La précipitation ne peut pourtant tenir lieu de négociation. Encore une fois, la méthode coince. C'est pourquoi je ne puis, de cette tribune, que manifester mon entière solidarité au monde universitaire, quand il dénonce la méthode et le calendrier.
Cette précipitation dont vous faites preuve, madame la ministre, n'est pas bonne conseillère. Comment peut-on, en effet, proposer une nouvelle organisation de l'université, sans débattre au préalable de ses finalités, sans garantir les moyens dont elle manque, sans s'attaquer à l'échec étudiant en premier cycle, sans construire des liens fructueux entre recherche et université ?
Une réforme de l'enseignement supérieur ne peut faire l'économie d'un débat sur l'école. Comment peut-on prétendre vouloir assurer la meilleure formation pour tous et se taire sur les dix-sept mille postes d'enseignants dont le Gouvernement vient d'annoncer la suppression dans l'éducation nationale dès la rentrée prochaine ?
Nous attendons de l'enseignement supérieur qu'il transmette, produise et diffuse les savoirs ; qu'il offre la possibilité à chacun de construire sa propre autonomie, de choisir sa vie. Nous attendons qu'il assure, pour tous, sa mission de formation. Dans une démocratie du xxie siècle, une formation universitaire doit être un droit.
Les trente dernières années ont été le théâtre d'une massification sans précédent de l'enseignement supérieur. Après la massification, le défi, c'est la démocratisation. Dans cet esprit, nous devons réaffirmer les attentes de la nation, les objectifs, les missions et l'organisation de l'ensemble de notre système universitaire, redéfinir la place respective des formations technologiques, des classes préparatoires, des grandes écoles, des instituts et des universités.
Dans ce cadre, il ne saurait y avoir de véritable réforme de l'enseignement supérieur qui fasse l'impasse sur ses relations avec la recherche, qui n'aborde pas les questions pédagogiques, les contenus, les rythmes et les diplômes, pour aller vers une civilisation de la connaissance partagée. Tout cela est malheureusement absent du texte.
Ce qui y figure n'a pas fait l'objet d'une véritable concertation et représente un vrai danger. C'est pourquoi notre opposition à votre texte est résolue. Personne ne défend le statu quo, ni dans cet hémicycle ni dans la communauté universitaire. Mais en quoi ce texte marque-t-il un progrès, en quoi affiche-t-il une nouvelle ambition ?
Ce projet, nous dit-on, est essentiel, le plus important, paraît-il, de la législature, car il vise à « offrir aux universités une autonomie réelle, la capacité de mieux remplir les missions que la nation leur confie ». Les mots ont de l'importance, et ceux qui accompagnent la présentation de ce projet sont un leurre, un attrape-nigaud. La loi Savary de 1984 avait, en effet, déjà renforcé l'autonomie à l'université, initiée avec la loi Edgar Faure du 12 novembre 1968, qui supprimait les facultés en créant des universités constituées d'unités d'enseignement et de recherche – les UER – et dotées, à partir de cette réforme, de la personnalité morale et de l'autonomie financière. La loi de 1984, quant à elle, définit les universités comme des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, les EPSCP. Les établissements bénéficient de l'autonomie statutaire et élisent leurs organes.
Derrière votre projet de loi se profile en réalité l'institutionnalisation de la concurrence entre les universités : les grandes, qui auront les moyens de s'offrir des chercheurs et pourront ainsi figurer parmi les meilleures, et les autres, pour le tout-venant.
L'autonomie proposée est donc un recul de la démocratie universitaire. Elle se résume en effet à un pouvoir renforcé de la présidence. En l'absence de contre-pouvoir, c'est un pouvoir absolu, que consacre le droit de veto dans le recrutement d'enseignants et de personnels. Vous confiez au président l'attribution des primes et le recrutement de contractuels – CDI compris ! – sans que cela fasse l'objet d'aucun cadrage. Quel pourcentage, par exemple, sera affecté aux ressources humaines ? Aucun dispositif de transparence n'est par ailleurs mis en place, ni aucun lieu de discussion sur les modalités d'attribution.
C'est en outre un pouvoir sans grande légitimité, car le texte propose que seul le conseil d'administration participe désormais à l'élection du président d'université.