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Intervention de Éric Woerth

Réunion du 2 juillet 2009 à 9h30
Mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat après déclaration d'urgence

Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'état :

La mobilité, le parcours professionnel, la carrière d'un fonctionnaire : voilà l'objet du projet de loi que je vous présente aujourd'hui. Il était temps de se préoccuper de ces règles de base de la gestion des ressources humaines. Il était temps de permettre juridiquement à l'État, aux collectivités locales et aux établissements hospitaliers d'encourager la mobilité et d'enrichir les parcours de leurs agents.

Ce projet de loi relève du bon sens : sans mobilité, sans parcours de carrière, comment rendre les carrières plus attractives ? Comment attirer les meilleurs ? Comment permettre aux fonctionnaires de s'épanouir tout au long de leur carrière?

Grâce à ce projet de loi, les fonctionnaires pourront découvrir les différents métiers et territoires de l'État et les employeurs publics s'assurer que chaque fonctionnaire qui le souhaite pourra changer de métier ou de région. Nous avons l'ambition de faire circuler les hommes, les idées, les compétences. À cette condition, notre fonction publique sera moderne et dynamique. À cette condition, nos fonctionnaires seront heureux et fiers de leur travail.

Nous voulons faire de l'employeur public, non pas seulement le premier employeur de France, mais aussi et surtout le meilleur employeur de France. En la matière, nous avons des progrès à faire.

Le Président de la République l'a parfaitement énoncé : il faut gérer davantage des hommes et des femmes et moins des catégories juridiques. Le fonctionnaire en tant que personne ne doit pas s'effacer derrière des statuts. Des procédures ne doivent pas entraver l'expression des talents. Nous devons sortir d'une approche trop mécanique, égalitariste et anonyme, pour remettre de l'humain, de l'individualité dans la gestion de la fonction publique. Ainsi, un adjoint administratif du ministère de la culture doit pouvoir intégrer sans contrainte inutile un poste équivalent au ministère de l'équipement.

Nous voulons répondre avec pragmatisme aux demandes concrètes des agents que nous rencontrons au quotidien : leur parcours de carrière ne doit plus être un parcours du combattant.

Alors, bien sûr, le chemin est long : aujourd'hui, moins de 5% des fonctionnaires servent hors de leur corps d'appartenance. La mobilité, peu développée, concerne avant tout l'encadrement supérieur et correspond rarement à une mobilité entre ministères ou entre fonctions publiques. Surtout, elle se heurte à des obstacles structurels, qui résultent du cloisonnement des corps, de la lourdeur des procédures, de la multiplicité des régimes indemnitaires.

Il arrive que, pour simplement changer de direction au sein d'un même ministère et d'un même bâtiment, il faille changer de corps, avec toute la paperasse et les tracasseries que cela implique. C'est inacceptable.

Comment s'étonner dès lors que la mobilité soit la préoccupation centrale des fonctionnaires ? Nous l'avons directement observé lors de nos déplacements sur le terrain. Selon une enquête IPSOS, 86% des fonctionnaires estiment qu'une fonction publique moderne doit donner à ses agents la possibilité de changer de métier.

Ce projet de loi est le fruit d'une intense concertation et je mesure la qualité du travail du rapporteur. Vous ne pourrez pas dire que ce texte a été écrit en catimini, sans concertation, sans discussion, sans dialogue. Certes, tout le monde n'est pas d'accord sur tout, mais de multiples échanges ont eu lieu, notamment avec les partenaires sociaux. Nous avons d'ailleurs beaucoup discuté des points de désaccords et répondu à leurs interrogations.

Trois débats ont été organisés au Conseil supérieur de la fonction publique les 16 octobre, 18 décembre 2007 et 18 mars 2008. Le premier portait sur les principes, le deuxième sur les mesures concrètes qui nourrissent le projet de loi et les décrets qui l'accompagnent, le troisième sur le texte lui-même. Les conseils supérieurs de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale ont également été consultés les 21 et 26 mars 2008.

Il ne s'est pas agit pas de faire des réunions pour le plaisir de se rencontrer, mais d'enrichir considérablement la première version du texte. Je voudrais en prendre deux exemples.

S'agissant de la réorientation professionnelle, source d'inquiétudes et de malentendus, le texte a été substantiellement réécrit, pour bien montrer que l'objectif de cette disposition était précisément d'accompagner les fonctionnaires et de prendre des engagements précis en termes de formation ou de propositions d'emplois. Il n'y a pas d'arrière-pensée.

Quant au cumul d'emplois à temps non complet, nous avons répondu aux deux demandes des syndicats : la somme des emplois ne pourra excéder un temps plein et parmi les emplois, l'un sera au moins à mi-temps.

Personne ne pourra reprocher au gouvernement de n'avoir pas engagé de dialogue sur ce projet de loi. Cela étant, engager la concertation ne signifie pas revenir sur ses objectifs, galvauder un texte ou renoncer à ses convictions. Nous avons pris acte de désaccords avec les syndicats sur certaines orientations politiques tout en restant ouverts sur leurs modalités de mise en oeuvre.

