Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un budget opaque et médiocre, un ministère en errance et en déshérence, une image de la France en Afrique hélas terriblement ternie et dégradée, le secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie n'a décidément pas la baraka pour son retour au Gouvernement – dans des conditions certes un peu particulières, pour l'exprimer en termes indulgents.
Le groupe socialiste, radical et citoyen confirme qu'il ne votera pas les crédits proposés par le Gouvernement pour la coopération et l'aide publique au développement. Je souhaite rappeler les deux raisons principales qui motivent ce vote.
La première est politique : si la politique d'aide au développement présentée cette année par le premier gouvernement de Nicolas Sarkozy est ainsi estampillée, elle tend en fait à devenir un instrument parmi d'autres de contention des flux migratoires. Un ministère de l'identité nationale, de l'immigration et du codéveloppement a été créé, qui empiète incontestablement sur les compétences traditionnelles et les objectifs du ministère de la coopération. Il a été doté à cet effet de moyens et de personnels cédés par d'autres départements, en particulier celui des affaires étrangères. Le codéveloppement dont il se réclame, lié à l'immigration, a pris un nouveau visage. Encadré de tests ADN, de statistiques ethniques – heureusement censurées par le Conseil constitutionnel – et d'une obligation d'expulsion chiffrée à 25 000 par an, annoncé par une loi de réhabilitation des bienfaits de la colonisation votée par le groupe UMP sous la précédente législature, le codéveloppement a désormais pour objet, non pas le développement des pays du Sud, mais une sorte d'obligation de retenue à la source des candidats à l'exil économique. Et pour que les choses soient bien claires, le Président de la République, de Dakar à N'Djamena, a tancé l'Afrique, coupable selon lui de retard intellectuel et, en définitive, de son mal-développement.
La France, qui doit tant à l'Afrique, et en particulier une contribution exceptionnelle à la libération du territoire national, la France qui bénéficie du soutien diplomatique de ses anciennes colonies, notamment aux Nations unies, a surpris et peiné, de Dakar à N'Djamena, avant de faire l'objet de critiques de plus en plus vives, en particulier au sein d'instances officielles de l'ONU. Si la France vient à confirmer qu'elle tourne le dos à l'Afrique, les étudiants, les responsables politiques et économiques du continent noir iront ailleurs. Une fois la page arrachée, il ne sera plus temps de se lamenter : il sera trop tard.
Comme beaucoup, j'ai noté avec préoccupation que la politique immobilière à courte vue pratiquée par l'État coûtait cher aux Français. Comme nombre d'entre vous, j'ai lu avec préoccupation que le gouvernement chinois avait été intéressé par les bâtiments de la rue Monsieur, siège du ministère délégué au développement, mis en vente, pour y installer les bureaux de représentation de Pékin pour l'Afrique. Ce ne sera finalement pas le cas, mais l'incident est révélateur.
L'homme africain, comme il a été dit avec une certaine suffisance, aurait, pour le premier des Français, manqué le train de l'histoire. Les Chinois, les Indiens, les Américains, les Brésiliens sont prêts à le prendre au mot pour prendre une place dont la France ne veut plus. Vous allez peut-être y gagner la fïdélisation des électeurs les plus réactionnaires, ceux qui depuis toujours opposent, selon l'expression scélérate de Raymond Cartier, Corrèze et Zambèze. La France y perdra des contrats, des emplois et une part appréciable de son influence
La seconde raison de notre refus de voter les crédits de la mission « Aide publique au développement » tient à l'architecture d'un budget en trompe-l'oeil. Sur ce point, je pourrais reprendre intégralement les observations de l'excellent rapport de M. Emmanuelli, et même certaines remarques de Mme Martinez.
Le programme « codéveloppement » qui a été créé a été placé sous la responsabilité du ministre de l'identité nationale, de l'immigration et du codéveloppement. Le ministre de l'identité en péril multiplie les déplacements afin de contraindre les pays africains à signer des accords présentés comme de « gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement ». Quatre de ces accords ont été signés, 13 autres sont en cours de négociation.
Je note que l'OFPRA, placé désormais sous la tutelle de ce ministère dédié à la protection de l'AOC France, fonctionnera en partie sur des crédits comptabilisés en APD. Je constate par ailleurs que le reliquat budgétaire laissé au ministère des affaires étrangères fait l'objet d'un intérêt pressant de la part de M. Hortefeux au sein du Conseil interministériel à la coopération internationale et au développement comme du conseil d'administration de l'Agence française de développement. Cette aide de fait considérée comme résiduelle est qui plus est en régression. Affichée à 0,47 % elle ne sera en réalité que de 0,42 %. Il y a là une vraie rupture, mais dans le sens inverse de ce qui conviendrait.
Les annulations de dette programmées pour la RDC et la Côte d'Ivoire, qui restent de l'ordre du possible plus que du réel, ne sauraient masquer la réalité d'une APD en recul. Ce recul, reconnaissons-le, est cohérent avec le repli de la France sur elle-même et sous l'aile des États-Unis, privilégiés par le chef de l'État.
Ce choix n'est pas le nôtre. Il n'est pas celui du groupe socialiste, radical et citoyen. Refusant cette orientation, qui va à rencontre de la voie ouverte avec bonheur et consolidée par les présidents de Gaulle, Mitterrand et même Chirac, refusant une politique sanctionnée aux Nations unies, qui rompt avec nos traditions universelles et altère gravement l'image et la capacité d'influence de la France, refusant enfin la désagrégation de nos outils de coopération internationaux, le groupe socialiste, radical et citoyen ne cautionnera pas une dérive dangereuse pour la France. Il ne votera donc pas le budget prétendument destiné à l'aide publique au développement.