisation des réseaux ferrés, notamment en organisant des patrouilles mixtes avec des fonctionnaires des pays frontaliers. Sans cette disposition, ces patrouilles mixtes n'auraient aucun moyen d'agir, notamment pour lutter contre l'immigration clandestine – plusieurs centaines d'interpellations ont eu lieu dans ce cadre –, mais aussi pour prévenir le terrorisme.

En effet, les trains internationaux sont des cibles de choix des terroristes et l'organisation de patrouilles à leur bord, avec contrôles d'identité, peut être indispensable. Cela a été notamment le cas sur une ligne franco-allemande au cours de l'été 2006. De plus, les contrôles d'identité permettent de suivre des individus qui sont sous la surveillance des services anti-terroristes. Depuis le début de l'année 2008, quarante-huit personnes contrôlées à bord des trains internationaux faisaient l'objet d'un signalement par les services de lutte contre le terrorisme.

Lors des débats au Sénat, une difficulté d'application a cependant été abordée – elle avait déjà été relevée par le rapport d'application de la commission des lois présenté en février dernier. En effet, plusieurs ordonnances de la cour d'appel de Bordeaux ont annulé des contrôles d'identité menés dans les trains internationaux dans le sens France-étranger au motif qu'il ne pouvait alors pas s'agir de contrôles migratoires. Comme l'indique le rapporteur du Sénat, « cette interprétation est très restrictive, le législateur n'ayant pas souhaité limiter ces contrôles aux seuls trains entrants ». Pour autant, considérant que la volonté du législateur est sans ambiguïté, le Sénat a estimé qu'il n'était pas nécessaire de préciser la rédaction actuelle de l'article 78-2 du code de procédure pénale.

Ces contrôles étant le plus souvent conduits par des patrouilles mixtes, le concept de sens de circulation semble, en effet, relativement inopérant, surtout dans le cadre de l'espace Schengen, qui est précisément un espace sans frontières intérieures. De plus, prise dans le cadre d'une loi relative à la lutte contre le terrorisme, cette disposition n'a bien évidemment pas pour seul objet de lutter contre l'immigration clandestine, mais aussi de prévenir le terrorisme. Or, cette mission exige de pouvoir procéder à des contrôles dans les deux sens de circulation.

Ainsi, il me semble important de préciser, à l'instar de nos collègues sénateurs, que l'article 3 ne saurait être limité aux seuls contrôles d'identité menés dans le sens étranger-France. Cette interprétation est contraire à l'intention du législateur.

L'article 6 permet aux agents individuellement désignés et spécialement habilités des services de prévention du terrorisme d'accéder aux données techniques liées à l'utilisation de la téléphonie, fixe ou mobile, et de l'internet.

Pour permettre cet accès, l'article 6 de la loi prévoit que les opérateurs de communication électronique et les hébergeurs de sites internet sont tenus de communiquer ces données aux agents habilités des services anti-terroristes qui en font la demande.

Cet accès n'est cependant pas inconditionnel : les agents doivent formuler des demandes motivées auprès d'une « personnalité qualifiée », placée auprès du ministre de l'intérieur mais désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de communication – CNCIS –, qui est une autorité administrative indépendante.

Le dispositif est applicable depuis le 2 mai 2007 s'agissant des opérateurs de communications électroniques. Il ne l'est cependant pas en ce qui concerne les hébergeurs de sites internet. Cette disposition est en effet inapplicable tant que n'aura pas été publié le décret d'application de l'article 6 de la loi du 10 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Ce décret serait cependant imminent. Madame la ministre, pouvez-vous nous le confirmer, même si votre ministère n'est pas « chef de file » dans la préparation de cet acte réglementaire ?

Les services de lutte contre le terrorisme ont aujourd'hui fait de ce nouvel outil un des instruments fondamentaux de leur arsenal de prévention des réseaux terroristes. Ce dispositif permet en effet de beaucoup mieux utiliser les moyens des services de lutte contre le terrorisme en facilitant le très important travail d'identification des personnes à suivre et en écartant, au contraire, les personnes ne présentant pas de danger, tout en étant parfois en relation avec une personne susceptible d'appartenir à un réseau terroriste. Cet instrument juridique est donc parfaitement adapté à la doctrine française de l'anti-terrorisme, fondée sur la détection précoce des réseaux terroristes.

