En effet, les députés Verts ont déposé deux propositions de loi : l'une, en février, sur l'empreinte écologique, l'autre, il y a une quinzaine de jours, sur la transformation écologique de l'économie. Cette seconde proposition s'inscrivait dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, qui s'est achevée dimanche avec les résultats que l'on sait.
Or, malgré les discours et l'apparente bonne volonté affichée sur tous les bancs de l'hémicycle, et notamment de la majorité, ces propositions de loi modérées, qui tendaient, du reste, à enrichir le texte du Grenelle 1 que nous examinons en deuxième lecture, ont été rejetées assez violemment par la majorité. Je me souviens en effet des arguments qui nous ont été opposés lors de ces débats, en dépit du discours nuancé du Gouvernement, qui a témoigné de son intérêt intellectuel pour la notion d'empreinte écologique. Certes, celle-ci n'est pas un indicateur parfait, mais quel indicateur l'est ? Certainement pas le PIB, en tout cas, auquel beaucoup d'entre vous continuent pourtant de croire, alors qu'il mélange les biens et les maux, de sorte que, lorsqu'il augmente, on ne sait si c'est le bonheur ou le malheur qui croît. L'avantage de l'empreinte écologique, mes chers collègues, c'est qu'elle n'annonce que du malheur lorsqu'elle croît, que du bonheur lorsqu'elle diminue ! C'est à la fois plus clair et très pédagogique pour nos concitoyens.
Nous pouvons certes avoir un débat scientifique, académique, intellectuel sur le fait qu'un tableau de bord permet d'avoir une vision plus complète qu'un indicateur agrégé. Ce dernier, s'il a l'avantage d'être unique, a l'inconvénient de raboter ou de lisser certaines différences entre telle et telle pollution, tel et tel dommage ou tel et tel risque. Cela étant, un tableau de bord est beaucoup plus compliqué à mettre en oeuvre.
Je vais y revenir, car, monsieur le ministre – ou M. le rapporteur, peut-être – vous avez beaucoup parlé du climat et de l'effort de la France en matière de réduction des gaz à effet de serre. Dans le domaine de l'environnement, il n'y a pas que le climat ou les émissions de gaz à effet de serre, même s'il s'agit d'un domaine extrêmement important, dont nous parlions avec mon ami René Dumont – aujourd'hui, hélas, décédé – lors de l'élection présidentielle de 1974. À cette époque, tout le monde se moquait des émissions de gaz à effet de serre, à droite comme à gauche. Aujourd'hui, cette question est prise au sérieux. Ainsi, le sommet de Copenhague, au mois de décembre, traitera du climat, mais en réalité, il s'agit d'un rendez-vous mondial pour évoquer l'avenir de la planète et de l'humanité. Il faut donc prendre ce sommet très au sérieux et j'espère qu'il sera réussi.
Pour ce qui est du Grenelle de l'environnement, nous nous posons des questions sur le rythme à suivre, comme l'a excellemment fait André Chassaigne. Le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, est volontariste. Il propose de nombreux projets de loi. Il y a de plus en plus de sessions extraordinaires, tant au mois de juillet qu'au mois de septembre, pour débattre notamment des lois pénales ou de lois concernant plus généralement la justice ou la sécurité. Dans ces domaines, il y a beaucoup de textes, et cela va très vite ! Depuis 2002, il y en a quasiment deux par an, comme si à chaque fois, une loi devait en pousser une autre, parce qu'un incident plus ou moins grave s'est produit ici ou là. Ce n'est, bien sûr, pas une bonne manière de légiférer.
Le Grenelle de l'environnement a rendu ses conclusions, en ce qui concerne sa phase initiale, que tout le monde a respectée et à laquelle presque tous ont participé, le 25 octobre 2007. Ce n'est qu'un an après que nous en avons eu la traduction législative, que nous avons examinée en première lecture voilà à peu près neuf mois. Il y a donc eu un délai assez long entre les groupes de travail du Grenelle de l'environnement et la traduction législative. Dans d'autres domaines, en revanche, comme je l'ai indiqué à propos de la sécurité ou de la justice, dès qu'il se produit un incident, un projet de loi est proposé en Conseil des ministres la semaine suivante ! Il y a une lenteur législative. Certes le sujet est immense, car l'écologie parle de l'ensemble de la vie. Pour moi, il n'y a pas de différence entre l'écologie, le social et l'économie. L'écologie n'est en rien un sujet partiel qu'il faudrait éventuellement traiter de temps en temps ; c'est une nouvelle vision du monde. Je retrouve en cela des accents du ministre d'État, voire du Président de la République. Cela étant, les modalités que nous proposons diffèrent des vôtres : j'en veux pour preuve que vous avez rejeté nos deux propositions de loi, comme je l'ai indiqué tout à l'heure.
La transformation écologique de notre société va-t-elle enfin avoir lieu ? Vous comme nous, du moins je l'espère, sommes influencés positivement par les résultats des élections européennes de dimanche dernier. Ils nous ont montré que la prise de conscience progressait chez nos concitoyens, grâce au travail de tous, des Verts, d'Europe Écologie, mais aussi de Nicolas Hulot, des associations, de gens de toutes origines, qui sont écologistes depuis des décennies – il y a même des syndicalistes de l'écologie. Pourtant, le Grenelle de l'environnement, qui a commencé mi-2007, n'a pas encore trouvé d'issue législative.
Nous entamons aujourd'hui la deuxième lecture d'un texte d'orientation qui n'a pas d'échéancier clair. Certes, c'est un texte d'orientation, qui a pour objectif de fixer de grandes idées pour la France pour les dix, quinze ou vingt prochaines années. De même, il y a plusieurs années, la loi d'orientation sur l'énergie – n'est-ce pas, monsieur le rapporteur Poignant ? – devait fixer la politique énergétique de la France pour une vingtaine d'années. Nous ne faisons pas de lois d'orientation tous les ans ! Malheureusement, cette loi d'orientation sur l'énergie est déjà, ô combien, dépassée ; nous aurons, hélas, l'occasion d'en reparler au cours de ce débat.
