Nous prenons connaissance à l'instant de l'amendement n° 68 et de son exposé sommaire. Nous ne contestons pas au Gouvernement le droit de le présenter à ce moment du débat. Mais, tout de même, n'est-ce pas là pousser un peu loin ? Ce texte et cet amendement feront débat : peut-être pas à l'Assemblée – il est trop tard – mais au Sénat et, je l'espère, au Conseil constitutionnel. En tout cas, je ne voudrais pas qu'il fasse débat à la Cour européenne des droits de l'homme, car je ne souhaite pas que nous nous illustrions une fois de plus par notre non-respect des règles.
Les observations formulées tout à l'heure sur la question des mineurs de quinze ans sont tout aussi graves. Car c'est la loi pénale et la loi de procédure pénale qui fixent ces critères, et c'est pourquoi nous les utilisons. C'est nous qui faisons la loi pénale et la loi de procédure pénale, en suivant des principes que – vous ne pouvez pas le contester – vous êtes en train de modifier. La rétention de sécurité s'apparente à une peine, puisqu'elle entraîne une privation de liberté. Cette privation de liberté relève-t-elle de la mesure de sûreté ou de la peine ? Il faudra répondre à cette question, qui ne sera pas réglée par le vote de la présente loi.
On nous a dit d'autre part que cette privation de liberté visait à prévenir la récidive. Il s'agit là d'une nouveauté dans la loi pénale et dans la loi de procédure pénale : nous n'en avions jamais entendu parler.
Notre collègue Jean-Frédéric Poisson a tenu tout à l'heure des propos qu'un juriste ne peut accepter : il a soutenu que, dans le doute, il conviendrait de décider la rétention de sûreté. Je demande que mes propos soient bien enregistrés : c'est la première fois que le doute conduirait à une privation de liberté, alors que nous sommes toujours dans l'application de la loi pénale et de la loi de procédure pénale.
Mme la garde des sceaux a parlé du principe de précaution. Le terme est précis et illustre parfaitement sa volonté, mais, en matière de loi pénale et de loi de procédure pénale, c'est une nouveauté de plus.
La dernière des nouveautés vient de surgir : c'est la rétroactivité. Je sais bien que les décisions du Conseil constitutionnel, les avis du Conseil d'État – celui-ci vous a pourtant contraints à prononcer la décision dans le cadre du jugement et non pas au terme de la peine – ou les décisions de la Cour européenne ne sont pas dénuées de subtilités. Toutefois, c'est la première fois qu'est introduite dans notre droit la rétroactivité de dispositions pénales plus sévères.
Encore les conditions dans lesquelles elles seront appliquées à l'avenir ne sont pas celles que vous mettez en oeuvre. Vous précisez en effet qu'elles seront « applicables aux personnes condamnées avant la publication de la loi et exécutant une peine privative de liberté à la date du 1er septembre 2008 ». Pourquoi cette date ? Pourquoi pas le 30 août ? Pourquoi pas le 15 août ? Pourquoi pas le 1er juillet ? Il faudrait répondre à ces questions, madame la garde des sceaux. Il faudrait dire les choses, il faudrait avouer. Pourquoi le 1er septembre 2008 ? Pensez-vous que le choix de cette date va atténuer la validité – ou la non-validité – de ces dispositions ? Je ne le crois pas. Il faut que vous disiez pourquoi vous choisissez cette date et que vous l'expliquiez, surtout, à ceux qui auront été condamnés avant.
Jusqu'à présent, la loi pénale et la loi de procédure pénale posaient comme principe que la rétroactivité n'est possible que si elle sert l'intérêt de la personne concernée – c'était, en tout cas, l'appréciation que faisaient les juridictions. Force est de constater que, pour la première fois, on utilise aujourd'hui la rétroactivité dans une loi de procédure pénale, qu'on la fait appliquer selon un calendrier parfaitement inexplicable – et qui devra pourtant être justifié devant le juge constitutionnel : je vous rappelle, à cet égard, le cas du dispositif sur les successions que nous avons voté cet été.