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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 23 juillet 2007 à 15h00
Libertés et responsabilités des universités — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la situation de l'enseignement supérieur n'est pas satisfaisante. Nul ne conteste qu'une réforme ambitieuse s'impose.

En effet, notre pays a pris du retard, on peut même parler de recul en la matière. La France ne consacre que 1,1 % de son PIB à l'enseignement supérieur, contre 1,7 % en moyenne dans les pays de l'OCDE – 2,7 % aux États-Unis. Et lorsque l'on met en parallèle ces chiffres avec ceux de la recherche, le panorama s'assombrit encore : 2,1 % du PIB sont consacrés à la recherche. Nous restons donc très loin de l'objectif des 3 % alors qu'il s'agit pourtant d'un plancher pour éviter d'être irrémédiablement distancé par les autres grands pays développés.

Le manque d'attractivité des carrières scientifiques, faute de moyens et de perspectives, décourage des milliers de chercheurs. Les difficultés matérielles et financières rencontrées par les organismes de recherche ont pour conséquence directe la fragilisation de la recherche fondamentale et finalisée, sans laquelle il n'y a ni innovation ni progrès. À l'université, le taux d'échec dans le premier cycle, qui atteint parfois 50 % dans certaines filières, est le produit non seulement d'une orientation défaillante, d'un manque d'encadrement, d'un manque de cohérence peut-être entre le secondaire et le supérieur, mais aussi le fait d'une réalité plus impitoyable : la reproduction sociale.

L'enseignement supérieur est dans notre pays profondément inégalitaire. Les grandes écoles n'ont rien à voir avec l'université. Moyens matériels, formation, encadrement, débouchés : tout les sépare. Dans les établissements publics d'enseignement supérieur, les situations sont contrastées, entre les filières comme entre les établissements, et notre pays ne peut se satisfaire de diplômer seulement 30 % d'une classe d'âge.

D'autres maux s'ajoutent encore à cette réalité : en France, l'État néglige son patrimoine : manque d'entretien, vétusté, exiguïté des locaux, amiante, comme à Jussieu. C'est cette gestion de la pénurie qui tue l'université. Le manque de moyens ne lui permet pas d'assumer pleinement ses missions et, dans ces conditions, l'absence de collectif budgétaire, demandée par la plupart des organisations syndicales issues du monde universitaire, est une véritable faute.

Plusieurs millions d'euros de cadeaux fiscaux ont été votés récemment par notre parlement, sur proposition du Président de la République, mais rien pour permettre à l'université de préparer la rentrée dans de bonnes conditions. Le pays n'est pas dupe : vos priorités sont manifestes, elles se confondent avec vos clientèles. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'urgence, c'est de permettre à l'enseignement supérieur de sortir de l'indigence. Lorsque l'on souhaite, en effet, prendre à bras-le-corps un problème, on ne saurait fuir la question des moyens, comme si celle-ci était secondaire. L'urgence, c'est de s'attaquer aussi à la misère étudiante. Petits boulots, galère de logement et problèmes de santé sont le lot quotidien de la masse des étudiants dans notre pays.

Certes, nous avons entendu que, durant les cinq prochaines années, le budget des universités augmenterait d'un milliard d'euros par an, mais de nombreuses questions restent en suspens quant à la répartition de cette somme. Si les annonces sont respectées, on pourra se féliciter de cette rupture avec la politique de la majorité à laquelle vous apparteniez, madame la ministre, et dont l'absence d'efforts budgétaires en direction de l'enseignement supérieur a été la règle. Mais le retard est si important que l'effort annoncé ne suffira pas.

Dans cinq ans, il y aura donc 3 800 euros de plus par an et par étudiant inscrit à l'université. Ainsi, en 2012, ces dépenses seront portées à 10 500 euros, au lieu des 6 700 euros actuels. La différence est nette, mais le délai est long. Nous considérons qu'un effort plus rapide est nécessaire.

Pourquoi les étudiants et le monde universitaire devraient-ils attendre autant, davantage en tout cas que les contribuables assujettis à l'ISF, pour bénéficier d'un effort budgétaire ? C'est une affaire de choix politique et de priorité et, à l'évidence, nous n'avons pas les mêmes, madame la ministre.