Il me semble préférable de disposer d'un cadre juridique clair dans ce domaine, définissant précisément les données qui peuvent être transmises, les situations dans lesquelles il est acceptable de les transmettre, ainsi que les conditions d'habilitation et de traçabilité des demandes. D'ailleurs, ce dispositif a été validé par le Conseil constitutionnel, qui a trouvé qu'il offrait un juste équilibre entre les libertés individuelles et les nécessités de l'ordre public.

Entre le début du mois de mai 2007, date de mise en oeuvre opérationnelle du dispositif, et la fin du mois d'août 2008, 49 896 demandes ont été adressées aux opérateurs, sachant que plusieurs dizaines peuvent concerner un même individu. Ces demandes concernent principalement la téléphonie mobile pour 78 %, la téléphonie fixe pour 18 % et internet pour près de 4 %.

Elles concernent, dans 73 % des cas, des recherches sur l'identification du titulaire d'un abonnement, soit une prestation dite de « l'annuaire inversé ».

Le dispositif de contrôle, prévu par la loi du 23 janvier 2006, fonctionne parfaitement. En amont, la personnalité qualifiée prend des décisions qui ne peuvent être contestées par les services, en se fondant sur le dialogue constant qu'elle entretient avec la CNCIS, elle-même chargée du contrôle a posteriori.

La CNCIS, dans son rapport annuel 2007 comme lors de son audition par nos collègues Éric Diard et Julien Dray dans le cadre de leur rapport d'application de février 2008, a d'ailleurs exprimé sa satisfaction sur le fonctionnement du dispositif

Enfin, l'article 9 de la loi a facilité l'accès par les agents chargés de la lutte contre le terrorisme à des informations dont ils pouvaient certes déjà avoir connaissance, notamment par l'intermédiaire des fonctionnaires des préfectures. Aujourd'hui, ils peuvent consulter directement un certain nombre de fichiers gérés par le ministère de l'intérieur ou le ministère de l'immigration, tels que le fichier national des immatriculations, les systèmes de gestion des permis de conduire, des cartes nationales d'identité ou des passeports.

Les actes réglementaires créant ces fichiers ont été modifiés afin de permettre leur consultation par les agents chargés de la lutte contre le terrorisme en application de l'article 9.

Cependant, ces dispositions réglementaires d'application ont également été prises temporairement et expireront le 31 décembre prochain. Lorsque la présente proposition de loi aura été adoptée et promulguée, il sera donc nécessaire de modifier, dans les plus brefs délais, les dispositions réglementaires précitées afin de proroger leur application. Nous espérons, madame la ministre, que les décrets en question pourront être très rapidement modifiés, afin d'éviter que nos services soient temporairement privés d'un outil efficace de lutte contre le terrorisme.

Avant 2006, lorsqu'un agent des services de renseignement avait besoin d'une information contenue dans un fichier administratif, il lui fallait s'adresser à un fonctionnaire disposant d'un accès. Désormais, les agents habilités des services de police chargés de la lutte contre le terrorisme peuvent y accéder directement. Cette nouvelle procédure présente trois avantages essentiels.

D'abord, la réactivité : les informations peuvent être consultées sept jours sur sept et 24 heures sur 24. Ensuite, la confidentialité : si les informations consultées ne sont pas strictement confidentielles, il peut néanmoins être préférable de ne pas faire savoir à un tiers que les services de lutte contre le terrorisme sont intéressés par la situation administrative d'une personne ou par le numéro d'immatriculation de sa voiture. Enfin, la traçabilité : contrairement au système précédent, toutes les demandes de consultation de fichiers sont mémorisées, permettant de vérifier a posteriori leur caractère justifié ou non.

En conclusion, qu'il s'agisse des dispositions de l'article 3, de l'article 6 ou de l'article 9, je considère qu'elles ont montré leur utilité et qu'elles ne constituent nullement des mesures d'exception qui n'auraient vocation à s'appliquer que pour un laps de temps déterminé afin de faire face à un pic d'activités terroristes. Au contraire, mes chers collègues, elles répondent aux mutations du terrorisme et à l'évolution des technologies.

Dans l'immédiat, il nous faut permettre, au plus vite, la poursuite de l'application de ces dispositifs jusqu'au 31 décembre 2012. C'est pourquoi la commission des lois vous recommande d'adopter l'article unique de la proposition de loi sans modification. Cependant, d'ici à 2012, il nous faudra certainement réfléchir à pérenniser ces trois articles.

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