Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, le nouveau régime de responsabilité instauré par le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui se réfère aux articles 3 et 4 de la Charte de l'environnement adossée à notre Constitution et adoptée par le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 28 février 2005.
J'avais, pour ma part, voté en faveur de cette charte, même si elle suscitait, et continue à susciter de nombreuses interrogations. Au-delà de l'incantation ou du voeu pieux, cette charte permet-elle de régler des problèmes précis ? Telle est in fine, si j'ai bien compris, l'ambition de votre projet de loi, qui transpose une directive européenne sur la prévention et la réparation des dommages écologiques purs. La dichotomie entre l'affirmation d'un beau principe et son application concrète refait donc surface aujourd'hui. Ce débat récurrent, nous l'avons déjà eu au moment du naufrage de l'Erika et, plus récemment encore, lors de l'examen du texte sur les OGM, lorsque le principe de précaution a été purement et simplement piétiné.
Le projet de loi consacre, pour la première fois, la possibilité d'une réparation d'un préjudice résultant d'une atteinte à l'environnement, et il reconnaît le principe « pollueur-payeur ». C'est avec beaucoup d'espoir que j'en ai pris connaissance, ayant à l'esprit un exemple concret.
Permettez-moi, monsieur le ministre d'État, de citer le cas précis de Quebecor, multinationale canadienne spécialisée dans les médias et la communication ayant développé, jusqu'à récemment, des activités d'imprimerie en Europe et en France. L'une de ces imprimeries se trouvait à Strasbourg. Lorsque le secteur s'est trouvé en crise, les salariés de Strasbourg ont été licenciés et le site a été fermé et laissé en friche, alors qu'il était doublement pollué : en surface par de l'amiante et en profondeur par différents solvants industriels. Le terrain, laissé vacant par cette multinationale, est devenu une véritable verrue située en plein milieu d'un projet de parc naturel urbain dans les quartiers de Koenigshoffen et de la Montagne verte.
Quebecor, qui se targue d'être une entreprise « soucieuse de la qualité de l'environnement et [qui] multiplie [les] initiatives en faveur du développement durable » a vendu et fusionné ses activités d'exploitation européennes avec une autre société pour créer une nouvelle entité. Face à la multiplication des interlocuteurs, la question de la responsabilité se pose. Qui est responsable de ce terrain de cinq hectares laissé à l'abandon à Strasbourg ? Nos collègues sénateurs ont dénoncé le manque d'ambition de votre texte qui, contrairement à une promesse symbolique du Président de la République, exonère les sociétés mères de toute responsabilité en cas d'accident : c'est précisément le cas de figure que j'évoquais.
Lorsque l'on ne peut plus identifier aucun dirigeant réel ou que ce dernier dépose le bilan, qui remet le terrain endommagé en l'état ? Les collectivités locales ? L'État ? Mais avec quels moyens, et dans quels délais ? La pertinence d'une loi, monsieur le ministre d'État, se mesure à sa capacité à trouver des solutions concrètes.
Si vous prenez aujourd'hui l'engagement devant notre assemblée que votre projet de loi pourra résoudre des cas comme celui que je vous ai décrit, je suis prêt à le voter. Cependant après avoir pris connaissance des différents articles, j'ai les plus grands doutes. Je crains qu'une fois de plus, les belles déclarations ne soient suivies d'aucun effet : pour le cas que j'évoquais comme pour d'autres similaires, votre texte est sans doute inopérant. Il m'est donc difficile de le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)