Madame la ministre, comme l'a justement noté le Premier ministre dans son discours d'hier, et à nouveau cet après-midi, la réforme de la Constitution n'est pas une réforme ordinaire, sujette aux débats habituels entre camps opposés. Au contraire, il nous appartient de voir ensemble comment faire évoluer notre maison commune et comment parvenir au consensus nécessaire à l'adoption d'une loi à la majorité des trois cinquièmes.
C'est pour cette raison que je me suis posé les trois questions suivantes : Cette réforme est-elle nécessaire ? Est-elle utile ? Peut-elle être encore améliorée ?
À la première question, je réponds oui, sans hésitation. Cette réforme est nécessaire au moins pour deux raisons : d'abord parce que notre République, immobile depuis plus de quatre décennies, a besoin d'une vraie modernisation et que moderniser son fonctionnement démocratique aidera la réforme ; elle est nécessaire ensuite si on la replace dans la perspective des modifications qu'a connues notre constitution depuis cinquante ans.
Conçue comme une forme de parlementarisme rationalisé en 1958, la Ve République est devenue après 1962 tantôt un régime semi-présidentiel, voire présidentialiste lorsque majorité présidentielle et parlementaire coïncidaient, tantôt un régime de facto parlementaire en période de cohabitation. Pour avoir, en tant que député, vécu les deux systèmes, j'en mesure les différences.
Depuis l'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, le présidentialisme des institutions s'est encore accentué. L'élection de l'Assemblée nationale intervenant après celle du Président, nous avons aujourd'hui un système très déséquilibré dans lequel le chef de l'État a beaucoup de pouvoir et bénéficie d'une grande légitimité, tandis que le Parlement souffre et d'un déficit de pouvoir, et d'un déficit de légitimité. La réforme constitutionnelle qui vise à rééquilibrer les pouvoirs est donc nécessaire.
Est-elle utile ? À dire vrai, comme Arnaud Montebourg, je rêvais moi aussi d'une VIe République ; comme Édouard Balladur et François Fillon, j'étais et je demeure partisan d'une clarification plus fondamentale des institutions, qui les fasse évoluer vers un régime proprement présidentiel, lequel impliquerait d'ailleurs la suppression du poste de Premier ministre et celle du droit de dissolution ; bref, j'étais partisan de l'instauration de deux pouvoirs parallèles et indépendants : législatif et exécutif. Telle n'a pas été la solution retenue. Sans doute a-t-on considéré qu'elle ne correspondait pas, ou pas encore, à l'évolution de nos moeurs politiques.
Le projet de réforme est néanmoins utile en ce qu'il propose plusieurs recadrages. Celui d'abord des prérogatives du Président de la République, notamment ses pouvoirs fortement symboliques – je pense à l'article 16, à son pouvoir de nomination et à son droit de grâce. Que ce recadrage soit « compensé » par un droit d'expression devant le Parlement ne me choque pas.
À l'autre extrémité, les droits du citoyen sont eux aussi renforcés, notamment par le contrôle de constitutionnalité et l'organisation d'un référendum d'initiative populaire.
Cette réforme est enfin utile parce que le pouvoir législatif et le pouvoir de contrôle du Parlement sont considérablement renforcés. Ce renforcement, beaucoup de parlementaires chevronnés en rêvaient depuis de nombreuses années. C'est ainsi que le droit d'amendement est accru, que les textes discutés seront ceux adoptés en commission et non plus directement issus du Gouvernement, que l'usage du 49-3 sera strictement limité, que l'ordre du jour sera partagé entre le législatif et l'exécutif, que le Parlement pourra se prononcer sur l'engagement de nos forces à l'étranger – sujet auquel je suis tout aussi sensible que Bernard Cazeneuve –, c'est ainsi enfin que notre pouvoir de contrôle sera renforcé grâce à la contribution de la Cour des comptes.
Si l'on veut donc bien admettre ce schéma, qui n'est certes pas celui d'une VIe République mais d'une Ve République rééquilibrée, je ne vois pas comment nous pourrions rejeter ce texte. Comment en effet se plaindre, comme l'a fait hier de façon un peu excessive Arnaud Montebourg, des dérives autoritaires de l'exécutif et refuser en même temps un renforcement sans précédent des pouvoirs du Parlement ?
Troisième question enfin : pourrait-on faire mieux ? Sans doute, mais en faisant attention à la manière dont nous-mêmes allons procéder.