Je ne provoque pas les réactions, elles sont spontanées, plutôt du côté de mes amis d'ailleurs, car ce texte est insuffisant.
Le texte communautaire délimite des objectifs minimaux à respecter, mais il encourage chaque État membre à se doter d'instruments de protection et de garantie encore plus ambitieux. C'est d'ailleurs explicitement écrit dans l'article 14 de la directive : « Les États membres prennent des mesures visant à encourager le développement […] d'instruments et de marchés de garantie financière, y compris des mécanismes financiers couvrant les cas d'insolvabilité ». Cela ne figure pas dans le projet.
C'est donc un texte frileux qui nous est proposé aujourd'hui. D'autres États membres, comme l'Espagne et l'Allemagne, ont été beaucoup plus audacieux. Chez nous, c'est toujours l'aspect économique qui prévaut, la justification avancée étant de ne pas pénaliser les entreprises françaises en les soumettant à des obligations qui ne seraient pas présentes dans d'autres pays européens : elles existent pourtant chez nos plus proches voisins.
Le cas de l'Espagne est très intéressant. Dès 2005, une conférence autour de la question de la responsabilité environnementale a été organisée et de nombreux débats ont eu lieu, auxquels ont participé ONG, secteur marchand et compagnies d'assurances, une sorte de Grenelle espagnol avant le vôtre, monsieur le ministre, concentré sur la question de la responsabilité des entreprises. La loi espagnole a prévu la mise en place de garanties financières pour les activités à risque.
Quatre modes de garanties sont envisageables : une assurance souscrite auprès d'une société d'assurances, le cautionnement par un tiers, une garantie bancaire ou une consignation.
La mise en place du système de garanties semble être une vraie préoccupation pour les assureurs, et c'est une condition essentielle à la réalisation d'une responsabilité effective et à l'application effective du principe « pollueur-payeur ».
C'est une question de cohérence dans notre engagement en tant que parlementaires. Il serait absurde de voter ce texte qui ne respecte pas le principe « pollueur-payeur ». Cela n'aurait pas de sens pour nous, car il n'offre pas les conditions satisfaisantes pour assurer le financement des coûts liés aux dommages environnementaux.
Puisque nous parlons d'argent, vous avez dit, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que l'on pouvait réclamer des réparations en nature et non pas en espèces. Il est vrai que tout n'est pas quantifiable financièrement. Je viens d'ailleurs de lire dans Le Monde de cet après-midi qu'un économiste indien, M. Pavan Sukhdev, allait être chargé par l'Union européenne de faire une sorte d'évaluation financière, économique et monétaire de la nature. Selon lui, il faut donner un prix à la nature pour pouvoir la protéger.
C'est une vraie question. Il est évident qu'il faut parfois réparer avec quelques millions d'euros les dommages réellement causés, on l'a vu à propos de l'Erika, mais quel est le coût de la nature ? Combien valent par exemple les biens ou les services publics de la nature fournis par les écosystèmes ?
Combien vaut la raréfaction des hydrocarbures ? Ce qu'on paie actuellement, c'est le coût d'extraction, de transport, de raffinage, de distribution, auquel s'ajoutent les profits des entreprises et les taxes de l'État, mais le coût de la raréfaction n'est jamais pris en compte. Or c'est un coût géologique. Pour faire des hydrocarbures, il faut tout de même 100 millions d'années. Combien vaut-il d'ailleurs ? On peut dire que, d'une certaine manière, il est incommensurable et que toute évaluation financière est impossible.
De même, quel serait le coût de la destruction de certaines espèces ou même de la perte de la biodiversité ? Certains savants considèrent que nous sommes face à une forme de cinquième extinction d'espèces. Combien cela coûte-t-il ? Qui peut le dire dans la mesure où l'ADN, ce merveilleux mécanisme qui est à la base de la vie, a mis plus d'un milliard d'années à se constituer ? Personne ne peut dire combien valent certaines espèces. Nicholas Stern, un économiste qui a travaillé à la Banque mondiale et qui conseille le gouvernement anglais, a lui aussi essayé d'évaluer le coût du changement climatique et de sa réparation. C'est très difficile dans la mesure où l'atmosphère est un bien public mondial. Il a parlé de 5 000 milliards de dollars par an jusqu'en 2050. Qui peut le dire ?
Il y a un problème de quantification. Pour certains économistes, il faut internaliser les externalités. L'économie capitaliste dominante montre bien que le coût des dégâts dans les écosystèmes, de la pollution de l'eau, de l'atmosphère, c'est une externalité. Au départ, cela n'existe pas. Ce qui compte, c'est le circuit soi-disant vertueux entre les consommateurs et les producteurs, les entreprises et les ménages. La nature n'existe pas. C'est une espèce de non-dit psychanalytique de l'économie contemporaine.
Dans les années 70, les écologistes aimaient bien citer le grand chef indien Seattle, que certains d'entre vous connaissent peut-être. Voici ce qu'il disait, au XIXe siècle : « Combien vaut la fraîcheur de l'air ou le miroitement de l'eau ? Combien vaut chaque aiguille de pin luisante, chaque grève sablonneuse, chaque écharpe de brume dans le bois noir, chaque clairière, chaque bourdonnement d'insecte ? Les fleurs parfumées sont nos soeurs, le cerf, le cheval, le grand aigle sont nos frères ; les crêtes des montagnes, les sucs des prairies, le corps chaud du poney, et l'être humain lui-même, tous appartiennent à la grande famille de la nature. » (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)