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Intervention de Michel Sapin

Réunion du 20 octobre 2008 à 16h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Sapin :

Puisque c'est une vérité, une évidence même, tenez en compte dans le budget.

Or, celui-ci ne prévoit qu'un déficit de 2,7 % ! Pourtant, alors que le Gouvernement considère l'aggravation du déficit public comme une évidence – on peut en déduire que les déficits publics se situeront entre 3 et 4 % –, il refuse d'inscrire cette réalité dans le budget. Or cette évolution ne sera pas sans conséquences, et pas seulement pour le respect des critères de Maastricht. Nous sommes dans une situation exceptionnelle, et dans le cadre européen, on peut comprendre qu'il soit possible d'agir de façon exceptionnelle, le traité de Maastricht prévoit d'ailleurs cette éventualité. Monsieur le ministre, faites-le, mais dites-le ! En fait, par rapport à ses propres annonces, le Gouvernement a manqué une occasion de dire la vérité.

Le projet de loi de finances pour 2009 est également une occasion manquée en termes de dépenses. Monsieur le ministre, vous avez une manière très étrange de présenter le plan de soutien, pourtant nécessaire, aux banques et au système de crédit. Vous prétendez qu'il ne coûtera rien et ajoutez même parfois : « Il va rapporter. » Que l'État se substitue aux établissements bancaires dans la prise de risque serait donc neutre pour le contribuable et ne pourra qu'être bénéfique pour le budget. Mais, monsieur le ministre, s'il n'y avait, aujourd'hui, aucun risque de perdre de l'argent, le système financier ne connaîtrait aucune difficulté. Si il n'y avait que des possibilités de gains et aucun risque, pourquoi une banque se tournerait-elle vers l'État pour lui demander son soutien ? Monsieur Woerth, vous devriez plutôt avouer que vous ne connaissez pas le coût des risques pris – ils dépendent de la nature du risque même, de la capacité à valoriser telle ou telle participation. Le Gouvernement prend un risque – il a raison –, mais il ne peut pas prétendre que cela ne va rien coûter ou que cela rapportera. En disant cela, il manque à une forme de sincérité budgétaire : cela coûtera quelque chose au budget de l'État.

Monsieur le ministre, vous nous dites que ce budget n'est pas un budget de rigueur. Pourtant tel est bien le cas, et il fait peser les efforts, de façon totalement inadaptée, sur des enjeux comme le chômage ou le logement. Ces deux exemples sont à ce point caricaturaux que je ne doute pas que de nombreux orateurs s'en saisiront et que le Gouvernement fera évoluer son texte au cours de nos débats.

Ainsi, alors que le chômage progresse à nouveau – même les analystes les plus prudents constatent que cette tendance est inéluctable pour 2008 et 2009 – les crédits de la mission « Travail et emploi » diminuent. Comment le Gouvernement explique-t-il cette étrange contradiction ? Il en est incapable et sera sans doute amené à augmenter ces crédits dans le courant de la discussion, en particulier pour la création de nouveaux contrats aidés.

La mission « Ville et logement » voit ses crédits diminuer considérablement alors que tous les secteurs du bâtiment – et pas seulement celui du logement –, qui sont considérablement porteurs d'activités et d'emplois, anticipent déjà d'immenses difficultés pour les mois à venir. En termes de capacité à définir les priorités et le montant de la dépense publique, ce budget est, à nouveau, celui des occasions manquées.

Monsieur le ministre, puisque nous parlons de dépense, je constate que dans votre esprit, le budget n'est qu'une autorisation de dépense et vous vous préoccupez uniquement du respect du niveau de la dépense. Je suis en total désaccord avec cette définition de l'enjeu du débat budgétaire. En effet, aujourd'hui, le budget est l'arme économique principale dont dispose la puissance publique dans notre pays. Avec la création de la monnaie unique, l'arme monétaire n'est plus entre les mains de la puissance publique nationale – elle relève, dans les conditions que l'on sait, de la puissance publique européenne –, ne restent donc que les armes fiscales et budgétaires qui s'inscrivent dans le cadre du projet de loi de finances. Celui-ci n'est donc pas un acte anodin. Vous le banalisez pourtant et considérez qu'il sera possible de constater le déficit au fur et à mesure. Vous acceptez un déficit au fil de l'eau qui s'aggravera avec la progression de la récession. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ne partage pas cette approche de la dépense publique : nous considérons qu'elle doit être un élément actif, avoir une capacité d'influence sur la situation économique et les divers secteurs économiques comme l'industrie ou le bâtiment. La dépense publique doit permettre de soutenir l'activité et de générer des recettes supérieures à celles que vous vous contenteriez de constater « au fil de l'eau ».

Avec ce budget, le Gouvernement a enfin manqué l'occasion de réfléchir à quelques-unes des mesures adoptées l'année dernière dans le fameux paquet fiscal. Quelles que soient les explications fournies par le Gouvernement sur les effets négatifs du bouclier fiscal et les éventuelles corrections que nous pourrions leur apporter, les Français ne peuvent pas comprendre que, dans cette période durant laquelle ils auront tous à souffrir, seuls les plus riches d'entre eux seront exemptés de l'effort collectif. La majorité a été confrontée à cette réalité lors des discussions sur le revenu de solidarité active ; elle le sera à chaque fois qu'elle agira sur les dépenses ou les recettes. Une « calotte glaciaire » ne peut pas systématiquement protéger une catégorie de Français des efforts demandés à tous les autres. La justice, les données techniques, la morale politique, tout, aujourd'hui, justifie, que la majorité remette en cause le bouclier fiscal qui n'a que des effets négatifs, y compris sur le moral des Français.

Lors du vote du paquet fiscal, Pierre-Alain Muet avait estimé que, en période de forte croissance et de fortes tensions sur le marché de l'emploi, le dispositif concernant les heures supplémentaires, s'il posait un problème en termes de justice, pouvait toutefois être avantageux en termes économiques. Mais, aujourd'hui, en période de récession, alors que le nombre des chômeurs et des licenciements progresse, ce dispositif ne fait qu'encourager cette évolution. Votre création s'est transformée en machine à provoquer du licenciement et du chômage. Techniquement, économiquement et politiquement, c'est une évidence. Il est donc temps que ceux qui croient encore à ce dispositif reviennent sur leurs certitudes.

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