Je crains que le même phénomène ne se produise pour le Grenelle 1, qui est une loi d'orientation, élaborée avec toutes les parties prenantes dans un souci participatif il y a presque deux ans, car la réalité biophysique du monde change très vite. À peu près au même moment, le GIEC – le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – et le PNUE – le programme des Nations unies pour l'environnement – ont publié de magnifiques rapports, en octobre ou novembre 2007. La préparation du sommet de Copenhague met en évidence le fait que ces rapports onusiens, qui demandent donc un certain consensus, sont en retard – ô combien ! – par rapport à la réalité biophysique de notre monde.
C'est pourquoi nous avons proposé des amendements il y a neuf mois, dès la première lecture. Aujourd'hui, nous proposons des amendements qui visent à faire une mise à jour de votre texte, afin que la France soit, comme le souhaite le Gouvernement, en prise avec le monde actuel.
Une enquête TNS Sofres d'avril dernier – qui a publié dimanche dernier une estimation, assez précise, des votes – indique, dans un grand quotidien du soir que, pour 43 % des personnes interrogées dans dix-sept pays de l'Union européenne, dont la France, « les gouvernements sous-estiment les problèmes environnementaux ».
En France, 92 % des personnes interrogées estiment que l'état de la planète est très mauvais. Lors de nos débats en commission, depuis une quinzaine de jours, des amendements ont été adoptés, d'autres rejetés. Bien entendu, le ministre et le rapporteur nous ont fourni la liste des propositions qui ont été acceptées, mais pas de celles, émanant notamment des groupes de l'opposition, qui ont été refusées.
Mon temps de parole n'étant pas extensible à l'infini, je ne citerai que quelques exemples. Nous devons réfléchir à ce qui a été adopté ou refusé en fonction du mouvement réel de la biosphère, non en fonction des accords entre humains. Contrairement à nous, la nature ne négocie pas. Le taux de CO2 dans l'atmosphère est une donnée objective, et l'atmosphère n'est pas un être juridique : elle se fout complètement de ce qui se passe dans nos négociations, y compris lors des discussions du Grenelle de l'environnement !
Ce qui va se passer autour du Grenelle durant les heures et les jours à venir restera, je le crains, au regard du constat que nous faisons, en deçà des mesures nécessaires. Le Grenelle de l'environnement était louable dans sa méthode, nous l'avons dit moult fois, et ambitieux dans les engagements pris lors des tables rondes. Mais ce processus innovant, qui avait fait naître beaucoup d'espoir, y compris parmi les ONG, commence à susciter des inquiétudes et des regrets. Nous sommes aujourd'hui face à un texte affaibli, par rapport au premier jet du Gouvernement ; il recèle en outre nombre d'erreurs qui sont graves pour l'environnement. Au fil des amendements, on est venu défendre qui sa ligne de TGV – il en faut partout ! – qui son autoroute, sa route, son aéroport, qui encore les agrocarburants, les pesticides, les incinérateurs ou le chauffage électrique. Mis bout à bout, ces éléments nous semblent incohérents avec un projet de société plus écologique, comme parfois le Gouvernement s'en fait l'écho. Toutes ces concessions accumulées nous promettent des effets destructeurs et fatals à l'esprit initial du Grenelle, dont nous estimons qu'il était bon, et c'est ce qui motive cette question préalable : y a-t-il véritablement lieu de délibérer sur un texte légèrement dépassé par rapport à la réalité du monde, imparfait dans son ambition et comportant de graves erreurs d'interprétation ?
Je vais donner quatre ou cinq exemples, pour vous montrer à quel point on peut ne pas se rendre compte de ce que l'on vote lorsque les amendements sont proposés par la majorité !
Mon premier exemple porte sur un amendement que le Gouvernement a laissé passer et qui est, pour nous, inacceptable, en ce qu'il vise à la modulation du seuil énergétique des bâtiments. Cette autorisation est la porte ouverte au chauffage électrique, source de gaspillage et de pollution et à ce que j'appelle, pour plaisanter, le « gang des grille-pain », c'est-à-dire les vendeurs de chauffage électrique. Cet amendement du président Ollier, à l'article 4, est donc maintenu. Nous proposions, à la suite du Grenelle et de ses engagements, un objectif général pour tous les bâtiments neufs de 50 kilowatts-heure par mètre carré et par an à l'horizon 2012. Cette proposition a été refusée. La modulation a été introduite par l'amendement du président Ollier, et ce sont plus de 300 000 familles qui vont solliciter une aide sociale pour régler leur facture d'énergie dans les commissions départementales de surendettement. Et cela va continuer ! Je le regrette, car le chauffage électrique est à la fois une calamité sociale, écologique et économique et, bien entendu, une aberration thermodynamique. Mais qui, dans cet hémicycle, parle de la thermodynamique, alors qu'il s'agit de lois absolument fondamentales sur lesquelles il n'y a pas à discuter ?
Je ne me souviens plus quel ministre a prononcé, sans le vouloir, cette plaisanterie : « Les lois de Kirchhoff sont dépassées, il faut en déposer d'autres ». On ne savait pas alors très bien de quoi l'on parlait !
Mon deuxième exemple concerne la construction de routes et autoroutes. Avec une certaine audace, M. Borloo disait il y a un an : « Le kilométrage global routier et autoroutier doit être arrêté ». Autrement dit, nous avons en France assez de routes et d'autoroutes.