Ce texte est ambitieux car les fonctionnaires, nous le savons, ne se satisferont pas de grands discours ou de demi-mesures. Ils veulent des changements concrets, ciblés et immédiats. Voilà pourquoi nous construisons ce texte autour d'un principe simple : un agent qui souhaite diversifier son parcours professionnel ne doit plus être pénalisé mais récompensé. Plus la carrière sera longue, plus la mobilité devra être forte.

Trois grands objectifs en découlent.

Il convient tout d'abord de lever les obstacles juridiques à la mobilité des fonctionnaires. Les entraves statutaires qui existent trop souvent pour exercer des missions de niveau comparable sont supprimées. Le texte simplifie et systématise ainsi les possibilités de détachement et d'intégration dans des corps ou cadres d'emplois de niveau comparable. Il ouvre une possibilité d'intégration directe. Il crée un droit à la mobilité pour tous les agents. Il supprime les obstacles statutaires au retour des agents après une mobilité.

Le critère de l'appartenance statutaire ne doit plus prévaloir sur celui de la compétence.

Permettez-moi d'illustrer mon propos par quelques exemples.

Aujourd'hui, une secrétaire administrative qui aurait des connaissances en matière de dossiers de subventions agricoles, du fait de son parcours antérieur, ne peut pas exercer cette mission au sein de la direction départementale de l'agriculture car le statut particulier du corps de « technicien supérieur de l'agriculture » ne prévoit pas le détachement en son sein d'une secrétaire administrative. L'article 1er de la loi lèvera cette difficulté en faisant primer la qualification, la compétence, l'expérience sur l'appartenance à un corps.

Aujourd'hui, un attaché de la fonction publique territoriale qui souhaite poursuivre sa carrière dans la fonction publique de l'État doit obtenir un détachement, qui n'a qu'un caractère temporaire – souvent deux ou trois ans renouvelables. L'article 2 de la loi lui permettra, si son administration en est d'accord, d'être directement intégré dans la fonction publique de l'État, sans période transitoire. Sa situation ne sera alors pas remise en cause à échéance régulière.

Aujourd'hui, un attaché de préfecture que la direction

départementale de l'équipement accepte de recruter sur un poste vacant peut voir son départ refusé par la préfecture pour des raisons d'opportunité. Grâce à l'article 4 de la loi, dès lors que la direction départementale de l'équipement aura donné son accord au recrutement, la préfecture ne pourra retenir l'attaché plus de trois mois, sauf à démontrer que des nécessités absolues de service s'y opposent. La mobilité deviendra ainsi un droit effectif.

Aujourd'hui, un agent en direction régionale qui, dans le cadre d'une restructuration, partirait dans la fonction publique territoriale, perdrait de l'argent car le niveau des primes y est moindre. L'article 6 de la loi permettra de compenser le différentiel de primes: la mobilité n'entraînera pas de perte financière pour l'agent.

Voilà quatre exemples de ce que le projet de loi changera pour les fonctionnaires. Nous avons voulu nous placer du point de vue de l'agent, face aux difficultés concrètes qu'il rencontre aujourd'hui dans sa mobilité.

Enfin, ce texte met en place des outils, notamment financiers, pour encourager la mobilité. La rémunération d'un agent pourra ainsi être maintenue dans les cas de mobilités liées à un changement de service ou à un projet professionnel particulier. Les décrets pris en avril 2008 en accompagnement de ce projet de loi créent des primes pour encourager la mobilité, accompagner la réorganisation des services ou permettre un départ volontaire.

Deuxième objectif: créer les conditions qui permettront de moderniser et d'assurer la continuité et l'adaptabilité du service. Il sera possible de remplacer un fonctionnaire momentanément absent par un contractuel et de recourir à l'intérim dans les trois fonctions publiques. Il généralise la possibilité de cumuler des emplois à temps non complet et facilite la réorientation professionnelle des fonctionnaires dans le cadre de la réorganisation d'une administration ou d'un service.

Je voudrais revenir sur la réorientation professionnelle article 7. La réforme de l'État va conduire à des restructurations de services. On peut s'en féliciter ou le déplorer : c'est un fait. Pour ma part, je pense que c'est une nécessité. Dans ce cadre, si l'on s'en tenait strictement au droit actuel, le fonctionnaire dont l'emploi serait supprimé serait livré à lui-même pour rechercher un nouveau poste.

L'administration serait simplement tenue de lui proposer un seul poste, sans aucune garantie en matière de localisation géographique ou de respect de ses aspirations. S'il le refuse – c'est le droit actuel, qui n'est pas suffisamment connu –, il est réputé démissionnaire de la fonction publique. Serait-ce là une façon décente pour l'État de traiter ses agents ? Ceux qui contestent notre proposition voudraient-ils réellement que nous la retirions ?

Nous proposons au contraire un dispositif d'accompagnement personnalisé, intervenant aussi en amont que possible, dans le cadre d'engagements réciproques de l'agent et de son administration.

