Avant d'intervenir sur l'article 5 proprement dit, je voudrais dire à Mme la ministre que je trouve surprenant qu'elle ne connaisse pas les termes du contrat de fournitures de programmes qui va lier France 24 et TF 1, France 24 et France Télévisions, France 24 et Eurosport. Je pense qu'elle a les moyens d'être informée. Nous apprécierions d'être nous-mêmes informés de la nature de ces contrats, nous pourrions voir par exemple si les contrats d'achat font apparaître des différences de traitement entre TF 1 et France Télévisions.
L'article 5 est le premier d'une série de cinq articles qui traitent du mode de nomination du président de France Télévisions. L'article 5 aménage la composition du conseil d'administration pour permettre que le président du groupe soit nommé par décret présidentiel.
Il s'agit d'un des aspects les plus importants de ce projet de loi puisqu'il traite au fond de l'indépendance morale et politique de France Télévisions, ou de sa dépendance. Ce point est, pour nous, déterminant. Nous avons le sentiment que cette disposition va entraîner une régression démocratique extrêmement grave.
Depuis bientôt trente ans, le long cheminement de la télévision publique vers son indépendance a été continu. Depuis le début des années 1980, depuis que François Mitterrand a voulu couper le cordon ombilical entre le pouvoir et la télévision publique, qu'il a installé une haute autorité pour réguler le paysage audiovisuel, il y a eu certes des aléas, des avanies, des reculs mais également des avancées, et, au bout du compte, l'objectif de l'indépendance de la télévision publique a été relativement partagé sur ces bancs, à droite comme à gauche. Nul n'avait songé, jusqu'au 8 janvier 2008, à remettre en cause avec une telle violence ce principe de crédibilité de la télévision publique. Tout ce que vous avez fait, tout ce que nous avons fait au fil du temps, avait pour but, au contraire, de consolider cette indispensable indépendance de la télévision publique.
Ce que vous vous apprêtez à faire est une régression démocratique sans précédent, qui n'a pas d'équivalent, même en Italie. J'ai parlé de « berlusconisation » mais, dans les pays démocratiques, il n'y a pas de système pour nommer le président de la télévision publique par décret présidentiel, cela n'existe nulle part.
De nombreux arguments ont été avancés pour justifier une telle mesure.
Le premier est que France Télévisions est une entreprise publique et que donc son PDG doit être nommé par le pouvoir, comme à la SNCF, ou la RATP. Le problème, c'est que la télévision publique, ce n'est pas une entreprise comme les autres, justement. La télévision publique ne fabrique pas des boulons ou des petits pains, elle fabrique de l'imaginaire, de la cohésion nationale, elle fédère les populations de notre pays. Cette incarnation, cette restitution, cette création de lien social n'est pas comparable avec la finalité de la SNCF !
La télévision publique a besoin de cette indépendance parce que nous avons besoin d'une télévision publique pluraliste, qui respecte la réalité des nuances de pensée dans notre pays, parce que nous avons besoin d'une télévision publique crédible. Nous sommes face à des enjeux de société, en termes d'information, de santé publique, d'environnement, de justice, qui font appel à la nécessaire impartialité d'une télévision publique. Nous savons bien que les opérateurs privés, et nul ne leur reprochera, ont des intérêts à défendre – après tout, c'est peut-être légitime. La diversité des opérateurs est nécessaire, mais il faut une référence dans le paysage audiovisuel et cette référence en matière d'indépendance morale par rapport aux grands enjeux de la société médiatique, par rapport aux questions que peut se poser la population – rappelez-vous les problèmes de santé publique qui se sont posés depuis quelques années – ne peut être apportée que par une télévision indiscutable et indiscutée.