Personne ne peut croire que les urgences de l'enseignement supérieur et ses évolutions nécessaires se concentrent uniquement sur un conseil d'administration réduit, dans lequel la place des personnels élus et des étudiants serait moindre, avec un président ayant la possibilité de se représenter et disposant d'un droit de veto sur les recrutements. Les chantiers d'une vraie réforme de l'enseignement supérieur sont plus vastes.

C'est parce le texte qui nous est présenté tourne le dos aux exigences et aux défis d'une véritable réforme et qu'il ne tient pas compte des urgences de l'université, que je demande à notre assemblée de ne pas poursuivre son examen.

C'est d'ailleurs le paradoxe de ce projet de loi : il arrive en urgence sans traiter les urgences. On pourrait même dire qu'il arrive à la va-vite. C'est au milieu de l'été, alors que nos universités sont vides et que les capacités de mobilisation de la communauté universitaire sont faibles, que le Gouvernement a décidé de mener tambour battant le débat sur l'enseignement supérieur.

Pourtant, même dans ces conditions, les voix s'opposant à ce projet commencent à se faire entendre : les voix syndicales au premier chef, mais aussi celles des conseils d'administration – nombreux – qui, par l'adoption de motions, disent leur rejet de la méthode, du calendrier et du contenu du texte.

Sur la méthode et le calendrier, quelques remarques s'imposent. Annoncé comme la réforme la plus importante de la législature, ce texte n'a pas fait l'objet d'une véritable discussion. Vous n'avez même jamais tenu compte – le pouviez-vous d'ailleurs, madame la ministre – de l'opposition du monde universitaire devant le calendrier précipité que le Président et le Premier ministre vous ont imposé.

Les consultations ont démarré le 31 mai. Dès le départ, l'ensemble des syndicats et de la communauté universitaire a déploré un calendrier précipité, d'une part, et un manque de transparence, de l'autre : l'essentiel de la réforme est déjà bouclé alors que des groupes de travail se mettent en place sans qu'aucun document de travail validé ne leur parvienne.

Le 15 juin, une intersyndicale regroupant seize organisations – dont « Sauvons la recherche », l'UNEF, le SNESUP – lance un appel à ne pas soumettre le projet de loi en juillet au Parlement.

Le 19 juin, le texte de la réforme est divulgué : c'est un véritable tollé syndical, car il n'a fait l'objet que d'une consultation de façade et d'une discussion de pure forme. Il eût été plus sage, en effet, d'entendre la demande de dialogue, de donner le temps à la discussion et à la négociation.

Mais la marche forcée continue. L'annonce du passage du texte en conseil des ministres, le 27 juin, est faite ; les partenaires sociaux se voient remettre un document de travail le 19 juin ; ils n'ont que trois jours pour réagir.

Le conseil national de l'enseignement supérieur est convoqué le 22 juin pour émettre un avis consultatif sur le projet de loi. Après huit heures de discussions et quelques amendements, le texte est rejeté par une large majorité – dix-neuf voix contre, douze pour et trois abstentions : la volonté de passage en force est rejetée.

C'est dans ce cadre que le Président de la République reprend le dossier en main. Le mardi 26 juin, il reçoit onze organisations syndicales d'enseignants et de personnels de l'enseignement supérieur et annonce son intention de prendre en compte quelques observations. Il les informe que le texte passera en fait en conseil des ministres le 4 juillet.

Vos recevez, le mercredi 27 juin dans l'après-midi, les organisations représentatives de la communauté universitaire, pour une concertation autour d'un texte remanié, concertation pour le moins rapide puisque, de toute manière, le Président de la République a fixé, la veille, le nouveau calendrier.

Le rappel de ce calendrier permet de mettre en lumière l'absence de concertation véritable avec la communauté universitaire. Outre cette course contre la montre, la méthode est, elle aussi, chaotique et désastreuse. Trois versions du texte ont été présentées. Or, proposer trois textes différents la même semaine témoigne d'une très grande fébrilité.

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