La réorientation professionnelle cesse lorsque le fonctionnaire accède à un autre emploi, dans un champ que nous souhaitons très ouvert.

Beaucoup de choses ont été dites à tort sur les conditions dans lesquelles le fonctionnaire en réorientation professionnelle pourrait être mis en disponibilité d'office : on a même parlé de licenciement ! L'objectif n'est évidemment pas de créer un dispositif de licenciement déguisé, comme j'ai pu le lire ou l'entendre ici ou là. Il s'agit simplement de disposer d'une mesure dissuasive vis-à-vis d'agents qui refuseraient le principe même de la suppression de leur poste. Cette mesure est particulièrement encadrée puisque l'agent devra refuser, non pas un, mais trois postes.

Qui peut donc présenter toutes ces mesures de bon sens, qui ne sont en rien inéquitables par rapport à celles qui régissent les salariés du secteur privé, comme des atteintes au statut des agents publics alors même qu'elles ouvrent un nouveau droit pour tous les fonctionnaires : celui d'être véritablement accompagné lorsque l'administration évolue ? Ce qui est moderne, et sans doute nouveau, c'est que l'administration prenne soin de l'évolution de la carrière de ses agents ! Dans le cadre du texte, nous avons du reste beaucoup travaillé sur la question des emplois qui seront proposés : ils devront être cohérents avec la localisation géographique de l'agent et correspondre à son emploi et à sa compétence. Dans ces conditions, le fait pour l'agent de refuser les trois emplois proposés permettra de s'interroger sur sa réelle volonté de rester dans la fonction publique. Ce texte est donc très respectueux à la fois des fonctionnaires, de l'administration et des usagers du service public.

Je voudrais également revenir sur la question, taboue, de l'intérim, qui est interdit aujourd'hui dans l'administration en vertu d'une jurisprudence du Conseil d'État du 18 janvier 1980.

Or, comment procéder concrètement, lorsqu'un agent part en arrêt maladie pour trois semaines, alors que sa présence à cette période de l'année est indispensable pour faire face à un pic d'activité ? Le recrutement d'un vacataire prend nécessairement du temps. L'intérim, qui n'est pas la jungle, offre une solution.

Il convient en effet de se garder de toute assimilation de l'intérim à la précarité. Plaçons-nous, là encore, du point de vue de la personne. Est-il préférable d'enchaîner des contrats de vacation de quinze jours ou d'être le salarié d'une société d'intérim reconnue, qui fournit un statut et des avantages définis par le code du travail et lui procure des missions ? L'intérim, ce n'est pas plus de précarité dans l'administration, c'est moins de précarité pour les personnes concernées.

Le troisième objectif est de mettre en oeuvre des mesures de ressources humaines modernes afin de faciliter les parcours de carrière et de valoriser le mérite. Nous souhaitons permettre l'accès par concours et par promotion aux grades supérieurs des corps de la fonction publique de l'État et de la fonction publique hospitalière pour les catégories A et B, ce qui facilitera les parcours de carrière pour les agents qui progressent.

Nous souhaitons généraliser les entretiens professionnels d'évaluation, en lieu et place de la notation, dans la fonction publique de l'État. Le bilan sur l'expérimentation de la suppression de la notation et la mise en oeuvre de l'entretien professionnel, présenté au Conseil supérieur de la fonction publique de l'État le 9 avril dernier, est très encourageant. Neuf ministères sur douze se sont d'ores et déjà approprié le nouveau dispositif et près d'un quart des fonctionnaires – hors enseignants – a pu en bénéficier. C'est un outil plus constructif que la procédure de notation qui existait précédemment et était mal employée. Il contribue en effet à enrichir le dialogue entre les supérieurs hiérarchiques et leurs collaborateurs. Telle est notre volonté : la note doit être l'expression d'un dialogue que personne n'a à redouter.

Enfin, toujours dans l'idée d'apporter plus de souplesse aux gestionnaires, nous voulons mettre en place des statuts d'emploi dans la fonction publique territoriale, qui n'en a pas, à l'instar de ce qui existe dans la fonction publique de l'État.

Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi, pour conclure, de citer le Président de la République, alors candidat, dans son discours du 7 juillet 2005 : « L'attachement au service public ne se mesure pas au nombre des cris que l'on pousse à son sujet. Il se mesure à la hauteur de l'ambition que l'on a pour lui, de la volonté que l'on met pour le faire changer, des moyens qu'on lui donne pour y parvenir, de la confiance qu'on lui fait pour réussir. »

Le projet de loi s'inscrit pleinement dans cette ambition. Ne nous trompons pas de débat : vouloir changer les règles de fonctionnement de la fonction publique, c'est encourager ses agents à améliorer la qualité du service public. Vouloir ne rien y changer, c'est décourager ces mêmes agents et tuer lentement mais sûrement le service public. Nous sommes partisans du statut, nous ne sommes pas partisans du statu quo…

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